jeudi 18 mars 2010

18 mars 2010 : Karukera la belle

la beauté



La littérature était la seule religion de ce jeune homme, avec l’art de flâner. Il passait la moitié de son existence sur la planète des livres. C’est presque la même que la planète réelle, en moins ordinaire et en plus magique.
(François Bott, Paysages parisiens, in Les éclats de rire de la jeunesse à l’arrêt des autobus)


Disons quand même un mot de la Guadeloupe, sinon, on va croire que je n’y suis pas allé. Sans doute la littérature est ma religion, mais je peux y rajouter la rencontre des hommes et des paysages, c‘est-à-dire la planète réelle, qui a sa magie aussi.


un bel arbre près de la Porte d'enfer


On médit beaucoup de la Guadeloupe, sur son prétendu mauvais accueil, sur le soi-disant racisme, la supposée saleté, le service insuffisant… Tout cela est faux. J’ai vécu trois ans ici, je viens d’y passer dix-huit jours. Je n’ai jamais rien relevé de tel. Mais peut-être suis-je moi-même peu serviable, sale, raciste et peu accueillant, et donc je ne remarque pas moi-même ces défauts chez les autres…

Après la pluie de cendres

Voilà : comme la plupart des pays, la Guadeloupe se donne. Eh oui, elle se donne. Mais à condition qu’on se donne à elle, dans une relation d‘égalité, de réciprocité, de fraternité, de sensualité même, en toute liberté. Oui, la Guadeloupe ne se prête pas au visiteur inconsistant, râleur, sans profondeur, arrogant, avide seulement de sable ou de soleil. Mais qui se prêterait à un tel visiteur ? D’ailleurs, dans la vie, si on veut être un tant soit peu heureux, on ne se prête pas, on se donne. En amour, ne se donne-t-on pas, par exemple ? Et totalement ? N’est-ce pas justement parce que dans un couple, l’un des deux se contente de se prêter seulement du bout des lèvres, qu’un beau jour le couple ne fonctionne plus ? Parce qu’on ne se donne pas entièrement dans un travail qu’en fin de compte on finit par en avoir marre ? Oui, on s’est simplement prêté, et ce n’est pas suffisant.

le trou de Man Coco

Dans la découverte d’un autre pays, c’est pareil. Si on veut aller au-delà de la surface des choses, établir une relation durable, c’est comme en amour, on doit se donner, totalement, sans rien laisser de côté, on doit se mêler à lui et surabondamment même. Certains m’ont reproché l’aspect passionnel, presque érotique de mon poème Soleil, publié sur mon blog le 21 février, mais j’ai voulu y exprimer ce don total de la Guadeloupe (Karukera), symbolisée par le soleil (mais j’aurais pu choisir aussi bien un fruit, la papaye, la carambole, la mangue ou le corossol, ou bien un paysage, le volcan, la forêt, les mornes, les lagons, les cascades, les arbres), auquel je me rendais par un don identique et absolu de mon moi : « Je me noie dans les eaux de ton ventre », écrivais-je. Et effectivement, n’est-ce pas ce qui se passe dans l’amour ?

Carnaval

Vous avez compris, qu’au rebours de ses détracteurs, j’aime la Guadeloupe d’un amour intense et vibrant. D’abord parce que c’est petit, Jésus n’aimait-il pas les petits enfants et ne recommandait-il pas de les laisser venir à Lui ? Ensuite, parce que c’est beau : la variété des paysages, des côtes, des montagnes, des îles (c’est un archipel), des plages, de la végétation (le flamboyant aux fleurs rouges, l‘arbre du voyageur, le figuier maudit, les bougainvillées et les hibiscus, les cocotiers et palmiers divers…), de la faune (ah, les hérons pique-bœufs, les iguanes, les mangoustes, les furtifs colibris !), comble le voyageur qui accepte de marcher à pied, de sortir un peu des hôtels quatre étoiles, des routes à grande vitesse (que voit-on d’une voiture ?) et des plages pour attrape-nigauds. Enfin, parce que la population est d’une infinie diversité et, quand elle n’a pas été pervertie par les mirages de l’occident, elle a su garder le cœur pur, l’innocence de l’authenticité, une douceur nonchalante, malgré les souvenirs encore cuisants de l’esclavage (voir mon blog d’hier), et elle se livre volontiers, pourvu qu‘on s‘offre à elle, le cœur vivant. Bref, j’ai fait avec la Guadeloupe une union d’adoption réciproque et vous connaissez l’importance de ce mot dans mon vocabulaire : l’adoption est le plus haut sommet de l’amour. Si l’on veut que l’amour conjugal perdure, on doit adopter son conjoint, que l’amour filial existe, on doit adopter ses enfants, que l’amitié se développe, on doit adopter ses amis, qu’un écrivain ou un livre se donnent à nous, on doit les adopter. L’adoption est le miracle du monde !

la cascade aux écrevisses

Et puis, et puis… Il y a les couleurs, la lumière (et c’est ici précisément qu’on doit se lever matin pour en saisir les nuances et les voir changer), les saveurs (incomparables pour moi qui suis en France un médiocre mangeur et buveur : poissons, viandes, épices, légumes et racines, fruits, sans parler des boissons et du ti-punch qui ne doit pas être pour rien dans les trois kilos supplémentaires que j’ai rapportés de là-bas), les odeurs parfumées qui volètent dans l’air quand on se promène sur les raides sentiers de montagne (mais sent-on quelque chose d’une voiture ?), les sons inédits des grenouilles annonçant le soir qui tombe ou des frôlements du colibri qui s’enfonce dans l’intérieur des fleurs. Voilà, je suis à ma façon devenu un colibri, avec sûrement moins d’élégance et moins de rapidité, qui a cherché, aidé par ses amis de là-bas, à pénétrer le cœur de ce pays, à trouver, derrière les nuances marron des corps, la blancheur limpide de l’âme.

De ma terrasse

Et ce n’est pas fini. Gilbert, le comédien guadeloupéen qui avait fait un spectacle de marionnettes avec Claire (j’ai gardé les marionnettes ici) et m‘avait aidé pour des clubs de lecture à la bibliothèque, avec qui je faisais du jogging sur les hauteurs de Saint-Claude, et que j’ai cherché vainement à joindre pendant que j’étais là-bas, vient de me téléphoner pour me dire qu’il fait une tournée dans les Vosges à la fin du mois. Je vais donc partir prochainement à Épinal pour lui donner le salut posthume de Claire, lui offrir mes deux livres et renouer un lien qui nous fut cher.

La Soufrière dans le soir

C’est ça, la Guadeloupe, quand on s’est donné à elle, elle ne nous oublie pas. N’est-ce pas, Yvon, Michèle, Frédéric, Patricia, Julie, Gilbert, Jean-Pierre et les autres, sans oublier Mlle L., la merveilleuse libraire de Basse-Terre, maintenant âgée de quatre-vingt-dix ans, à qui j’ai rendu visite dans sa maison de Saint-Claude, à deux pas de la nôtre… Vous vous souveniez encore de moi, j’ai pu le vérifier, et vous m'avez donné, beaucoup. Et, pour ne pas vous décevoir, je me suis efforcé de ne pas paraître comme « les gens tristes, qui pleurent sur tout et qui trouvent partout des sujets de plainte », que fustige Sénèque dans De la tranquillité de l’âme.

Un grand moment : le ti-punch (Yvon, au centre)

Tout simplement j’espère vous avoir montré mon amour pour vous et votre pays.

Baignade à Petit Bras David dans la montagne (Yvon au fond, Frédéric, de dos, et Louna)

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