jeudi 1 octobre 2009

30 septembre 2009 : une lettre



Prendre le temps de respirer, se donner une pincée de minutes pour se reposer, remplir ses poumons d’au moins vingt tonnes de souffle afin de déchirer à nouveau sa voix dans les haillons de la nuit.
(Florent Couao-Zotti, Poulet-bicyclette et Cie)

Ma tournée se poursuit avec des hauts, ce mercredi à la Maison de retraite de Vix, et des bas, comme lundi soir avec les cinquante enfants de sixième réunis sous la yourte. Je ne suis décidément pas fait pour la foule, et peut-être pas pour des groupes d'enfants, en tout cas de cette dimension.
Et entre les deux, j'ai encore passé une journée sur les routes, à rallier La Rochelle, où attablé sur le vieux port, j'ai écrit quelques lettres et cartes postales, comme autant de bouteilles à la mer, comme autant de fleurs que j'aurais brassées pour un bouquet heureux, comme un aperçu des coups de vent dont la tiédeur fluide caressait ma main en train d'écrire, ou comme un écho des mouettes qui criaillaient dans la futaie des mâts légèrement balancés par le flot. J'espère que tous ces courriers ne sont pas inutiles, font respirer un peu de mon humeur, de ce qui m'attache au monde. Quand on est seul, ce qui est désormais mon cas, c'est si important de recevoir une lettre, qui ne soit pas une facture ou une imprimé administratif ou bancaire. Comme on guette le facteur ! Et avec quelle anxiété j'ouvre ma boîte aux lettres à chaque retour à Poitiers, ou bien découvre le tas de journaux, revues et enveloppes que mon voisin (il a mes clés et ouvre la boîte) a disposés sur la commode. Trouverai-je dans le lot une lettre, une carte, de quelqu'un(e) qui pense à moi, de quelqu'un(e) que j'ai suffisamment apprivoisé(e) pour qu'il (elle) sache que je suis seul désormais ?
Bien sûr, je trouve aussi le répondeur téléphonique, avec ses messages. Pas terribles, vraiment, ça ressemble à des voix d'outre-tombe, c'est comme la plaie béante d'un arbre fendu par la foudre, et ça me laisse avec mon âme sur les bras. Tandis qu'avec une lettre – et, ô merveille, j'en avais une, et fort longue, hier au soir, en rentrant du Marais – j'ai aussitôt le cœur qui dévale la pente, les mains qui soliloquent et se battent avec le couteau pour ouvrir l'enveloppe. Comme si cette déchirure ouvrait en moi une autre entaille, celle du temps de l'attente enfin comblée...
Et moi qui vois de plus en plus de gens seuls, comme ces vieillards en maisons de retraite, assez peu visités par leurs familles, je me dis que ça doit leur faire rudement plaisir, une lettre. Parce qu'ils aiment écrire, aussi ! À l'issue de ma lecture, à Vix, j'ai lu deux textes d'Albert, un des résidents, une petite prose qui relatait une matinée passée ici, et un délicat poème sur le chat siamois qui fait partie de la maison. Car, à défaut de chiens, cette maison de retraite a adopté trois chats, sans compter ceux qui viennent rôder alentour, pour le plus grand plaisir des hôtes, comme un reflux pour eux d'un temps venu de loin.
Je ne suis pas Madame de Sévigné, mais je me dis que Madame de Grignan, sa fille, a eu une chance inouïe, d'avoir une mère dont les nombreux courriers faisaient oublier l'absence, en un temps où les voyages étaient rares. Et je m'en veux d'avoir si peu écrit à ma mère, par exemple. Sous le regard d'une lettre (pour elle, c'était l'écoute, puisque depuis dix ou douze ans, elle ne pouvait plus lire), j'aperçois maintenant la clarté qui s'étend autour de soi. La maison en était ce mercredi soir toute illuminée ! Dans le malheur de la nuit de l'absence, une lettre, c'est se savoir plus grand aux yeux de l'autre, c'est le repos immense de la mer quand on ne l'entend plus, c'est un cri qui déchire le silence, c'est la visite invisible de la lumière, c'est le soleil qui fend la glace, c'est la sève des songes qui circule, c'est peut-être, si on y croit, toucher Dieu !
Une lettre, c'est comme une visite à des amis. Et, à Angoulins, avec Marc et Yolande mardi soir, comme à Arçais avec Claude, lundi soir, j'étais comblé aussi. Car il y a dans l'amitié, comme dans les lettres, cette lueur qui nous mordille et qui nous ouvre des horizons proches de l'éternité.


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