jeudi 13 septembre 2012

13 septembre 2012 : "le ciel sur la tête"



Ce n‘est pas difficile de créer des monstres : il n'y a qu‘à copier. Le difficile c'est de créer des anges : là, il faut inventer sans modèles.
(Jean Giono, J’ai ce que j’ai donné, Lettre à Élise Giono, février 1950)


Non, le ciel ne m'est tombé sur la tête, quoique... Mais je sors d'une lecture (relecture en fait) qui me laisse pantelant : Le ciel sur la tête, de Nan Aurousseau. L'auteur ne m'est pas inconnu, puisque nous l'avions fait venir à la prison de Poitiers en 2009 pour rencontrer les détenus. J'avais déjà lu son livre à cette occasion. J'en avais oublié le titre, je l'ai ré-emprunté à la bibliothèque et donc relu.
Le livre commence dans une prison pour mineurs par une émeute de tout un étage, les jeunes voulaient obtenir deux heures de promenade : ils ont saccagé et incendié toutes les cellules : "L'instinct de révolte était puissant. Ils étaient jeunes et rebelles, en guerre contre un monde inerte qu'ils rejetaient avec violence". Au bout de quelque temps, la majorité d'entre eux se rend, mais une trentaine d'irréductibles, qui ont réussi à casser leur espalier de gymnastique et se servent des barreaux comme armes, sont très menaçants et finissent par monter sur le toit, non sans avoir au préalable blessé une bonne dizaine de gardiens. Ce sont les forces de l'ordre (les « robocops ») qui réussissent à les en dégager à grands coups de grenades lacrymogènes. L'un des mutins, le plus féroce, un délinquant de haut vol malgré son jeune âge (stupéfiants, racket, proxénétisme, trafic d'armes), vrai caïd dans cette pétaudière, Djet, réussit un temps à leur échapper pendant une heure en franchissant des grilles pourtant électrifiées ! Mais enfin, tous sont pris et mis au mitard dans les cellules d'isolement du quartier disciplinaire pour adultes, car il n'y a plus de place côté mineurs. Tous y sont conduits un par un dans leur cellule en passant devant une haie de gardiens revanchards qui les bourrent de coups. Ces cellules sont du béton : lit en béton, un trou pour chier, aucune ouverture vers l'extérieur, et isolement total, interdiction de se parler de cellule à cellule sous peine d'être privé de l'unique repas quotidien, pain et rata. 
 
L'auteur nous fait suivre l'itinéraire de quatre de ces jeunes. Le plus fragile, Benji, étudiant en lettres bobo, a vendu trois grammes de cocaïne à la fac. Condamné avec sursis, il a écopé en fait de trois mois fermes, parce que la greffière s'est trompée et qu'il a été impossible de corriger l'erreur administrative. Il s'est trouvé pris dans l'insurrection presque par erreur, mais enfin il y était. Il va rapidement sombrer dans la dépression profonde dans le noir de sa cellule. Dans la cellule voisine, Métal qui tente de communiquer avec lui, l'entend pleurer : "il avait peur, c'était évident. Métal ne pouvait rien pour lui. Les faibles le laissaient complètement indifférent". Métal, lui, est tombé pour vol avec violence, tentative d’homicide volontaire, infraction à la législation sur les armes de guerre, mais il reste ferme, pourtant en cellule de haute sécurité depuis dix-huit mois. L'éducateur Niaux, qui pense pouvoir réinsérer 6 % de ces jeunes (!), compte tenu des faibles moyens mis à sa disposition et du mauvais vouloir de l'institution pénitentiaire, le croit récupérable. Mais il passera au moins cinq ans en prison, et en ressortira encore plus dur qu'il n'y est entré, comme les autres. Niaux est un pur : il dit à un de ses collègues, qui s'est laissé berner par les gardiens lors de l'émeute, en acceptant d'aller parlementer avec les émeutiers, ce qui l'a rendu définitivement grillé auprès de ces jeunes : "Ne les juge jamais Guy, des gens sont payés pour ça" (ce que nous faisons nous aussi, quand on y va pour nos lectures et nos rencontres d'écrivains, ce n'est pas notre rôle de juger !). Tox, lui, est un illuminé, il a appris par cœur un livre manuscrit dont il est probablement l'auteur, Le protocole de la colère des sages, dans lequel il prône la doctrine que les hommes sont mauvais et qu'il faut donc les éliminer, et qui exerce un ascendant moral sur ses compagnons, alors que Djet exerce un ascendant physique. Métal est à part : respecté par tous, mais individuel avant tout, et peut-être récupérable, comme le croit Niaux.
Il y a aussi le vieux gardien, Blind, à un mois de la retraite, et qui reste humain dans ses rapports avec ces jeunes forcenés. Ce n'est pas lui, absent au moment des faits, qui les aurait tabassés au moment de leur entrée au quartier disciplinaire. Il compatit pour Benji qu'il estime ne pas être à sa place ici, mais il ne peut rien contre le règlement ni, hélas, contre "la force oppressante de l'opinion publique, qui était d'accord. Jamais on ne l'entendait récriminer sur les conditions de détention des jeunes délinquants". Et puis il y a Suk, le sous-directeur. Ce dernier veut la peau de Tox qui lui a craché à la figure lors d'un interrogatoire, et dont il a reçu le mollard dans sa bouche malencontreusement ouverte. Depuis, il le hait de façon inextinguible. Il veut faire signer à tous les mutins un papier qui indique Tox comme étant le meneur. Seul Benji, soumis à une pression terrible et apeuré, signe. Peu de temps après, rongé d'être un délateur, il se pend dans sa cellule. Alors Suk va soudoyer Djet, pourtant bien plus dangereux que Tox, pour se débarrasser du soi-disant meneur.
Le récit est impitoyable et reflète absolument l'univers carcéral tel que j'ai pu l'observer à maintes reprises : la "violence était partout dans les rapports, aussi bien entre détenus qu'avec le personnel de surveillance". Violence des jeunes bien sûr, mais aussi violence des conditions de détention et d'isolement, violence de l'administration pénitentiaire, sévices sexuels, hygiène déplorable (les mutins vont rester quarante-cinq jours en cellule d'isolement sans se laver une seule fois), impuissance des éducateurs trop peu nombreux. Réinsertion, mon œil ! Comme disait le prêtre Guy Gilbert, "des jeunes y entrent, des fauves en sortent" (je cite de mémoire). La prison pour mineurs est une usine à fabriquer de la délinquance, comme l'étaient autrefois les maisons de redressement. Pas de clichés donc ici, un récit réaliste, d'une actualité brûlante, au moment où la ministre Taubira souhaite, à juste titre, mais sans doute contre l'opinion publique, fermer les centres fermés pour mineurs, ces bagnes fabriquant de grands criminels.
Un livre à méditer. Explication du titre : les jeunes prisonniers ne voient le ciel que pendant leur courte promenade quotidienne, à travers le grillage qui couvre la cour.
Et une association à soutenir : l'association Seuil, qui vise à une peine de substitution à la prison, la longue marche. Un livre vient de sortir qui expose leur méthode : Marcher pour s'en sortir (Éd. Érès). Le jeune, avec l'accord de sa famille et du juge de l'application des peines part pendant trois mois et parcourt 2 000 km à la marche, sac au dos, dans un pays étranger (pour être totalement coupé de leur milieu d'origine, ils n'ont pas de téléphone portable) avec un adulte "accompagnant, qui, sans être nécessairement un travailleur social, a un rôle éducatif. Un projet dont le succès repose sur la dynamique de l’équipe accompagnant/accompagné, sur la détermination du jeune, enfin sur l’inscription du projet dans un suivi au long cours assuré par les travailleurs sociaux". 
Chaque année une dizaine de jeunes bénéficient de ce dispositif, prévu comme une alternative à l’incarcération. Réussite à 100 % pour ceux qui vont jusqu'au bout de la marche : pour la première fois de leur vie, ils réussissent quelque chose de positif, et dont ils peuvent être fiers. Ceux qui craquent au bout de trois-quatre jours (car c'est trop dur pour certains petits caïds habitués à une vie facile) retournent à la case prison. 
 

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