vendredi 3 juillet 2009

27 juin 2009 : adieux à Claire

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L’adieu a été beau, je crois, en tout cas, beaucoup d’assistants m’ont dit leur émotion. Aussi, je vous livre les textes lus.
Celui d’Anne tout d’abord.
Ma sœur tant aimée, ma chère marraine,
Pendant toute mon enfance, tu as été ma moitié. Plus tard, tu es devenue une deuxième maman pour moi. Tu as toujours su m’écouter avec beaucoup d’attention, patiemment, me comprendre et me conseiller avec beaucoup d’amour et de sincérité. Tu étais donc un guide irremplaçable pour moi, toujours là pour m’épauler. Puis tu as fait face à cette terrible maladie, si destructrice, avec un immense courage et beaucoup de dignité ; tu l’as apprivoisée, tu as appris à vivre avec et tu nous as appris à l’accepter. Puis tu es allée beaucoup plus loin encore, là où peu de personnes osent aller : tu as tenu à nous préparer à ton ultime départ, tu nous l’as fait regarder en face pour nous aider à moins souffrir aujourd’hui. Ta volonté de fer pour nous entraîner dans ton sillon pour nous préparer à cette séparation fut incroyable. J’ai encore tellement appris à ton contact ces derniers mois, tu m’as offert des moments de partage exceptionnels à tes côtés, toi qui te croyais devenue inutile. Alors merci pour tout, Claire, tu as tellement mérité le repos à présent. Je te confie une dernière mission : embrasse bien papa et maman pour nous. Le moment de la séparation est arrivé, je t’emporte dans mon cœur, maintenant j’ai confiance, je sais que tu chemineras encore et toujours à nos côtés et je suis enfin sûre que tu ne souffres plus.
Avec Jean-François, Marie et toute la famille, nous voudrions aussi rendre hommage à Jean-Pierre, à Mathieu et à Lucile pour leur courage exemplaire, leur patience et leur dévouement exceptionnels, leur amour sans limite et pour tout ce qu’ils ont enduré si dignement. Claire était rassurée et sereine à vos côtés, toujours à la maison comme elle le souhaitait tant. Merci à vous infiniment de l’avoir si bien accompagnée jusqu’au bout, avec tant de sacrifices, et d’avoir respecté ses dernières volontés.
Claire, tu m’as fait un ultime cadeau : tu m’as appris à profiter de l’instant présent et à réaliser chaque jour nouveau la chance que j’ai d’être encore en bonne santé, encore en « bon état de marche ». C’est un cadeau particulièrement précieux et j’aimerais le partager avec vous tous ici présents car il est plein de vérité et d’espoir et source de bonheur chaque jour.
Merci Claire, je t’aime.
Anne

 Tableau peint par Claire

Le nôtre, les textes encadrant étaient de Christian Bobin.

Dit par Lucile

Mon Dieu, pourquoi avez-vous inventé la mort, pourquoi avez-vous laissé venir une telle chose, elle est si douce la vie sur terre, il faudra que votre paradis soit éblouissant pour que le manque de cette vie terrestre ne s’y fasse pas sentir, il faudra que vous ayez du génie pour me donner une joie aussi pure que celle de l’air frais d’une matinée d’avril, oui il faudra que vous ayez beaucoup de talent donc d’amour pour que, dans votre paradis, aucune nostalgie ne vienne de cette vie-là, blessée, petite, muette.
(Christian Bobin, Autoportrait au radiateur)

Écrit et dit par Jean-Pierre

J’ai coutume de dire, en dépit des relativement longues études que j’ai faites, de mes nombreuses lectures, de ma culture largement autodidacte, que j’appartiens à ceux d’en bas. De par mes origines, d’abord, ouvrière et paysanne. Et de par mes désirs aussi. Quand je vois ceux qui se sont élevés, poussés au sommet, et de quelle façon ils marchent sur les autres et les écrasent, je dis comme Cyrano de Bergerac : « non, merci. »
Claire, c’est toi qui me fais repenser à tout ça. Tu as eu rarement la parole dans ton existence, et tu as toujours fait partie de ceux d’en bas, de ceux dont la vie fut blessée, petite, muette. Pourtant, tu étais tout hymne à la vie. Tu as insufflé de la vie, à moi d’abord, à nos deux enfants, mais aussi à tous ceux que tu as croisés sur ta route trop courte. Je repense par exemple à tout ce que tu as donné à Amiens, bénévolement, dans le cadre d’ATD-Quart-Monde, ou ici à Poitiers, à l’association Aides, sans oublier des associations moins directement humanitaires comme la Ligue de protection des oiseaux ou celle des Croqueurs de pommes. Et aussi l’aide ponctuelle, plus cachée, que tu as apportée à des déshérités de la vie, venus en France et ne trouvant pas toujours ailleurs une oreille attentive.
Et pourtant ta place dans la société te semblait contestée, tu étais sans cesse soumise à des questionnements auxquels tu ne trouvais pas de réponses. On – moi en tout premier peut-être – ne s’est pas assez soucié de ta dignité, du respect qui t’était dû, et tu redoutais les détenteurs de certitudes, toi qui étais seulement en recherche de vérité. Et tu te méfiais de la raison, et faisais tien le mot de Levine dans Anna Karénine : « tout ce que je sais m’a été donné, révélé par le cœur. » De ce fait, tu étais très vulnérable.
Et encore récemment, tu as bien vu que ta volonté propre était considérée comme inconvenante, déplacée, choquante. Oui, tu aurais souhaité qu’on t’abrège une vie, devenue à charge pour toi aussi, pas seulement pour les autres. Tu pensais avoir suffisamment vécu, estimant comme Montaigne (trad. Guy de Pernon) : « Quel que soit le moment où votre vie s’achève, elle y est toute entière. La valeur de la vie ne réside pas dans la durée, mais dans ce qu’on en a fait. Tel a vécu longtemps qui a pourtant peu vécu. Accordez-lui toute votre attention pendant qu’elle est en vous. Que vous ayez assez vécu dépend de votre volonté, pas du nombre de vos années. Pensiez-vous ne jamais arriver là où vous alliez sans cesse ? Il n’est pas de chemin qui n’ait d’issue. » (Les Essais, Livre2, 13).
Finalement, tu étais comme en état d’insurrection, dressée sur une barricade, et les coups ne t’ont pas été ménagés ; tu les recherchais peut-être. Certes, tu as échappé longtemps aux balles, comme Gavroche. Mais tout a une fin, et, comme pour Gavroche, une balle mieux ajustée a eu raison de toi. Tu aimais particulièrement cet épisode des Misérables : la mort de Gavroche ; toi aussi, devant les balles qui tombaient dru, tu t’écriais :
– Eh bien, il pleut. Après ?
Et tu continuais à ramper, galoper, glisser, onduler pour échapper à la mitraille. Et à chanter aussi, fée jouant à cache-cache avec la mort, ramassant les cartouches de la vie pour en remplir des musettes d’espérance que tu nous as laissée à profusion.
Tu ne croyais pas, au sens strictement chrétien du terme, c’est-à-dire à la résurrection ou à la vie éternelle. Mais tu appréciais la prière, le culte protestant quand tu pouvais venir au Temple, ou bien tu l’écoutais à la radio ; tu aimais l’atmosphère recueillie et simple que l’on trouve ici, tu aimais la méditation des pasteurs, la communion telle qu’elle est pratiquée ici, par l’Eglise Réformée, sous les deux espèces. Tu avais ta foi à toi, le sens du don et de l’amour.
Allant jusqu’à vouloir donner ton corps à la science, comme si tu ne t’étais pas assez donnée dans le cours de ta vie. Oui, Claire, tu as beaucoup donné, j’ose croire que tu as beaucoup reçu aussi. Tu as, plus que bien d’autres, appliqué sans te lasser la parole de Saint Jean dans sa 1ère Lettre (3, 16-18) : « Celui qui n’aime pas reste dans la mort. […] Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Mes enfants, nous devons aimer : non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. En agissant ainsi, nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité… »
Claire, tu as aussi vérifié concrètement ce mot de Tolstoï dans une de ses dernières lettres, écrite peu avant sa mort, et adressée à Gandhi : « L’amour, ou, en d’autres termes, l’aspiration des âmes à la communion humaine et à la solidarité, représente la loi supérieure et unique de la vie… »
Maintenant que le grand silence est arrivé, « pas du tout le même silence qu’auparavant, un silence, comment dire : assourdissant », Claire, tu peux tout de même être fière. Tu as rejoint Gavroche et les autres héros de la littérature que tu admirais. Tu ne redoutais pas la mort, que tu appelais le grand départ, quand nous en parlions ensemble, et je crois pouvoir dire que la tienne aussi, ta petite grande âme, s’est envolée. Elle flotte autour de nous et nous accompagnera encore pour le bout de chemin qui nous reste à faire, jusqu’à notre grand départ aussi, où nous te rejoindrons.
Montaigne nous a appris que « philosopher, c’est apprendre à mourir. » Le poète portugais Eugenio de Andrade, lui, nous dit que « apprendre à aimer, c’est apprendre à mourir. » Claire, tu nous as appris à aimer, et c’est par amour que tu as préparé ton départ, que tu refusais le déni de ta mort prochaine. Avec ton exemple, je pense que nous saurons, nous aussi, le moment venu, préparer notre grand départ.
Avant de passer la parole à Mathieu pour conclure par une nouvelle citation de Christian Bobin, je voudrais remercier ici du fond du cœur tous ceux qui t‘ont accompagnée pendant ces cinq longues années, tous ceux qui ne t’ont pas abandonnée, tous ceux qui ont su t’apporter un peu de réconfort, d’espérance : la famille proche ou lointaine, les amis d’ici qui venaient régulièrement, ou ceux qui faisaient un long voyage pour te soutenir, les voisins et commerçants du quartier, le pasteur et la communauté protestante, les membres des chœurs auxquels tu as participé, les collègues, les membres d’associations dont tu as fait partie : croqueurs de pommes, sakuraï, association pour le droit de mourir dans la dignité, ligue de protection des oiseaux – si vous saviez comme ces visites, ces rencontres, qu’elle redoutait pourtant à cause de la dégradation et de la déchéance de son corps, lui ont été précieuses – et je n’aurai garde d’oublier de remercier ton médecin traitant et l’extraordinaire équipe d’infirmiers du service d’hospitalisation à domicile, qui nous ont été d’un grand secours physique et moral dans les terribles épreuves de ces trois derniers mois. Je ne cite personne en particulier, mais à tous, merci.

Dit par Mathieu

Il y avait en elle le calme de ceux qui approchent de leur fin, le devinent et ne s’y opposent plus : ils sont comme des voyageurs épuisés, debout encore pour peu de temps, leur main gauche appuyée sur la frêle paroi de la vie – et ce toucher leur donne connaissance d’une autre chose dont nous ignorons tout.
(Christian Bobin, Autoportrait au radiateur)

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