dimanche 3 juin 2007

31 mai 2007 : l'homme aux chats

Je quitte Leren et mon cousin. Plus dissemblables que nous, tu meurs ; lui, fort, massif, remuant et bougon, moi, malingre, mince, posé et placide, et pourtant notre amitié de vacances - comme on dit amour de vacances - qui a couru de 1952 à 1962 environ, a été d'une force incomparable, une complicité de tous les instants. Dans cette ancienne école libre où il habitait, la salle de classe était un terrain de jeux fabuleux, avec le préau attenant qui nous protégeait de l'ardeur du soleil. Lui aussi ne possédait qu'un seul Tintin, L'oreille cassée, livre qui nous a fait rêver de voyages exotiques et initié à la géopolitique. On imagine mal, aujourd'hui, dans la profusion de "choses", de jeux, de livres, dont disposent les enfants, combien des objets uniques nous nourrissaient mentalement et quelle imagination nous déployions dans nos jeux ! C'était une invention de tous les instants, et même le soir encore, puisque nous dormions ensemble ; pour nous calmer, mon oncle devait parfois venir nous séparer, il restait avec Michel et m'envoyait finir la nuit avec ma tante... Jours évanouis qui remontent à la surface...
 

A Salies-de-Béarn, ces dames bibliothécaires pour tous ont fait venir deux classes de 8 à 11 ans pour mes lectures. Une bonne quarantaine d'élèves, si ce n'est plus, c'est beaucoup. Le résultat est mitigé, j'ai fait un peu trop long, et surtout un des textes ne convenait pas, trop poétique et sans action. Mais j'ai fini par le Blondel, quelque peu édulcoré, et les enfants ont bien ri. Petite discussion ensuite avec les bibliothécaires, dont l'une, de loin la plus jeune, fait du théâtre et va bientôt animer un week end d'initiation pour adultes. Une autre a une fille libraire.
Le temps étant incertain, je ne m'attarde pas et gagne Orthez par une petite route. Au village de Salles Mongiscard, je remarque le panneau cimetière protestant (quelle drôle d'idée de se séparer aussi dans la mort !), je suis bien dans le Béarn parpaillot du bon roi Henri. J'ai un peu de temps à tuer à Orthez avant le train pour Pau, j'en profite pour jeter un oeil sur la Tour Moncade et le pont médiéval et rêver à Gaston Phébus, dont nous parlait Pierre Tucoo-Chala, un de mes maîtres à l'Université.
Pau : la sortie de la gare est très pénible. C'est que les préparatifs pour le Grand prix automobile battent leur plein. Résultat, je me perds un peu et me retrouve à Bizanos. Un coup d'oeil sur la carte me remet sur le droit chemin, et je finis par trouver la route de Morlaas. Des côtes, relativement plus importantes que toutes celles que j'ai eues jusqu'à présent, m'attendent dans ces confins du nord du Béarn. Quand j'arrive enfin à Simacourbe, pas besoin de tourner en rond comme à Leren. Dans la petite rue que je prends, j'aperçois des chats qui se promènent comme chez eux. J'en conclus que je suis donc arrivé.
Claude, qui me reçoit, est le père de notre amie Sylvie. Agé de soixante-quinze ans, c'est un pyrénéen aguerri, qui vit seul dans une grande maison entouré d'un immense jardin, parc sur le devant, potager à l'arrière. Seul, pas tout à fait... Je le surnomme L'homme aux chats, il en a deux à lui, qui se promènent orgueilleusement dans la maison, et une vingtaine qui rôdent alentour et qu'il nourrit avec amour. Il les connaît individuellement, c'est une passion chez lui. Ce qui ne l'empêche pas de rendre de grands services à ses voisins dans le village : c'est qu'il est un des plus jeunes ! Il a dû s'occuper depuis l'automne dernier d'un de ses oncles, âgé de 93 ans, et qui vient de s'éteindre.
Il m'a préparé une bonne soupe de légumes de jardin et des petits pois, du jardin aussi. Les pluies continuelles de ce printemps, aussi bien que les soins incessants accordés à l'oncle, ne lui ont pas permis d'avoir un potager magnifique cette année. Les arbres fruitiers - comme chez mon cousin - ne donnent rien, tant la pluie a lacéré les fleurs. Pour le consoler, il a droit à une lecture, puisqu'il m'annonce qu'il ne pourra pas assister à ma prestation demain après-midi.
Et, comme pour donner du corps à ses paroles, une pluie battante me réveille en pleine nuit. Le déluge : j'ai de la chance, je ne suis pas sur le vélo !

Aucun commentaire: