dimanche 27 septembre 2009

23 septembre 2009 : la centenaire et les mousquetaires



Lèvres de l'avenir, ouvertes dans l'automne
je voudrais vous presser pour entendre mon sort
(André Frénaud, Les rois mages)

Après la lecture mémorable de lundi (Mauzé-sur-le-Mignon), au restaurant Le Coq hardi, où plus d'une personne sur deux m'a acheté un livre (on va en manquer, et l'éditeur n'en a plus !), je suis parti chez mes amis R., à Angoulins-sur-Mer.
Le mardi matin, un soleil vertigineux déchirait le ciel, j'ai pris mon vélo, commencé par acheter un anti-vol qui conviendrait aussi bien à une moto, mais que ne ferais-je pas pour mon Pégase (1,50 de long, il peut englober les deux roues, et son épaisseur est redoutable), fait mon émission de radio sur RCF La Rochelle (en fait trois enregistrements de huit minutes qui passeront à huit jours d'intervalle, trois mardis soirs de suite), et passé une merveilleuse journée, à déambuler ensuite dans La Rochelle, en compagnie de Marc et de Yolande. C'était la journée sans voitures. Une des rares villes – peut-être la seule – à garder cette tradition trop récente ; bien entendu, j'étais arrivé à vélo, et ravi de voir piétons et cyclistes, incroyablement détendus, arpenter la ville. On découvrait la patience du temps. Notre regard était devenu comme sourd. On s'arrêtait au fond de la mer, ou du parc, ou des arcades, vêtus de flaques de soleil et d'ombres.
Nous avons pris le bus de mer pour traverser le port, de la Médiathèque jusqu'au cours des Dames, non loin de la Tour de la Chaîne, ainsi que celui (plus long) qui va de ce dernier lieu jusqu'au port des Minimes. Les transports en commun étant gratuits ce jour-là, nous avons pu profiter de ce magnifique système, qui fonctionne à l'électricité grâce à des panneaux photo-voltaïques situés sur le toit. Sur le cours des Dames, il y avait aussi de nombreux véhicules électriques en exposition et démonstration. Place de Verdun, un parcours pour tester le vélo électrique a attiré notre attention.
Nous avons mangé dans un curieux établissement, la Pension Chemin, une pension de famille comme on n'en voit plus, et qui a réveillé ma mémoire en sommeil, cette Villa Formose, où j'ai vécu lors de ma première année d'étudiant à Pau. La Pension Chemin est en fait un restaurant pour employés (surtout, d'après mon estimation) et ouvriers, où l'on est servi très rapidement par toute une famille qui s'étend sur quatre générations. Bien sûr, ce n'est pas gastronomique, mais c'est génialement bon marché et pratique pour les repas de midi des travailleurs de proximité. L'ami Gilles me l'avait montrée quand j'étais venu passer quelques jours à Angoulins en août, et j'avais hâte de découvrir cette rareté.
Après avoir remercié mes hôtes, je suis revenu dans le Marais le lendemain matin, à vélo bien entendu, donnant mon corps à la main du soleil frais du matin. Passage à Benon où je découvre ce que je crois, vu de loin, être une lanterne des morts. En réalité, il s'agit d'une construction assez récente (1877) destinée à supporter une horloge offerte par l'avocat de la commune ayant obtenu des dommages et intérêts, à la suite d'un procès contre une aristocrate locale, qui voulait imposer sa présence partout. Le curé de la commune ayant refusé que l'horloge soit mise au fronton de l'église (sans doute pour ne pas froisser la noble dame), une tour fut projetée par le conseil municipal (à une faible majorité) pour supporter la fameuse horloge. D'une hauteur de dix-huit mètres, la tour coûta cinq fois plus cher que l'horloge. Le peuple l'appela donc la Tour des six sots (par allusion aux conseillers municipaux qui avaient voté le projet). Un peu plus loin, à Courçon, c'est le marché. Affamé, je vais à la boulangerie, puis chez le marchand de journaux où j'ai le plaisir d'apercevoir mon livre sur les rayonnages.
Mais c'est mercredi, mon jour des maisons de retraite dans mon périple maraîchin. C'est Mauzé qui s'y colle aujourd'hui.
Je les ai tout de suite reconnus, à l'écart des dames, tout à ma droite : le long et fin, c'est bien sûr Aramis ; le gros un peu essoufflé, voici Porthos, et cet autre, au port altier, voilà Athos. Ces trois-là ont l'air de s'entendre comme larrons en foire (« un pour tous, tous pour un »), tout en zieutant ces dames qui arrivent une à une, à pied, en déambulateur ou en fauteuil roulant. Et un peu à l'écart, le quatrième, c'est D'Artagnan, évidemment, le protecteur de la veuve et de l'orphelin, qui s'est installé à côté d'une délicieuse vieille dame (oh, qui me semble bien vieille, comme un oiseau sans ailes), et qui la couve comme s'il observait le dos nu de Milady, espérant peut-être trouver encore une aventure à raconter bientôt en paradis.
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J'attends patiemment que tous arrivent, il faut bien vingt minutes. Les hommes, plus jeunes, plus véloces et plus pimpants, ont l'air très satisfait de ceux qui sont arrivés par eux-mêmes, caracolant à travers les couloirs de l'établissement, tandis qu'une majorité des dames, sans doute en moyenne plus âgées, sont amenées par le personnel, aides-soignants et animatrices.
J'ouvre les clés qui ouvrent sur les rêves, je leur annonce le programme, La Fontaine, pour les mettre en condition et leur rappeler de bons souvenirs, puis Victor Hugo, et pour finir, deux histoires plus modernes, La case numéro 8, de Georges Bonnet, et Les deux pauvres, de Léon Frapié. Cette dernière histoire les bouleverse, ils ont déjà versé quelques larmes et soupiré aux malheurs de Cosette et de Gavroche. Mais eux, qui n'ont plus droit aux animaux de compagnie, s'émeuvent davantage de cette histoire d'un gamin que la pauvreté contraint à vendre le chien familial pour tout simplement faire survivre sa famille. Par moments, et malgré le micro qu'on m'avait donné pour que tout le monde m'entende, j'ai pu toucher le silence où se dépliait de temps en temps un soupir. Certains se balançaient dans un monde immobile, d'autres avaient le pied songeur.
En tout cas, au goûter qui suit, et tandis que je serre la main de chacun d'eux, avec un petit mot de ma part, j'entends quelques remerciements, dans des souffles discrets. Aramis me dit, la voix énamourée, en me montrant la vieille dame qui jouxte D'Artagnan : « C'est notre centenaire ! » Et l'on sent à quel point il a trop envie, lui aussi, d'atteindre ce grand âge. Que lui reste-t-il, dix, quinze ans ? C'est difficile à dire. Le poids de cet inconnu l'obsède. Porthos et Athos opinent du chef. L'animatrice ajoute, en parlant de la centenaire : « Madame C. a beaucoup aimé ». J'avoue ne pas avoir compris ce qu'avait répondu la vieille dame à mon mot. Il ne doit plus lui rester beaucoup de dents, et il doit falloir être habitué à son écoute pour comprendre ce qu'elle dit.
Décidément, ce séjour dans le Marais me dope étrangement. Peu à peu, je récupère un moral de fer. Le vélo et le grand air (ah ! dormir sous la yourte !) y sont sans doute pour quelque chose, mais les rencontres, l'amitié qu'on m'octroie (Claude et Virginie, Marc et Yolande, et les autres), le partage que je propose à travers ces textes, y sont pour beaucoup. Il me semble parfois que le feuillage de ma voix prend les couleurs des paysages que je traverse.

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