mercredi 2 avril 2008

25 mars 2008 : pas vraiment l'heure d'été


7 h : depuis trois jours, je suis réveillé exactement à 6 h 15. Sans doute le stress avant cette tournée gersoise qui s'annonce difficile : météo mauvaise, et six lectures en cinq jours...
9 h : adieux à Môman, comme dirait Titeuf. Elle aura été ravie de mon bref séjour : je lui ai acheté douze bouteilles d'eau de source, et ce matin même du pain, en même temps que le mien pour préparer mon casse-croûte. On fera mieux la prochaine fois, c'est promis, on restera davantage, cet été, pour une grande réunion de famille ??? Et Rossinante, toute fringante - pour l'instant, le ciel est gris, à peine menaçant - semble ravie de revoir son fier cavalier. Je l'avais toutefois chevauchée hier pour une petite dizaine de km, histoire de me mettre en jambes. Mais là, ça sera plus rude, et plus long. La feuille de route, envoyée par la Bibliothèque départementale du Gers (désormais BDP), me donne rendez-vous à Eauze à 14 h. Il y a environ 55 km d'après la carte, j'ai donc largement le temps. Et de plus, je commence par une quinzaine de km sur une piste cyclable, celle qui emprunte le tracé de la voie ferrée démantelée de Mont de Marsan à Villeneuve de Marsan : idéal pour débuter une randonnée, de ne pas avoir à souffrir voitures et camions, ou même pétarades de motos tonitruantes. La forêt, la plaine, les collines. De temps à autre, une rivière encaissée. Puis je suis bien obligé d'emprunter la route qui conduit de Villeneuve à Eauze, serpentant dans l'Armagnac légèrement vallonné. Quelques côtes légères, mais suffisantes pour occasionner une première suée, malgré mes petits 15 km/h. Cette fois-ci, vu la température, je suis en pantalon long, moins léger que les culottes courtes (pour reprendre une expression de mon enfance) enfilées l'an passé. Et voilà que les nuages, qui barbouillent le ciel de diverses nuances de gris, se mettent de mèche avec le vent pour donner une première averse. Pas grave, je traverse le village de Campagne d'Armagnac. Il est 11 h 30 environ. J'ai faim, je vois un abri, une maison sans doute abandonnée, mais qui a un porche. Je m'arrête, sors mon casse-croûte, et le temps de cette première averse gersoise, je savoure avec lenteur les délicieux sandwiches que je me suis préparés, l'un au jambon, l'autre au fromage, auxquels j'ai joint deux oeufs durs (Maman a voulu à toute force que je fasse cuire les plus récents : "Je ne veux pas que tu t'empoisonnes !"), une banane et une mandarine.
Je m'aperçois de nouveau que la faim est réelle quand on a fait un vrai effort. Et que des nourritures quelconques paraissent délectables ! Mais le bon Théophile Gautier nous a bien prévenus :

Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Aussi, sitôt l'averse enfuie comme une cambrioleuse, le soleil fait une brève apparition, et, sec, je chevauche à nouveau Rossinante qui glisse sur l'asphalte mouillé. Et c'est presque triomphant que j'entre dans Eauze, avec plus d'une heure d'avance sur mon rendez-vous. Je cherche un bistrot et tombe, à côté de la cathédrale sur le Café de France, qui occupe la Maison de Jeanne d'Albret, au superbe colombage. Une plaque me précise qu'en 1579, Henri de Navarre, qui y séjournait, fut maintenu dix-sept jours au lit avec "une fièvre dévorante", et fut soigné avec dévouement par la reine Margot. Décidément, je n'échappe pas à cette dernière, qui garde toujours pour moi les traits de la jeune Jeanne Moreau, tandis que la hideuse Catherine de Médicis se cache derrière Françoise Rosay. Des Anglais boivent une bière en papotant, ils ont apparemment colonisé le Gers, du moins en partie. Et j'ai le temps de boire deux cafés et de mettre à jour mon journal (sur un cahier), et même d'avancer dans les aventures terrifiantes de la Thérèse de Giono.
14 h pile : j'ai repéré la Bibliothèque municipale où se trouve mon rendez-vous, mais comme il pleut, je m'abrite sous l'entrée du Crédit agricole, quelques mètres plus loin. Philippe, le bibliothécaire de la BDP arrive avec sa voiture et me reconnaît : un cycliste un peu chargé, ça ne peut être que le cyclo-lecteur ! Il m'emmène, avec ma Rossinante, jusque chez les F., le couple fort sympathique qui me reçoit pour la nuit, elle, ex-conseillère municipale, étant une des bibliothécaires bénévoles.
Douche, changement de vêtements, nouveau café, et nous repartons vers la Bibliothèque municipale, située dans une ancienne école désaffectée, où elle occupe en fait le logement de fonction : on ne fait pas plus pratique. Donc plusieurs pièces, l'une pour les adultes, l'autre pour les enfants, une troisième mitigée, où se font les opérations de prêt, et d'autres salles servent de réserve et d'atelier de préparation des livres et même de catalogage. Une vingtaine de bénévoles fait fonctionner la boutique.
Deux lectures ici. A 16 h, une classe de CM arrive. Ils ont préparé des poèmes, et ce sont eux qui démarrent en lisant en groupe,

Les enfants en train de lire (Photo Laurence Tribert)
et avec émotion, des poèmes de Baudelaire, Verlaine, Du Bellay, et d'un autre poète du XVIIème, si mes souvenirs sont bons.
Le cyclo-lecteur en train de lire (Photo Laurence Tribert)

Puis je leur explique mon projet de cyclo-lecteur, et je m'élance pour une lecture qui se termine par un goûter.

L'assistance (Photo Laurence Tribert)
Ils ont été sages et attentifs, ce que j'apprécie.
A 18 h 15, nouveau public, les adultes cette fois, une vingtaine de personnes dans cette petite salle. Anne-Marie, de la BDP, que je connais depuis 1978 ou 79, a fait le voyage d'Auch. Et, surprise, Béatrice, autrefois à la DRAC de Poitiers, maintenant mutée aux Archives départementales des Landes, est venue de Mont de Marsan avec son fils, pour m'écouter. Nous avons joué au théâtre six ans ensemble, ça crée des liens.
Après un repas à la pizzeria, mon hôtesse m'entraîne au cinéma : on joue L'heure d'été et Charles Tesson, un critique des Cahiers du cinéma, doit animer le débat qui suivra. Une trentaine de spectateurs, dont plusieurs étaient parmi mes auditeurs, pour ce film un peu fragile et frêle, assez joli, qui traite de la transmission du patrimoine, et aussi des secrets de famille. Edith Scob, en mère et grand-mère, est toute en sobriété (elle meurt trop tôt pour mon goût), tandis que son grand dadais de fils (Charles Berling) tente de se débattre pour garder la maison familiale, que ses deux plus jeunes frère et soeur (Juliette Binoche, méconnaissable, et Jérémie Rénier) veulent abandonner, car ils ont besoin d'argent immédiatement. Et la vieille servante s'en va mélancoliquement... Du cinéma fin et intelligent, mais qui aura du mal à toucher un public élargi.



 Et nous rentrons, après avoir assisté à un bout du débat, vers 23 h 30, dans la ville luisante de pluie, et sous une température peu amène : pas vraiment l'heure d'été !




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