lundi 22 octobre 2012

22 octobre 2012 : le "Paradis" occidental


cette indifférence aux souffrances qu'on cause et qui, quelques autres noms qu'on lui donne, est la forme terrible et permanente de la cruauté.
(Marcel Proust, Du côté de chez Swann)


Nous vivons tous plus ou moins dans l'illusion, dans des mirages. Mais certains plus que d'autres. Ainsi, ces Africains qui continuent à voir dans l'Europe un Eldorado et qui n'hésitent à monter dans des embarcations de fortune et à payer le prix fort (celui de leur vie, bien souvent) pour essayer de rejoindre nos côtes et le « Paradis » occidental.

 
C'est ce que raconte La pirogue, le formidable film du Sénégalais Moussa Touré qui vient de sortir. Nous n'étions que quelques spectateurs et c'est vraiment dommage. Car comme on dit, il vaut le détour, même coincé entre le nouvel Astérix et la comédie américaine Ted dont on peut se dispenser. Une trentaine de passagers embarquent donc dans une pirogue pour tenter de rejoindre les îles Canaries, point de départ espéré vers l'Europe mythique, l'Espagne d'abord, pour quelques-uns qui ont déjà un frère ou un cousin qui y travaillent dans les champs, mais aussi la France, pour ceux qui sont musiciens par exemple, et même la Chine : eh oui, elle fait rêver en Afrique ! On est donc ballotté par la mer, les vagues, et même une tempête terrible (scène magnifique, j'en avais le souffle coupé) qui remplit d'eau la pirogue. Dans ce huis-clos cohabitent des Peuls, des Guinéens et des Dakarois, dont beaucoup ne connaissent pas la mer et sont morts de trouille. Les scénaristes ont fort heureusement oublié de nous livrer une thèse avec des personnages trop typés dans les clichés. Et le réalisateur a magnifiquement rendu l'unité de lieu, d'action et de temps, comme dans toute tragédie qui se respecte. Le moteur finit par lâcher en pleine mer, et la pirogue ne fait plus que dériver. Seule une poignée de survivants sera recueillie par la Croix-Rouge des Canaries pour être d'ailleurs renvoyée par avion au Sénégal. Eh oui, pour tous ces gens qui rêvaient d'un monde meilleur, et ignoraient les souffrances du voyage et surtout de l'arrivée, qui n'avaient que l'espoir d'une vie meilleure, la fin ne justifiait pas les moyens. Le film est captivant, le suspense indéniable, et le réalisme parfait. La pirogue, le bateau, est d'une beauté extraordinaire. Et pour une fois, le film n'est pas tombé dans le travers de trop de films africains qui font parler les acteurs en français, rendant ainsi l'intrigue artificielle. Ici, on parle plusieurs langues, selon son origine et son parcours scolaire. À noter, en début de film, avant l'embarquement, une très belle séquence de lutte sénégalaise.

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Nouvelles du front des nouvelles technologies (suite, et c'est pas près de finir)
Téléphone portable (lu dans la presse, mais pas dans Le Figaro ni dans Les Échos, car ces deux quotidiens, qui prônent l'économie la plus libérale possible, n'ont rien contre ce qui se passe en Chine, voire peut-être aimeraient bien que nos petits « pigeons » de patrons puissent faire de même en France ; non mais, c'est à ce prix qu'on va réindustrialiser la France, Monsieur le Ministre du Redressement industriel, prenez-en de la graine !) :

« L'Iphone 5 d'Apple, nouveau jouet des bobof, est assemblé en Chine dans la province du Shanxi, au sein d'une usine digne du pire XIXe siècle : fenêtres et dortoirs grillagés (l'ouvrier dort sur place : gain de temps), surveillance maximale, absence totale d'hygiène et salaire de misère. Un quotidien fait de coups, de brimades diverses, de suicides. Grâce à cette main-d’œuvre, Apple sait pouvoir produire les 57 millions d'Iphones attendus, tel le Saint-high-Graal, par cette tripotée de trépanés technovores, surgâtés et débiloïdes qu'on nomme l'Occident. »

Je ne dirais pas mieux ! Et j'aime bien les « bobof », terme que je ne connaissais pas encore ! Et surtout les savoir « trépanés » ! Il est vrai que je m'en doutais un peu...

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