mercredi 29 avril 2009

29 avril 2009 : les fausses routes


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J’ai eu une jeunesse d’écervelé. J’ai fait des bêtises. Maintenant, je suis vieux, mal fichu, mais j’ai les yeux bien ouverts. Il me semble que j’ai enfin grandi.
(Timothée de Fombelle, Tobie Lolness, 1 : La vie suspendue)

Nous avons appris récemment une nouvelle expression du vocabulaire médical : la fausse route. Il s’agit d’ingurgiter du liquide, voire des aliments, non par l’œsophage mais par l’autre voie, la trachée artère, ce qui entraîne des difficultés respiratoires et parfois des infections. C’est ce qui arrive assez souvent à Claire.
Combien de fois dans ma vie ai-je eu l’impression de faire fausse route ! Déjà quand j’étais petit, et que je m’obligeais à suivre les autres (adultes ou enfants) dans des activités qui me déplaisaient… Ça ne s’est guère arrangé à l’adolescence, ni à l’âge adulte, car je me suis laissé embarquer sur d’innombrables fausses routes, et quelquefois, je me demande si j’ai opté une fois, une seule fois, pour ma vraie route… Oui, sans doute, le jour où j’ai décidé de faire des enfants, de les aider à grandir, à trouver leur route à eux, moi qui avais eu tant de mal à dénicher la mienne… Ou bien quand j’ai porté ce projet de cyclo-lecture… Ou quand je choisis mes amis, encore que là aussi, il y aurait beaucoup à dire… Enfin, peut-être que maintenant, j’ai – enfin – grandi !
Mais les fausses routes sont innombrables, vrais pièges que la vie nous offre à profusion : même la consommation, qui nous pousse à avoir toujours plus (et à être de moins en moins, n’est-ce pas, Romain Rolland : "Moins j‘ai et plus je suis" écrit-il dans Colas Breugnon), a réussi à me prendre aussi dans ses douteux traquenards, au moins dans un domaine. J’ai en effet acquis des quantités de livres, soi-disant à lire à ma retraite. Je sais maintenant que, pour la plupart, je ne les lirai pas. Non pas que c’étaient de mauvais livres, au contraire, dans leur écrasante majorité, ils sont tous intéressants, à un titre ou à un autre. Seulement, je suis à l’âge où, le temps pressant, les lectures doivent se limiter à l’essentiel : relire les grandes œuvres qui nous ont marqué et façonné, lire celles qu’on a omises pour une raison ou pour une autre, lire aussi quelques nouveautés pour ne pas être uniquement victime du passé, lire ce que nous recommandent les rares amis qui nous restent, pour faire un bout de route avec eux.
Car se réfugier dans le passé est aussi une fausse route. J’en parle souvent, trop, c’est vrai, comme tous ceux qui parviennent à mon âge et qui n’ont donc plus beaucoup d’avenir. Mais en réalité, seul le présent compte. Et, après tout, nous avons un présent, même s’il est parfois misérable ou douloureux.

Un jeune (tout est relatif, il doit avoir une petite cinquantaine) collègue m’a conseillé la lecture de Tobie Lolness, un roman de Timothée de Fombelle, paru en deux volumes chez Gallimard en 2006 et 2007, réédité en un seul gros volume en 2008. Je ne croyais franchement pas les auteurs français capables de réussir la création d’un monde imaginaire totalement original. En effet, ça raconte l’histoire d’humains absolument minuscules (un ou deux millimètres de hauteur, Les gnomes de Terry Pratchett, Les chapardeurs de Mary Norton et Nils Holgersson sont largement battus) qui vivent dans les arbres, et la lutte de certains d’entre eux pour se libérer de la dictature établie par un certain Jo Mitch (son nom complet fait référence à celui de Staline). C’est à la fois un formidable roman d’aventures, un émouvant roman d’amour et un roman écologique, car Tobie et ses amis luttent pour que l’arbre se maintienne en vie, au contraire du dictateur pour qui seule compte la puissance, au détriment de la vie. C’est tout bonnement magnifique. Christian G. m’a proposé ça quand je lui ai dit que je lisais des romans à haute voix à Claire. On vient d’achever Nils Holgersson, sur lequel j’écrirai un de ces jours. Je lui lis maintenant Les rois mages de Michel Tournier, superbe également. Je crains malheureusement que Tobie Lolness, dans sa complexité (nombreux personnages, construction savante avec pas mal de retours en arrière) ne puisse lui convenir. Je vais donc suggérer à Mathieu, qui arrive vendredi, de le lire d’abord et de me dire si ça lui paraît jouable, ou si ça ne risque pas, justement d’être une fausse route.
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Car malheureusement, Claire s’affaiblit de jour en jour et sa capacité d’attention est de plus en plus indécise. Est-ce grave ? Non. Disons avec le poète : "A vouloir tout laisser notre avoir est immense" (Pascal Commère, Ici).

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