lundi 24 janvier 2011

24 janvier 2011 : humain, si humain



Tu oses juste être là, présent. Tu crois pas que c'est important, ça ?
(Jeanne Benameur, Les insurrections singulières)

Ce qu'il y a de fortiche avec le cinéma (comme le théâtre ou le roman d'ailleurs), c'est qu'il vous oblige à sortir de soi et à regarder le monde avec d'autres yeux. C'est bien sûr vrai principalement des films, ou des pièces, ou des romans, à visage humain, ceux qui nous jettent en pleine poire nos défauts, les travers de la société, ou les émotions dont nous avons besoin : frémir, rire, s'indigner (salut à toi, Stéphane Hessel !), se moquer, pleurer aussi, et d'une certaine façon réintégrer notre présent avec d'autres armes, celles de l'art et de la littérature...
J'y pensais ces jours-ci où je fais une cure de cinéma grâce au Festival Télérama qui me permet de voir les films que j'ai ratés pour la modique somme de 3 €. Passons sur The social network, dont j'aurais pu et dû me dispenser, une biographie filmée du fondateur de Facebook, un film atrocement bavard dont le seul mérite est de nous prouver (mais a-t-on besoin de ça ?) que les USA sont un nid de vipères, où la guéguerre pour le pouvoir est effrayante : disons que le pouvoir ne m'intéressant pas, le film ne m'a rien dit ! Pour tout dire, j'arrêtais pas de regarder ma montre pour savoir quand ça allait s'arrêter !
Attardons-nous plutôt sur des films plus secrets, moins vus. Policier, adjectif est un film roumain. Ceux qui ont lu mon livre D'un auteur l'autre savent le prix que j'attache à Panaït Istrati, cet écrivain roumain qui a choisi la langue française et qui m'a mis la Roumanie au cœur ! Aussi me suis-je précipité pour réparer mon oubli. C'est tout simplement un film formidable. Un polar, si l'on veut, mais rien à voir avec les poursuites à toute berzingue des polars américains ou français (donc amateurs de films d'action, s'abstenir) : ici, on s'attache à un policier particulier, dont l'essentiel du travail consiste à filer des adolescents usagers de haschich. L'inspecteur Cristi que l'on suit d'un bout à l'autre dans ce travail ingrat (surveillance près d'un poteau électrique, filature des ados, rédaction du rapport de la journée, confrontations avec le procureur ou avec son supérieur, soirée avec sa femme) refuse d'arrêter en flagrant délit un de ces jeunes, car il pense que la loi actuelle qui va le conduire en prison pour de longues années (sept ans pour fumer un joint !) "ne sera plus en vigueur quand il sortira de prison". Mais si la police ne fait pas respecter la loi, où va-t-on ? Le film, tout en plans-séquences très longs (ouf, ça nous change et ça nous repose de ces films trépidants où il y a quinze plans à la seconde) se termine par une longue séquence autour du dictionnaire et des définitions (d'où le titre), absolument passionnante. Un film gris, si l'on veut, mais extrêmement prenant... Et des personnages humains, si humains, chacun croqué dans sa vérité toute nue, avec qui on peut s'identifier, ce sont nos voisins...
Le film anglais Another year se déroule pendant toute une année, au fil des saisons : quatre chapitres donc, du printemps à l'hiver. Ici aussi, on a l'impression de vivre avec nos voisins. Le personnage principal, Mary, aux abords de la cinquantaine, est alcoolique, elle vit seule, n'arrive pas à garder un homme et d'ailleurs ne cherche plus, ce qui ne l'empêche pas d'en rêver ! Elle se réfugie souvent chez son amie et collègue Gerri, dont le mari s'appelle Tom (ouaf, Tom et Gerri !!!), un vieux couple qui semble mieux réussir que d'autres à survivre dans ce monde difficile du mariage. Mary a d'ailleurs un faible pour Joe, le fils de Tom et Gerri, un jeune trentenaire toujours célibataire, qu'elle trouve "si beau". Mais Joe se dégotte une petite amie. Et les regards implorants de Mary n'y peuvent rien. L'actrice Lesley Manville, déjà vue dans les films précédents de Mike Leigh, est tout simplement prodigieuse. D'ailleurs tous les acteurs sont parfaits dans ce film, là encore humain, si humain, et qui va à notre allure lente, si humaine...
Mais il n'y a pas que le Festival Télérama. Mystères de Lisbonne ayant été déprogrammé, je me suis rabattu sur deux petits films français que j'ai vus à la suite : Le fils à Jo et La chance de ma vie. Deux heureuses surprises. Pas de ces films-événements, non, mais là encore deux films humains, si humains.
Le fils à Jo (admirons ce à typique du sud-ouest) s'appelle Tom, il a douze ou treize ans et ne supporte plus de jouer au rugby, surtout sous le regard de son père, ancien joueur de qualité (très bon Gérard Lanvin), veuf et qui l'a élevé tout seul depuis le décès de sa femme quand Tom était tout petit. Donc, ici un conflit père-fils typique, qui va se régler au fil des rencontres, grâce au retour au pays d'une autre ancienne vedette de rugby, devenue conseiller d'éducation au collège de Tom, et qui emmène avec lui un authentique All black pour entraîner l'équipe des adolescents du village, et redonner ainsi confiance au jeune Tom. C'est super sympa, plein d'humour, mais aussi chargé d'émotion, et j'avoue avoir été bouleversé plus souvent qu'à mon tour, et avoir été obligé de sortir mon mouchoir à plusieurs reprises. Allez, un peu de bons sentiments, ça ne peut pas faire de mal !
Quant à La chance de ma vie, cette comédie, par moment hilarante (les scènes avec un Elie Semoun dément, à la De Funès, en designer imbu de soi-même), raconte les efforts de Julien Monnier (excellent François-Xavier Demaison), qui s'occupe de régler les problèmes conjugaux des autres, mais n'arrive pas à rester avec une femme. C'est qu'il a la poisse et, à chaque nouvelle rencontre, ça tourne au vinaigre, surtout pour la femme qui se voit manquer d'être brûlée au dernier degré, couverte de boutons, manquer de se noyer, bref ça se termine souvent à l'hôpital, y a quand même mieux pour les histoires d'amour, non ? Mais quand il rencontre Joanna (Virginie Efra, je ne connaissais pas, mais on reparlera d'elle certainement !), il pense pouvoir réussir, car cette fois c'est le grand amour, et réciproque en plus... Sauf que là encore, il accumule les gaffes et lui porte une poisse noire. De guerre lasse, Julien finit par se réfugier dans un couvent, au milieu d'hommes à qui au moins il ne risque pas de porter la poisse. Il y résout même des problèmes de cohabitation forcée entre moines à la manière des résolutions des conflits conjugaux. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'en lui portant la poisse, il a aussi donné à Joanna la chance de sa vie... Comme quoi toute médaille a son revers. Une très bonne comédie romanesque, sans prétentions, mais qui nous dit beaucoup sur notre vie quotidienne.

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