mercredi 30 janvier 2008

30 janvier 2008 : sous le ciel gris exactement

Après-midi plombé.
Je suis quand même sorti à vélo, équipé de mon surpantalon. Il pleuvait peu, mais suffisamment pour être très mouillé. J'ai songé à Gilbert Bécaud (Le jour où la pluie viendra), Brigitte Bardot (Sous le soleil exactement).
Comme toujours quand il pleut, encore plus de voitures que d'habitude : je ne suis pas expert en statistiques, mais je dirai volontiers 50 % de plus. Les parkings sont archi-bondés, et s'ils pouvaient, certains monteraient sur les trottoirs. Donc route glissante, gaz d'échappement plus nauséabonds.
On me dira : pourquoi sortir ? Et pourquoi pas ? Les automobilistes n'ont pas le monopole de ce droit ! Et d'ailleurs, j'avais mes raisons, les dossiers pour l'Association de la prison à achever de préparer : photocopies, recherche de documents manquants chez la trésorière, à la Bibliothèque des Couronneries.
Là, je tombe sur Jeanne, l'ancienne directrice de la bibliothèque. Il est vrai qu'elle n'a que la rue à traverser. Elle continue à fréquenter les bibliothèques : n'est-ce pas merveilleux, à 80 ans ?
Et aussi sur Odile Caradec, l'excellente poétesse de Poitiers, qu'on va essayer d'honorer dans le prochain numéro du Liseron. Elle va donc nous confier quelques textes inédits. Philippe (ou peut-être moi, si je me sens des ailes, et si j'ai du temps, car je veux d'abord écrire un essai sur Marius Noguès) écrira un court essai sur son oeuvre forte d'une vingtaine de titres. Quelle finesse dans ces vers qui représentent bien l'hiver :

Le ciel est un paysage de cristal
dans lequel se déploient les ramures cassantes
Et quel pouvoir d' évocation, toujours l'hiver :
Soir de janvier
ville flottante entre deux eaux
ô hésitante ville qui refuse le noir
de la brume plein les naseaux
Odile, l'enchanteresse. Pas de doute, la poésie est encore vive, et peut-être la ressent-on plus fortement encore les jours de pluie.

Ce gris, je l'ai aperçu hier au soir alors que nous visionnions un film de Mizoguchi de 1944 : L'épée bijomaru. C'est l'histoire d'un samouraï dont l'armurier, qu'il a adopté et élevé comme son fils, lui forge une épée qui se brise au combat. Le samouraï est d'abord puni, assigné à résidence, puis, parce qu'il refuse de donner sa fille en mariage, le prétendant le tue. Le forgeron se sent coupable de toute cette affaire, et ne veut plus forger d'épées. Mais la fille du samouraï, adepte du sabre sous la direction de son père, veut venger celui-ci. Elle demande donc au forgeron un nouveau sabre. Bien sûr, les deux jeunes gens sont amoureux l'un de l'autre, sans se l'être jamais dit. A ce sujet, la scène finale est sublime. C'est un très beau film, de calligraphe, pourrait-on dire. La fabrication du sabre est filmée comme un acte de création, peut-être symbole de l'auteur lui-même. Le noir et blanc est splendide.
Et en voyant le ciel d'aujourd'hui, uniformément gris, je retrouve le beau temps des anciens films, où le ciel bleu est gris, exactement.






samedi 26 janvier 2008

26 janvier 2008 : Le papa de Poitiers



Après une semaine de grosses turbulences, le moral qui flanche et l'âme en peine, je me requinque peu à peu. Le toubib m'a trouvé de la tension, mais je crois surtout que les soucis de santé de Claire sont au premier plan : une opération semble en vue, qui nous serait proposée à l'hôpital Lariboisière, à Paris. Pourquoi pas ? On verra bien de quelle opération il s'agit, et à quelle date. En attendant, la souffrance continue. Quel en est le sens ?
Plutôt souffrir que mourir,
C'est la devise des hommes.
(La Fontaine, La mort et le bûcheron)
Nous avons été élevés dans cette idée, Claire et moi : il n'était pas question de se plaindre. Le soi n'avait pas de place dans notre vie. C'est sans doute une erreur...
Nous avons vu à la télévision un remarquable documentaire, Le choix de Jean, qui, comme toutes les bonnes émissions, est passé à une heure impossible. Le personnage, Jean, atteint de tumeurs cérébrales incurables, décide de choisir le moment de son passage vers l'au-delà, afin de le faire en toute lucidité et de ne pas être victime d'acharnement thérapeutique. Ce qui peut se faire en Suisse (ça se passe à Fribourg, il y a un délicieux accent jurassien) avec l'aide d'une association : l'assistance au suicide est dépénalisée, et faite sous contrôle médical. On assiste aux deux derniers mois de Jean et de son entourage, chronique somme toute alerte, car Jean aime la vie et n'est guère diminué. Mais justement, il veut en finir avant d'être devenu dépendant ou inconscient. Ses derniers mots : "J'aurais jamais cru que c'était aussi bien." Une leçon de dignité, de chaleur humaine (son amour pour sa compagne), de liberté et de courage.
Etrangement, ça m'a requinqué : voir quelqu'un affronter le trépas avec cette vaillance, ça vous retourne. J'imagine que ça peut faire l'effet inverse.
Nous avions Lucile à la maison cette semaine. Comme toujours, elle est merveilleuse ; on ne l'embête pas trop, elle sort, se lève à ses heures (tardives), voit copains et copines. Mais quoi ? Elle étudie bien, et a le droit de se reposer entre deux semestres ! D'ailleurs, on a profité d'elle pour faire connaître la vie nocturne de Poitiers à nos jeunes Colombiens, de nouveau ici pour deux nuits et deux jours. Alexander et David sont charmants. Le premier, 25 ans, est gentiment désuet, on le croirait sorti d'un film mexicain de Bunuel. Le second, 19 ans, est primesautier. Ils ont fait de gros progrès en français, nous essayons de leur faire connaître un peu de l'hospitalité traditionnelle à la française : et voilà qu'au moment de leur départ, j'apprends qu'ils me surnomment le papa de Poitiers !


David, Lucile et Alexander à la maison le samedi 26 janvier

Inutile de dire que ça me fait très plaisir ; j'en suis même fier. Y a-t-il quelque chose de mieux pour me requinquer ? Au moins, on voit qu'on sert à quelque chose !
Ce matin, je suis enfin allé avec l'ami Gilles à la fameuse piscine de Buxerolles ; je cite leur publicité : Le centre aquatique de la Pépinière dispose de bassins avec une eau de 28 à 32°, dans une ambiance ludique et tropicale [...] un toboggan de 76m, une boule à vagues dans un bassin circulaire (profondeur : 1,10m), un bassin de 25m (profondeur de 1,10m à 2m), une rivière à courant avec cascades, canons à eau et bains hydromassants, un spa.

Je me suis bien amusé, et j'ai même deux fois descendu le toboggan, alors que je pensais en avoir une peur terrible. Comme quoi je peux encore faire l'enfant ! Ou redevenir comme un petit enfant, ce qui me rappelle les paroles de Jésus : En vérité, je vous le dis, si vous ne recommencez à devenir comme les petits-enfants, vous ne sauriez entrer dans le Royaume des cieux (Evangile selon Mathieu, 18,3). Eh oui, c'est ma naïveté à moi, je voudrais bien entrer dans ce royaume !
Après César et Rosalie la semaine d'avant, revu aussi à la télé Jules et Jim (prononcez Djim), le film de Truffaut. Le trio amoureux est ici bien plus amoral que dans le film de Sautet. Et je crois avoir découvert pourquoi ce film me plaît tant, malgré une voix off un peu trop lourdingue : les héros y font de la bicyclette, mais oui !

mardi 15 janvier 2008

15 janvier 2008 : lectures en vue

Si le diable ne se mêle pas à nos projets, mes cyclo-lectures devraient redémarrer le mardi 25 mars dans le Gers. Mais tout est toujours possible. Le temps qu'il fera, l'état de santé de Claire surtout, inquiétant... Tout peut empêcher un départ donc incertain
Néanmoins, les programmes s'affinent, l'itinéraire commence à prendre forme. L'année démarre plutôt bien pour le vélo, puisqu'en dépit d'un climat maussade, j'ai déjà dépassé à la mi-janvier mon total de km-vélo de l'an passé.
Je continue à lire avec bien du bonheur. Après Ma bicyclette verte, de Michel Lamy (Sang de la terre, 2007), voici Petits cycles de bonheur, de Pierre-Louis Desprez (Arléa, 2007) : le vélo fait écrire. Pas de doute, le bonheur de pédaler est contagieux et voisine avec celui d'écrire. N'en suis-je pas aussi un témoin ? Même si je n'ose pas me comparer à ces deux professeurs, qui possèdent l'art d'écrire mieux que moi.

Je suis toujours plongé dans Les misérables, et viens de franchir le célèbre épisode de la Tempête sous un crâne, où Jean Valjean décide de se dénoncer pour ne pas envoyer un innocent aux galères, à sa place. Ce qui est frappant chez Hugo, c'est le mélange d'idéalisme le plus rose et de réalisme le plus noir : le personnage de Fantine en est le plus bel exemple. Fantine qui tombe dans le ruisseau, alors qu'elle est une fille sage. Hugo fustige les bourgeois, de l'étudiant Tholomyès, à qui il est permis d'abandonner une pauvre fille dont il a un enfant, à l'homme qui lui jette de la neige dans le cou un soir d'hiver.
Mais je lis aussi bien d 'autres choses, toujours trois à quatre livres en train en même temps. Comme Alberto Manguel que j'ai rencontré le mois dernier, et dont je lis le Journal d'un lecteur en ce moment.

Pour poser l'année dans la fraternité, je voudrais citer ici le poète finlandais Paavo Haavikko :

Si les arbres ne sont pas tes frères

tu n'as pas de frères
Si la tombe n'est pas ta terre
tu n'as pas de patrie
Eh oui, c'est l'hiver qu'on pense le plus à la mort.
"Courage, Drogo, c'est là ta dernière carte, va en soldat à la rencontre de la mort. [...] Franchis d'un pied ferme la limite de l'ombre, droit comme une parade, et souris même, si tu y parviens."
(Dino Buzzati, Le Désert des Tartares)
"Encore une fois, vivre, ce n'est pas accumuler des jours. La pauvre vieille reine Victoria a eu de longs jours, mais Emily Brontë a eu la vie."
(David-Herbert Lawrence, Homme d'abord)

Et attendons le printemps et la renaissance, qui coïncide avec mes cyclo-lectures.