dimanche 27 septembre 2009

25 septembre 2009 : la "star hollywoodienne"



La vie est-elle merveilleuse ou absurde ? Tantôt l'un, tantôt l'autre ; bien souvent, les deux à la fois.
(Jacques Brosse, Le bonheur-du-jour)

Après un bref intermède à Poitiers, me voici de retour, avec Lucile, pour une lecture à Arçais, où l'on attend avec impatience une « star hollywoodienne » (Valentin, onze ans, dixit).
Maintenant que le chagrin ne creuse plus autant sa source, que les nuages semblent s'éloigner dans le vaste champ des étoiles (toujours un temps superbe et des ciels encore très noirs, mais fourmillant de clignotements et avec un début de croissant lunaire), que le souffle de la vie fait fuir les douleurs, que j'ai suffisamment bu aux franges de l'éternité, je me sens presque hanté. Et cependant, serai-je à la hauteur de l'attente suscitée ? C'est que je ne voudrais pas le décevoir, Valentin !
On organise la salle des fêtes, de manière à ce que le public soit proche. Et j'ai décidé de lire debout. Désormais, depuis ce lundi mémorable de Mauzé, où je me suis soudain dressé après la lecture de mon premier récit, j'ai vraiment l'impression, dans cette position, de me glisser dans les interstices du monde, et d'être . Assis, je ne m'en étais pas rendu compte auparavant – et c'est l'ami Claude, en bon professionnel de la scène, qui m'en a fait prendre conscience – je suis en quelque sorte en oblique, le souffle sort mal, la bouche ne se charge pas des soleils noirs ou des étoiles rouges qui portent, le regard est trop éloigné du public qui, parfois, caché derrière le rang précédent, doit se contorsionner pour m'apercevoir. Et puis, on lit aussi avec son corps tout entier, pas seulement avec la bouche. Donc, debout, le mort ! J'ai lu debout aux ancêtres de la maison de retraite mercredi, les trois mousquetaires en ont été ragaillardis, il faut continuer...
Et puis Lucile est là. Certes, elle m'a déjà entendu, à la Bibliothèque universitaire en mai 2007, dans une maison de retraite poitevine en décembre 2008... Sans compter les nombreuses lectures à haute voix de l'enfance et des vacances, des contes ou albums, et aussi des romans lus entiers (les fabuleux Magicien d'Oz et Danny, le champion du monde, par exemple). Il faut qu'elle voie que son père va mieux.
Et la foule afflue. C'est un torrent, il faut rajouter des chaises. B, le correspondant du Courrier de l'ouest, qui a fait un beau papier avec photo couleur dans son canard, a décidé de rester. Il y a quelques enfants, Claude et Virginie, bien entendu, le maire de la commune (ce n'est pas si fréquent !), les bibliothécaires bénévoles qui me font dédicacer l'ouvrage de la bibliothèque, Jean-Paul B., le concepteur de l'affiche de ma tournée (un ancien du CAFB qu'il a réussi en 90/91 sous ma direction, on ne s'était pas revus depuis, mais je l'ai instantanément reconnu !), bref, plus de trente personnes...
Je lis Les trois questions, un beau conte de Tolstoï, en montrant au fur et à mesure les illustrations, Une victoire en papier, de Ludmila Oulitskaïa, puis Nulman, de Christophe Lemoine (Thierry Magnier éd.), une parodie désopilante de Superman, Spiderman and Co. Et j'arrête là. J'avais encore un récit en réserve, je le garde pour une autre soirée. Je suis défoncé, je n'en peux plus. Comme si la parole m'avait déserté. Claude complète la soirée en lisant cette fois deux extraits de mon livre !
Le pot qui suit est plus long que de coutume, les gens restent. Je renoue avec Jean-Paul, toujours aussi sympathique. Je dédicace. Il y a d'ailleurs là plusieurs personnes de mon fan club (notamment un couple qui m'a écouté à Sansais et à Coulon, et qui doit revenir la semaine prochaine à Saint-Georges-de-Rex). Au fond, Valentin ne se trompait pas tout à fait. Je suis presque une star !
En rentrant chez Claude pour dîner, nous regardons la nuit glisser, Lucile et moi, et je suis un peu engoncé dans mes songes. Un couple, nouveau dans le pays, se joint à nous. Lui est artiste, devenu sur le tard professeur d'art plastique dans l'éducation nationale, et raconte des anecdotes savoureuses sur les expositions, parfois nationales comme une fois au Grand Palais, où on lui a refusé l'entrée pour le vernissage, car il n'était pas en queue-de-pie ni sa femme en robe-fourreau (leur location coûtait à l'époque 8000 francs, et ils n'avaient pas les moyens de louer ce genre de costume). De son côté, elle raconte la souffrance au travail (et je pensais aux gens de France Télécom). Des gens passionnants, au regard lumineux, comme lavé par des étoiles.
Et malgré le sommeil au long cours qui commençait à me gagner, j'appréciai cette rencontre inattendue, au carrefour des ombres de la nuit. Tout de même, pensais-je, Claude et Virginie ont des amis exceptionnels, et savent être rudement ouverts au contact de l'inconnu. Car c'était la première fois qu'ils voyaient ce couple ! Dans le brouillard balbutiant de la foule, ils savent repérer ceux qui sont seuls et ont besoin de s'exprimer, d'exister...
Inutile de dire combien leur amitié m'honore !
Et nous finissons dans la fameuse yourte, Lucile et moi, pour une nuit superbe, au chaud sous la couette. La yourte, en toile de coton biologique, avec isolation de chanvre et de laine, structurée par une ossature de perches et de croisillons en frênes du pays et pins Douglas du Limousin, avec un œilleton central en vinyle transparent qui offre un bel éclairage, est une habitation très agréable. Elle est entièrement démontable, et le sera d'ailleurs après le 15 octobre. Les gérants du camping ont créé un atelier de fabrication de yourtes et tipis à Arçais. Ils peuvent donc en fabriquer sur demande, en louer aussi, et on peut venir passer quelque temps au camping entre le 1er mai et le 15 octobre (allez, un peu de pub : http://www.lafrenaie.org/index.php). Des gens dynamiques, un lieu magique et chaleureux, où la lumière vient nous mordiller pour nous réveiller, avec le chant des oiseaux en prime et le balancement des feuilles dans la brise.
Et me voici soudain qui sent pousser mes ailes, loin des déchirements anciens. Revenu à Poitiers, je n'y trouve plus le vide ou le silence qui m'oppressaient. Je suis habité.


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