lundi 14 février 2011

14 février 2011 : Il y a des soirs

On peut compter sur les doigts ceux envers qui la vie est généreuse, mais elle n'est qu'une cage, un lieu de désolation, une prison pour les autres.
(Howard Fast, Tom Paine)

Il y a des soirs, comme ça, où l'on a envie de se saouler, d'oublier que la vie existe, et que nous y sommes pris dans un piège infernal. Où l'on se demande avec le poète néerlandais Menno Wigman (dans L'affliction des copyrettes) : "Qu'est-ce que je savais des trappes de la nuit, / lorsqu'on se retrouve sans argent ou amis ?" Sans argent, ce n'est pas vraiment mon cas, je découvre avec effarement que c'est maintenant où j'ai le moins de besoins que je dispose le plus d'argent ! Mais sans amis, oui, peut-être ? Où sont-ils donc, ceux qui m'accompagnaient il n'y a guère ?... Oui, la vieillesse est une prison, un lieu de désolation, où peu à peu l'on est abandonné de tous : je le vois bien en allant rencontrer mes vieux amis, et dans leurs yeux j'examine le mirage dans lequel je vais sombrer bientôt.
J'ai beau me dire que j'ai eu énormément de chance dans ma vie. De territoires à conquérir – et j'en ai conquis – j'en suis au point du héros de Frédérique Clémençon, dans Le bannissement de Jean, au début de son magnifique recueil de nouvelles, Les petits (Éd. De l'Olivier, précipitez-vous, 18 €, c'est donné pour une telle qualité), qui se pose la question : "Mais après tout que possédait-il vraiment ? de quel territoire pouvait-il se flatter d'être l'unique possesseur ?" Comme Tom Paine, le héros (qui a existé, et participé à la Révolution américaine puis française, au XVIIIème siècle) de Howard Fast, je sais très bien que : "Mais quand il rencontrait un mendiant ou va-nu-pieds, il ne pouvait s'empêcher de penser : Voilà Tom Paine... si la Providence n'était pas intervenue." Et j'en rencontre, des va-nu-pieds, des mendiants, des prisonniers, des drogués, je mesure la chance que j'ai eue de ne pas vagabonder sur les chemins, d'avoir un toit, un métier et un emploi, de n'avoir pas fait la bêtise qui m'aurait conduit en prison (et ça arrive si facilement !), d'être resté à l'abri des addictions contemporaines (drogues diverses, sexe, jeu). Oui, j'en ai eu, de la chance !
Le Citoyen Tom Paine de Howard Fast
Mais, comme dit Tom Paine devenu vieux : "Le monde est trop grand et, quand on est vieux, on finit par désirer n'avoir qu'un petit coin à soi." Ouais, j'ai de plus en plus de mal à me lisser dans le monde actuel : "L'univers était un lieu fort étrange qu'il ne reconnaissait pas..." remarque Howard Fast, quand son héros a trop vieilli. J'ai bien du mal à m'y reconnaître moi aussi...
Il me reste la poésie, heureusement. Je plains ceux qui sont incapables de l'apprécier. Ceux qui ne savent pas "Ce que disent les mots dans les sables perdus" (Georges Jean, Parcours immobile). Ceux qui n'ont comme horizon que le pouvoir, la domination, l'ascension, et je pense alors à Léon Tolstoï : "Pour acquérir le pouvoir et le conserver, il faut aimer le pouvoir. Et l'ambition ne s'accorde pas avec la bonté, mais au contraire, avec l'orgueil, la ruse, la cruauté. Sans l'exaltation de soi-même et l'humiliation d'autrui, sans l'hypocrisie et la fourberie, sans les prisons, les forteresses, les exécutions, les assassinats, aucun État ne peut naître et se maintenir" (Le Royaume des Cieux est en vous). Phrases à méditer en cette période où les Tunisiens, puis les Égyptiens, viennent de chasser leurs dictateurs...
Et dans cette période où la mort rôde : mercredi dernier, j'étais à l'enterrement de Gérard (61 ans), le président de l'Association des Croqueurs de pommes de la Vienne, dont Claire fut secrétaire. Le poète là encore peut nous aider : "Et je ne savais pas en cueillant tes paroles / que la mort aussitôt rôderait dans tes yeux" (Georges Jean, Parcours immobile). Et peut-on encore rêver à mon âge ? Alejandra Pizarnik écrit dans son Journal le 23 octobre 1962 : "L'une des choses qu'on craint le plus est la réalisation de ses rêves ou de ses rêveries. S'imaginer autre ou ailleurs n'implique pas qu'on le désire dans la réalité."
Oui, j'ai beau me dire que la longue nuit de l'hiver est en train de finir, et que le jour dure, que les moments prennent peu à peu du poids, je ressens fortement ces écrits d'Alejandra en date du 24 août 1962 : "Zone initiale d'effroi et de frisson. Dès que tu bouges, ton corps s'en va, terrible et immuable certitude d'être de trop dans l'endroit où les autres respirent et expriment avec aisance et tendresse leurs goûts humains, leurs patientes créations affectives et matérielles."
On me dira : lis des choses plus gaies ! Moi, je veux bien... Je veux bien rire... Je suis donc allé voir Rien à déclarer, le nouveau film de Dany Boon. Désolé, mais comme j'avais déjà vu la bande-annonce quatre ou cinq fois, et que les seuls passages un tant soit peu marrants y figuraient, je n'ai pas ri une seule fois ! La salle non plus d'ailleurs. Drôle d'idée d'avoir voulu construire un film pour dénoncer le racisme au sujet d'un prétendu racisme franco-belge ! Désolé, mais ça ne fonctionne pas, tout simplement parce que ça n'existe pas. S'il y avait des racismes à dénoncer, il y en a pléthore : anti-juif, anti-arabe, anti-noirs, anti-gitan, anti-pédé, anti-immigrés, sexisme, sans compter puisqu'on était en Belgique, le racisme flamand-wallon... Dany Boon n'avait que l'embarras du choix. Là, il s'est trompé de cible, et on ne rit guère...
Il y a des soirs, comme ça, où l'on a envie de se saouler...

1 commentaire:

Anne-Marie a dit…

idem...
il y a des jours comme ça...amitiés du Gers