mercredi 12 mars 2008

12 mars 2008 : le grand silence blanc



Non, nous ne sommes pas dans le grand Nord, ni dans l'Antarctique ou au sommet des Alpes. Si tout y est blanc, je doute d'ailleurs qu'on y trouve ce fameux silence, tant ce doit être balayé par les vents, le blizzard ou la tempête. Non, je parle du silence hospitalier.

Seul, le silence est grand, tout le reste est faiblesse.

Ce vers de Vigny m’a longtemps frappé. Je lui donnais une très grande valeur. Il faut dire que c’est le silence du loup devant la mort.
Et puis, je me suis rendu compte que, parfois, le silence pouvait être faiblesse, impuissance, quand il ne dit rien. Ainsi, le silence devant les puissants de ce monde. Le silence de beaucoup d’Allemands en face du nazisme. Notre silence devant la misère des gueux.
Mon silence quand, à plusieurs reprises, j’ai été agressé, verbalement, et surtout, physiquement. Ce silence qui est une incapacité à vivre, à se battre peut-être.
Dans le monde actuel, le bruit (paroles, musiques, moteurs de véhicules, appareils électriques de toutes sortes, etc.) est la règle et le silence l’exception. Nous sommes ensevelis sous l’avalanche protéiforme des mots, des mots qui nous assaillent, les éructations des animateurs de la télé, les gros mots et les injures des sans-gêne nombreux que nous côtoyons. La parole finit parfois par perdre son sens. Le silence, lui, nous échappe le plus souvent. Même si on le recherche, surtout quand on vieillit... Alors, on l'apprécie davantage.
Mais il est une forme de silence particulière, celle qui provient de l'incapacité à communiquer. Celle des sourds-muets, par exemple, sans sons, qui sans doute communiquent entre eux par signes, mais avec qui nous ne pouvons pas aller bien loin.
Il est un silence plus dramatique, voire tragique, c’est celui des médecins qui n’informent pas le malade. Comme si ce dernier ne pouvait pas entendre, comme s’il était sourd. Ce silence n’a pas de sens, sinon celui d’absence de communication. Le malade n'exige pas le silence, il souhaite entendre. Le silence est pour lui une souffrance intolérable. Le malade a besoin d’un face à face avec la parole. La parole est pour lui sens, lumière. Sinon, le malade est dans le noir, ce qui peut entraîner l’angoisse, la panique même.
Comment avoir conscience de ce que l’on a, à la limite comment guérir, si on ne nous dit rien ? On redevient sauvage, presque fou, de rage, d’impuissance, de douleur, on a envie de meurtre, d'incendie, de bombes…
Nous avons une langue, des oreilles, que diable ! Chacun peut participer à la construction de sa guérison. Mais comment, quand on ne sait presque rien ? Comment faire pour demander, pour poser une question judicieuse ? Comment ouvrir les portes de la communication avec ce milieu si sûr de lui, si mystérieux, au jargon d’initié ?
Le malade a besoin de se repérer dans son corps, dans son espace, dans le temps, dans la durée. Il doit identifier ce qui se passe, tenter de mettre de l’ordre, puisque la maladie est un désordre. Quand on ne nous dit rien, on reste dans la confusion, dans le chaos, sans présent et surtout sans avenir perceptible.
Dans un tel silence, glaçant, on fait du surplace, on se retrouve un beau jour, presque sans identité. Puisque le mal n’est pas identifié, reste dans le non-dit... Le « je » n’existe plus, on devient le (la) malade à la troisième personne. Comme le tout petit enfant avant qu’il comprenne qui il est. Le silence frigorifiant des médecins nous ramène à l’enfance. Nous empêche de nous affirmer, de nous poser comme être, comme sujet. On devient un objet, un peu comme ces « vieux » dans certaines maisons de retraite qu’on n’appelle plus que Pépé, qui ont perdu leur nom et qui, peut-être, ne le savent plus.
Comment progresser dans la guérison ? Il faut réinvestir les mots pour désigner les choses, la chose, en l’occurrence, la maladie. Encore faut-il que la parole se manifeste par des mots signifiants, qui ne soient pas un bruissement répétitif, mais une ouverture de la conscience et de l’intelligence. Une clarté. Pas du bavardage.
Ce silence est révélateur du malaise des hôpitaux et de la médecine plus généralement. Il est éloquent, il est étourdissant, il fait beaucoup de bruit. Si les médecins ne savent rien, qu’ils le disent ! Tout est préférable au silence. S’ils préfèrent telle thérapeutique à telle autre, qu’ils en expliquent le sens. Qu’ils ne laissent pas le malade seul avec lui-même, avec la tentation de meubler ce silence assourdissant par la recherche de charlatans, de gourous, qui ont beau jeu de s’infiltrer dans le vide.

Ce mutisme finit par rendre fou !

1 commentaire:

Unknown a dit…

Le problème, ce n'est pas tant le silence que l'indifférence... A l'hôpital, on est trop souvent un dossier à traiter et pas assez un être humain !