mercredi 6 octobre 2010

6 octobre 2010 : mon double



J'ai l'air à la fois d'un vieux cabotin et d'un vieux boucher. Le cœur seul est jeune, et plus jeune que jamais, en dépit de tout, si jeunesse et sensibilité sont synonymes ?
(Gustave Flaubert, Correspondance, Lettre à Léonie Braine, 3 mars 1877)

J'ai été tellement charmé ces derniers mois par la lecture de la Correspondance de Flaubert, véritable autoportrait de moi-même (si ce pléonasme peut être utilisé), que je n'hésite pas à vous en livrer des bonnes feuilles, regroupées par thème. Vous me direz si le portrait est ressemblant, moi, je pense que oui ! Il n'y a pas une phrase que je ne pourrais faire mienne : comme quoi on se découvre aussi en lisant les autres. Et quel bonheur de ressembler à Flaubert : il me reste, maintenant, à écrire aussi bien que lui !
Art : « Jamais la haine de toute grandeur, le dédain du Beau, l'exécration de la littérature enfin n'a été si manifeste. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 13 novembre 1872) « Connaissez-vous dans ce Paris, qui est si grand, une seule maison où l'on parle de littérature ? » (Lettre à George Sand, 21 mai 1870) « Je suis sûr que le public va rester indifférent à cette collection de chefs-d'œuvre ! Son niveau moral est tellement bas, maintenant ! On pense au caoutchouc durci, aux chemins de fer, aux expositions, etc, à toutes les choses du pot-au-feu et du bien-être ; mais la poésie, l'idéal, l'Art, les grands élans et les nobles discours, allons donc ! » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 8 octobre 1859) « Je n'ai (si tu veux savoir mon opinion intime et franche) rien écrit qui me satisfasse pleinement. » (Lettre à Ernest Feydeau, 6 août 1857) « Mais ne lisez pas, comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 6 juin 1857) « se hâter c'est pour moi, en littérature, se tuer. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857) « Goethe s'écriait en mourant : « De la lumière ! de la lumière ! »Oh ! oui, de la lumière ! dût-elle nous brûler jusqu'aux entrailles. C'est une grande volupté que d'apprendre, que de s'assimiler le Vrai par l'intermédiaire du Beau. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance. » (Lettre à Louise Colet, 7 avril 1854) « mais c'est difficile d'exprimer bien ce qu'on n'a jamais senti... » (Lettre à Louise Colet, 22 novembre 1852)
Bonheur : « Le bonheur est un usurier qui pour un quart d‘heure de joie qu‘il vous prête vous fait payer toute une cargaison d‘infortunes. » (Lettre à Louise Colet, 23 octobre 1846) « Le problème n‘est pas de chercher le bonheur, mais d‘éviter l‘ennui. C‘est faisable avec de l‘entêtement. » (Lettre à Louise Colet, 31 août 1846) « Le bonheur est une monstruosité ! Punis sont ceux qui le cherchent. » (Lettre à Louise Colet, 8-9 août 1846)
Bourgeois : « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. ― Voilà la troisième fois que j'en vois. ― Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. ― Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine que l'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au Poète. ― Et il y a de la peur dans cette haine. » (Lettre à George Sand, 12 juin 1867)« Le bourgeois (c'est-à-dire l'humanité entière maintenant y compris le peuple) se conduit envers les classiques comme envers la religion : il sait qu'ils sont, serait fâché qu'ils ne fussent pas, comprend qu'ils ont une certaine utilité très éloignée, mais il n'en use nullement et ça l'embête beaucoup, voilà. » (Lettre à Louise Colet, 22 novembre 1852)
Douleur : « Ne soyez pas complaisantes pour vos douleurs. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 16 janvier 1866) « Je sais bien que la douleur est un plaisir et qu'on jouit de pleurer. Mais l'âme s'y dissout, l'esprit se fond dans les larmes, la souffrance devient une habitude et une manière de voir la vie qui la rend tolérable. » (Lettre à Ernest Feydeau, 26 octobre 1859) « Tu as beau être athée en médecine, je t'assure qu'elle peut faire beaucoup de mal. On vous tue parfaitement si on ne vous guérit pas. » (Lettre à Louise Colet, 7 avril 1854)
Ego : « Au fond de tous nos amours et de toutes nos admirations, nous retrouvons : Nous ! Ou quelque chose d'approchant ? Qu'importe, si nous est Bien ! » (Lettre à George Sand, 23 janvier 1867) « On n'y voit pas toujours clair en soi et, surtout lorsqu'on parle, le mot surcharge la pensée, l'exagère, l'empêche même. » (Lettre à Louise Colet, 19 septembre 1852) « Est-ce d‘avoir plus que jamais touché du doigt la vanité de nous-mêmes, de nos plans, de notre bonheur, de la beauté, de la bonté, de tout, mais je me fais l‘effet d‘être borné et bien médiocre. » (Lettre à Maxime Du Camp, 7 avril 1846)
Ennui : « Et puis je ne suis pas naturellement gai. Bas-bouffon et obscène tant que tu voudras, mais lugubre nonobstant. Bref, la vie m'emmerde cordialement, voilà ma profession de foi. » (Lettre à Ernest Feydeau, 6 août 1857)
Homme : « Et de quoi les hommes peuvent-ils être coupables ? insuffisants que nous sommes, pour le mal comme pour le bien ! » « Il faut, si l'on veut vivre, renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit. L'humanité est ainsi, il ne s'agit pas de la changer, mais de la connaître. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857) « Je suis de la nature des dromadaires, que l'on ne peut faire marcher lorsqu'ils sont au repos et l'on ne peut arrêter lorsqu'ils sont en marche ; mais mon cœur est comme leur dos bossu : il supporte de lourdes charges aisément et ne plie jamais. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857) « L’avenir est ce qu’il y a de pire, dans le présent. Cette question « que seras-tu ? » jetée devant l’homme est un gouffre ouvert devant lui et qui s’avance toujours à mesure qu’il marche. » (Lettre à Ernest Chevalier, 24 février 1839)
Honneurs : « La recherche d'un honneur quelconque me semble, d'ailleurs, un acte de modestie incompréhensible ! » (Lettre à George Sand, 28 octobre 1872) « Quand on a quelque valeur, chercher le succès, c‘est se gâter à plaisir, et chercher la gloire c‘est peut-être se perdre complètement. » (Lettre à Louise Colet, 23 octobre 1846) « Il me reste encore les grands chemins, les voies toutes faites, les habits à vendre, les places, mille trous qu‘on bouche avec des imbéciles. Je serai donc bouche-trou dans la société, j‘y remplirai ma place. » (Lettre à Ernest Chevalier, 23 juillet 1839)
Nature : « En d'autres circonstances, ce pays m'aurait charmé, mais la nature n'est pas toujours bonne à contempler. Elle nous renforce dans le sentiment de notre néant et de notre impuissance. » (Lettre à Edma Roger des Genettes, 3 octobre 1875) « Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension de l'infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et disent à l'Océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu'il faut faire sur la grève ? Il faut s'agenouiller ou se promener. Promenez-vous. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857)
Progrès : « Quel effondrement ! quelle chute ! quelle misère ! quelles abominations ! Peut-on croire au progrès et à la civilisation, devant tout ce qui se passe ? À quoi sert donc la Science, puisque ce peuple, plein de savants, commet des abominations dignes de Huns ! et pires que les leurs, car elles sont systématiques, froides, voulues, et n'ont pour excuse ni la passion, ni la Faim. » (Lettre à George Sand, 27 novembre 1870) « L'industrialisme a développé le Laid dans des proportions gigantesques. » (Lettre à Louise Colet, 29 janvier 1854) « On ne peut malheureusement s'abstraire de son époque. Or, je trouve la mienne stupide, canaille, etc., et je m'enfonce chaque jour dans une ourserie qui prouve plus en faveur de ma moralité que de mon intelligence. » (Lettre à Maurice Schlesinger, 24 novembre 1853)
Repos : « On ne devrait jamais se reposer, car du moment qu'on ne fait plus rien, on songe à soi, et dès lors on est malade, ou l'on se trouve malade, ce qui est synonyme. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 29 juillet 1874) « Toute mon ambition maintenant est de fuir les embêtements. ― Et je suis certain par là de n'en pas causer aux autres, ce qui est beaucoup. » (Lettre à George Sand, 28 octobre 1872)
Sensualité : « Ce qui n'empêche pas Mme Sand de croire que de temps à autre « une belle dame vient me voir », tant les femmes comprennent peu qu'on puisse vivre sans elles. » (Lettre à Edmond et Jules de Goncourt, 12 janvier 1867) « Le sens du grotesque m'a retenu sur la pente des désordres. Je maintiens que le cynisme confine à la chasteté. » (Lettre à George Sand, 22 septembre 1866) « je sais peu d'hommes moins « vicieux » que moi. J'ai beaucoup rêvé et très peu exécuté. » (Lettre à George Sand, 22 septembre 1866) « J'ai pris plaisir à combattre mes sens et à me torturer le cœur. J'ai repoussé les ivresses humaines qui s'offraient. Acharné contre moi-même, je déracinais l'homme à deux mains, deux mains pleines de force et d'orgueil. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 4 novembre 1857) « Moi aussi, je me suis volontiers refusé à l'amour, au bonheur... » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « Je me suis sevré volontairement de tant de choses que je me sens riche au sein du dénuement le plus absolu. J‘ai encore cependant quelques progrès à faire. » (Lettre à Alfred Le Poittevin, 17 juin 1845)
Spiritualité : « Ces gens-là, d'ailleurs, n'entendent rien à l'âme. Je les connais, allez ! » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 6 juin 1857) « Je n'aime point la vie et je n'ai point peur de la mort. L'hypothèse du néant absolu n'a même rien qui me terrifie. Je suis prêt à me jeter dans le grand trou noir avec placidité. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « La conception du paradis est au fond plus infernale que celle de l'enfer. L'hypothèse d'une félicité parfaite est plus désespérante que celle d'un tourment sans relâche, puisque nous sommes destinés à n'y jamais atteindre. » (Lettre à Louise Colet, 21 mai 1853)
Vieillissement : « Il me semble, par moments, que je deviens idiot, que je n'ai plus une idée et que mon crâne est vide comme un cruchon sans bière. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 29 juillet 1874) « Je rêvais l'amour, la gloire, le Beau. J'avais le cœur large comme le monde et j'aspirais tous les vents du ciel. Et puis, peu à peu, je me suis racorni, usé, flétri. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 4 novembre 1857) « On dit que le présent est trop rapide. Je trouve, moi, que c'est le passé qui nous dévore. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857)




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