mardi 6 mars 2012

6 mars 2012 : fibres secrètes

- On dit que Tanger pleure celui qui ne la connaît pas, et qu’on la pleure quand on l’a vue.
(Mohamed Choukri, Le temps des erreurs)

Me voici donc installé à Tanger, dont j’ai fait une découverte assez poussée hier, dans une déambulation pédestre quasi épuisante. Ce n'est pas une ville plate ! Et de plus, pas facile de se retrouver aisément dans une ville où les noms de rues ne sont pas toujours indiqués, loin de là. Heureusement, le plan qu’on m’a donné à l’office de tourisme est plus précis (oh, à peine) que celui de mon Petit fûté.

Je me suis donc baladé par les rues grouillantes de monde, où s’entrecroisent les cris des marchands à l’entrée de leurs boutiques ou ceux des ambulants… Les boutiques sont innombrables, on trouve de tout. Quelques mendiants ont pignon sur rue, qui en fauteuil roulant (sans jambes), qui assis par terre, en lunettes noires (aveugles ?), il y a de petits marchands qui vendent des mouchoirs en papier, des cigarettes, par tout petits paquets. Les fruits et légumes, les épices jettent des taches de couleurs, et les rabatteurs cherchent à nous entraîner dans tel restaurant ou telle boutique. Un vent léger balaie la poussière, il y a des bancs partout (voilà une ville où on pense à la fatigue des promeneurs), des masures délabrées voisinent avec des villas cossues, voire somptueuses, les enfants sont nombreux, de temps en temps on a un aperçu sur la baie, le port et, au loin, dans la brume, la côte espagnole.

J’ai déniché la cinémathèque, vu qu’il y avait un hommage à l’actrice algérienne Nadia Kaci ce mardi ; j'ai trouvé également la librairie des Colonnes, où j’ai acheté le Mohamed Choukri… Le soir, je suis ressorti, pour voir à quoi ressemble Tanger la nuit. C’est à peine croyable, la foule est encore plus dense que le jour. Mais je devais être à peu près le seul à me promener tout seul. Je confirme qu’il est impensable d’être seul au Maroc. Et je pensais à mon jeune ami G. : est-il arrivé à Oujda ? Comment a-t-il trouvé la jeune femme, qu’il voyait en chair et en os (sûrement plus en chair qu’en os, si j’en juge par les femmes que j’aperçois ici) pour la première fois ? Ce que je lui souhaite, c’est qu’il vérifie les mots que je viens de trouver chez Flaubert (dans Bouvard et Pécuchet, que je lis sur ma liseuse électronique, je ne savais pas Flaubert si marrant) : "Ainsi leur rencontre avait eu l’importance d’une aventure. Ils s’étaient, tout de suite, accrochés par des fibres secrètes". Oh, que j’aurais voulu être une petite souris pour voir ça. Mais j’imagine, c’est aussi bien !

Et je suis allé jusqu’à la fameuse maison de retraite où F. fait sa cure d’essai d’un mois. Forcément déçu : même au soleil, et avec des parcs et palmiers à proximité, une maison de retraite reste ce qu’elle est. Une prison pour vieux. On peut toujours leur affecter 4 *, ça reste un lieu sans vie. Je rêve d’une maison de retraite où il y aurait des enfants, des artistes, des activités, un mélange de générations, et pas seulement des chambres, un réfectoire et une infirmerie… Non, même par amour pour Tanger (et je préfère de loin la petite ville d’Agdès dans la vallée du Drâa), du soleil et du détroit de Gibraltar, je dis non. Et à mon avis, F. va être déçue aussi. Mais c’est une très bonne idée de faire un galop d’essai dans ce genre d’établissement, avant de s’y morfondre misérablement, si finalement, ce n’était pas exactement ce qu’on souhaitait. Si on pense comme Bertrand Vergely que, "avoir la foi consiste à croire que toute vie humaine peut être portée à une puissance supérieure", je ne vois pas trop comment dans les circonstances actuelles, ces maisons peuvent nous porter à cette puissance supérieure.

Et, ce matin, je suis allé, seul, me promener dans la médina. Je m’attendais à être assailli par des pseudo-guides. Que nenni, ce qui montre bien que se lever tôt est une bonne chose. J’ai même déniché le restaurant Le nabab, le meilleur de Tanger selon le guide. J’irai y manger demain. Et pourtant, pas simple de se repérer dans le dédale de ruelles, par ailleurs tout en pentes et en escaliers. Là, la vie est plus traditionnelle. Les boutiques plus petites. On voit les artisans travailler devant nous portes ouvertes, le boulanger avec son four, les couturiers et tailleurs, les bijoutiers ou ferblantiers. Les femmes y sont davantage voilées, les hommes vêtus à la mode ancestrale. Je me suis amalgamé à un groupe de touristes qui suivaient un guide (des gens d’Europe centrale à mon avis, je n’ai pas reconnu la langue) et prenaient force photos. J’ai fini par les fuir et par sortir de la médina, pour m’attabler à un café, pour un traditionnel thé à la menthe qui m’a requinqué : j’étais éreinté.

Et pas fâché de n’avoir aucune nouvelle de nos campagnes (électorales, bien sûr). Su quand même qu’il y avait eu des chutes de neige terribles sur le nord, et dire qu’ici, je pourrais, presque, me mettre en culottes courtes !

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