mardi 27 juillet 2010

27 juille 2010 : du voyage

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C'était ça. Il avait trouvé. Une raison personnelle pour naviguer sur la Méditerranée.
Et c'est quoi votre raison personnelle ? demanda Lalla à Diamantis.
Me trouver, je crois.
(Jean-Claude Izzo, Les marins perdus)
Je viens de recevoir les textes destinés à mon stage de lecture à haute voix. Ils sont nombreux, tous ont trait au voyage. Ce qui tombe bien, pour un cyclo-lecteur qui considère qu'on se déplace dans un livre comme dans un paysage.
Je m'interroge, en effet, toujours, sur les raisons qui me poussent à ne pas tenir en place, à aimer les cours d'eau dans lesquels on peut se perdre et rêver, les ciels des jours éclatants ou des nuits chargées de mystère, les montagnes infranchissables en apparence, les collines et les chemins ombreux, les arbres dressés comme des sentinelles droites ou tortueuses, les routes sans fin, enfin la mer et l'océan, non certes pour m'y baigner, mais pour y plonger mon regard et avoir une petite idée de l'infini, de Dieu peut-être.
Sans doute nos nombreux déménagements dans l'enfance m'avaient préparé à penser comme Walt Whitman, qui dans Feuilles d'herbe, affirme : « Parce que, une fois en route, dis-toi qu'on ne s'arrête plus. » Il est vrai que j'ai quand même fini par m'arrêter, par me fixer, à Poitiers. Mais suis-je vraiment arrêté ? Je suis rarement chez moi. Je coule, je roule, je déboule, je chamboule mon emploi du temps, et il me faut une solide invitation pour m'immobiliser enfin. C'est aussi pour cela que je m'impose un minimum de discipline, sinon, je serais un véritable courant d'air, entre chaussures de course et bicyclette, automobile et train, ou simplement marche. Comme si mon destin était d'être celui qui passe, comme un crépuscule permanent, puis disparaît, fleuve interminable dans la verte éternité qui s'efface dans la nuit.
Je suis donc ravi de découvrir prochainement Le Chambon-sur-le-Lignon et la Haute-Loire, même si j'ai déjà traversé ce coin-là en 1973 lors de ma première grande pérégrination à bicyclette (1300 km). Je m'étais arrêté au Puy-en-Velay, dans une belle auberge de jeunesse, où j'avais rencontré Maurice, un Belge des Ardennes qui descendait à vélo en sens inverse, en partance vers le sud. On n'avait fait donc que se croiser, mais j'ai encore un souvenir très vif de la rencontre. Il m'avait incité d'ailleurs à aller visiter sa région qu'il me décrivait avec gourmandise, ce que je n'ai jamais fait, pour l'instant. Ce fut une de ces rencontres sans lendemain comme la vie nous en donne à profusion, notamment pendant les voyages, sans lendemain, mais non sans intérêt.
J'avais déjà pas mal voyagé, traversé la France, en voiture, en train, en auto-stop, à pied, à vélo, découvert l'Écosse, ses montagnes et ses fjords, mais cette première grande randonnée cycliste de trois semaines, avec de grands cols des Alpes (Lautaret, Allos), la superbe descente vers la Durance et les gorges du Verdon, le passage à Manosque et un petit salut à Giono, l'appel du Ventoux (contourné en ce mois de juillet très chaud), la traversée du Rhône impétueux, puis l'Ardèche et le col de Meyrand, enfin, cette arrivée au Puy-en-Velay, m'avait fait pour la première fois prendre conscience d'un vrai voyage : « Finies les petites rêveries sans envergure, Laisse-moi décoller le chassieux de tes paupières, Tu vas devoir t'habituer à l'éclat du soleil à chaque seconde de ta vie. » (Walt Whitman, Feuilles d'herbe)
Sans doute parce que le corps participait du voyage, que je ne me contentais pas cette fois de me laisser transporter... Le corps, même déficient, insuffisant, symbole de notre petitesse (j'ai pu refaire cette découverte sur le cargo cet hiver), mais qui seul permet d'apprécier le cheminement, à la fois extérieur et intérieur, pour dépasser les frontières de la peur. Peur de soi et peur des autres. Peur de l'univers aussi, peut-être.
La vie soudain ouvre grand ses portes, il y a une grâce dans de tels voyages : on randonne, on ne se presse point, l'essentiel n'est pas d'arriver, mais de se laisser ensorceler par la magie de la fraîcheur matinale (car, au contraire des civilisés et de bien des vacanciers, on se lève toujours tôt), de se laisser abandonner aux sensations vibrantes de la respiration qui délivre, de glisser dans l'harmonie énigmatique des monts, des bois, des coteaux, des rivières, et de trouver le sentiment de bien-être, parfois de béatitude, toujours de sérénité, que l'aventure en solitaire nous offre au contact direct de la nature. Il se passe aux moments les plus secrets cette chose inouïe : ce n'est plus nous qui traversons le paysage, mais le paysage qui nous traverse ! Nous devenons arbre, prairie, ruisseau, colline, rocher, fleur... Nous savons – enfin – que nous faisons partie du monde, nous qui en doutions si fortement !

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