jeudi 16 août 2012

16 août 2012 : force du sentiment


Existe-t-il en ce monde une personne aussi gentille que vous ?
(Jacques Poulin, La tournée d'automne)


Où pourrait-on rencontrer un employé de bibliothèque qui lit les livres nouveaux qu'il reçoit, afin d'être capable d'en parler aux lecteurs, qui ne craint pas que les livres ne soient pas retournés par les lecteurs ("les livres sont comme les chats, on ne peut pas toujours les garder"), qui tient à garder une place aux "vieux livres", parce que "ceux-ci, même s'ils n'étaient empruntés qu'une fois par-ci par-là, étaient aussi importants à ses yeux que les livres récents" ? D'ailleurs, ne pense-t-il pas, comme devraient le penser tous les bibliothécaires, qu'il ne faut "pas oublier que, nouveaux ou anciens, les livres passaient de main en main, ce qui avait permis de créer des réseaux de lecteurs". Où ? Eh bien, dans un petit roman jubilatoire, La tournée d'automne, nimbé de poésie, qui nous entraîne en tournée de bibliobus sur les routes de la côte nord du Québec. Car le héros est le chauffeur du bibliobus, jamais nommé autrement. Et c'est lui qui pense tout ça : inutile de dire à quel point un tel personnage me plaît ! À se demander si l'auteur ne s'est pas inspiré de moi ?

On suit donc le chauffeur au milieu de ses livres, dans son camion, ancien camion laitier reconverti en bibliobus par ses soins. Il a lui-même organisé son système de réseau de lecteurs, des personnes qui prennent un lot de livres et les font circuler auprès d'autres lecteurs. Plus de fiches, les livres sont rendus à la tournée suivante ou renvoyés par la poste (ou pas, tant pis !). Mais le chauffeur est devenu vieux, il n'envisage pas de continuer, la tournée d'été sera sa dernière. Il broie du noir, craint la vieillesse et son cortège de solitude et de déchéance. Mais voilà, il rencontre Marie, une Française venue au Québec accompagner une fanfare, bande d'artistes, comprenant des musiciens, une chanteuse, une funambule, tous jongleurs ou acrobates, qui se produisent en spectacle en plein air. C'est Marie qui gère les détails matériels de la troupe. Elle-même est peintre d'oiseaux. Une amitié naît ("C'est étrange qu'on ait fait un si long chemin avant de se rencontrer"), le chauffeur suit leur tournée, et peu à peu, ils sentent que quelque chose arrive. Les petits bonheurs chers à Félix Leclerc, peut-être : l'amitié des chats attirés par l'odeur du lait qui imprègne toujours le camion, les petits chocolats chauds, les promenades au rythme lent, le partage des lectures et des mots. Et puis l'amour, qui illumine, et qui s'ajoute à celui des chats, du fleuve, des livres (des écrivains, comme Hemingway, Carver ou les Québécois Gabrielle Roy et Anne Hébert) et des oiseaux.
Avec Marie, le chauffeur reprend goût à la vie et décide de poursuivre sa tâche, d'entamer la tournée d'automne, d'où le titre du livre. Après L'enfant maudit, voici un nouveau roman sur la douceur du sentiment, sur la délicatesse et la pudeur (ça nous change de la brutalité de tant de romans!), sur l'enthousiasme aussi et la passion, et l'émotion. Au fond, par son goût pour les bons livres, le chauffeur est prêt à l'émerveillement de la découverte de l'amour, même à son âge avancé. Bien sûr, je suis en lectures québécoises pour préparer mon prochain séjour là-bas, et franchement ça me donne très envie de visiter la côte nord et la Gaspésie. Je crois que l'ami québécois Marc m'a concocté une virée d'une semaine par là-bas. Je vais m'y plaire, même s'il faut s'attendre à de la pluie (d'après La tournée d'automne).
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, j'ai regardé hier soir un des films que j'ai le plus vus (vingt fois au moins, je pense), et toujours avec la même jubilation : Les demoiselles de Rochefort. Je sais que certains n'aiment pas ce film, soit que la musique ne leur plaît pas, soit qu'ils n'aiment pas les films où l'on chante, soit qu'ils n'aiment pas les films (et les romans) sentimentaux. Tant pis pour eux ! Moi, j'aime tout là, les acteurs (Danielle Darrieux est sublime), les danseurs, les chansons, les sentiments, les couleurs et les décors, et cette belle ville de Rochefort que le réalisateur a magnifiée.
Et j'avais bien besoin de ces pauses jubilatoires (en lecture et en films) car, et c'est un sacré boulot, j'ai mis au point mon recueil de poèmes (une bonne centaine, écrits ces dernières années, dont douze déjà publiés dans des revues) que je vais polygraphier et relier en quatre exemplaires cet après-midi avant de l'envoyer à des éditeurs... Titre : Le temps écorché. Affaire à suivre.

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