mercredi 15 avril 2009

15 avril 2009 : une rencontre

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Ma nuit était peuplée
(Laurence Tardieu, Rêve d’amour)

Oui, cette nuit était peuplée et, réveillé dès trois heures et demi, Claire toussant, je ne me suis pas rendormi. Peuplée peut-être de cauchemars, je sais que j’ai rêvé, mais ne me souviens de rien. Peuplée aussi des ombres nocturnes, de la maladie qui rôde, de la souffrance que j’ai pu observer hier en prison. Car nous avions invité un écrivain contemporain, une jeune femme de trente-sept ans, Laurence Tardieu, assez courageuse pour aller à la rencontre des démunis de tout, de liberté, de droits (c’était évident au quartier des femmes), de culture, de mots aussi.
Laurence a lu des extraits assez longs de deux romans au quartier des hommes, Puisque rien ne dure et Rêve d’amour. Les hommes se sont montrés sensibles à la qualité de l’émotion qui se dégageait de l’écriture et de la voix de l’auteur. Malgré leur faible degré de culture, ils ont intégré le message d’amour et de solitude que révélaient ces extraits. Chez les femmes, elle a choisi de lire le début de son dernier livre, récemment paru, Un temps fou (Stock), puis, devant l’absence de réactivité, le texte étant jugé trop peu réaliste, entaché de romantisme, de rêve (donc trop éloigné de leurs conditions de vie actuelles, très dures et qui prédisposent peu au rêve) – et personnellement, malgré le côté charnel, je l’ai trouvé effectivement abstrait – elle a enchaîné sur un de ses premiers livres, Le jugement de Léa. Là, le contact a été immédiat, et deux détenues se sont précipitées pour réserver deux livres de l’auteur. Car en prison, il y a des jours pour emprunter, et là, tout de suite, elles n’avaient pas le droit, il fallait le réserver pour lundi prochain, seul jour où elles ont le droit d'emporter des livres en cellule !
Il se trouve que je venais justement de lire Puisque rien ne dure, ce qui m’a permis de faire un jeu de mots à l’auteur, en y ajoutant sauf la chose imprimée
*

Geneviève et Vincent ont vu leur vie s'écrouler le jour où leur fille Clara, dix ans, n'est jamais rentrée de l'école. Leur amour n’a pas pu résister, ils se sont quittés et ne se sont pas revus depuis. Il est vrai qu’il est difficile de survivre quand on ne sait rien de ce qu’est devenu son enfant ("Mais qu'avons-nous fait pour mériter cela ?") ? Enlevée ? Assassinée ? La police finit par renoncer : nous ne sommes pas ici dans un roman américain ou dans un film de Clint Eastwood (je pense à L'échange), les parents ne mènent pas leur propre enquête, ils sont effondrés. Chacun se replie sur sa douleur ou son incompréhension, sur l’impossibilité de communiquer ("Nous n’osions rien demander à l’autre" écrit l’auteur dans Rêve d’amour, mais c’est exactement la même chose ici), sur son propre désespoir.
Quinze ans plus tard, Vincent, le narrateur, reçoit une lettre de Geneviève, elle est en train de mourir, elle souhaite lui parler. Il part aussitôt la retrouver ("Je comprends que je ne peux plus me dérober"), et les souvenirs ressurgissent. Vincent avait définitivement tiré un trait sur ce passé. Mais peut-on effacer tout un pan de sa vie d’un coup de baguette magique ?
Puis nous suivons le journal de Geneviève, celui qu’elle a tenu dans les semaines qui ont suivi la disparition de Clara, ses doutes, ses colères, ses angoisses. Journal qui lui a permis de relativiser sa détresse, sinon de la surmonter.
La dernière partie, enfin, raconte les retrouvailles de Geneviève agonisante ("Tu sais, je suis déjà un peu partie") et de Vincent ("Mes mots à moi sont impuissants"), narrée par ce dernier. Ils se retrouvent enfin et Vincent peut reparler de sa fille à jamais perdue, même si "la lumière ne se dissipe pas. Elle demeure en silence".
Le sujet du livre est délicat, la perte d'un enfant et la déroute de l’amour. Laurence Tardieu trouve le ton juste. Douceur, pureté des lignes, simplicité, émotion assurée, mais absence de pathos ("J'essaie de me dire que tu es en train de mourir mais je n'arrive pas à comprendre ce que cela signifie"), la paix finit par arriver. "On ne sait rien de la vérité d’un amour", avait écrit Laurence Tardieu dans Rêve d’amour. Vincent comprend que le bonheur enfui ("Car de quoi se souvient-on avec précision ?" trouve-t-on aussi dans Un temps fou) laisse quand même une forte empreinte, et qu'en fin de compte, ils ont partagé beaucoup : "Nous étions deux, nous étions ensemble", lit-on aussi dans ce dernier roman.
Ainsi d’un livre à l’autre une circulation se fait, l’amour, la solitude, les "instants que l’on croyait inoubliables", tout cela trouve son salut dans l’écriture : "Je ne savais pas que les mots peuvent sauver. Aujourd'hui je le sais : ils maintiennent le lien à soi". On pourra trouver ce roman un peu triste, mais les retrouvailles sont magnifiquement retranscrites : Geneviève murée dans sa solitude, Vincent dans sa carapace d’oubli, se retrouvent capables d’affronter les fantômes du passé. Et l’espoir reste, malgré tout, car "l’homme croit aux miracles". La vie peut renaître.
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Oui, il faut croire au miracle, en dépit de tout, la maladie, la douleur, l’enfermement, la honte, le déshonneur, la séparation, la mort.
Merci, Laurence.



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