mardi 31 décembre 2013

31 décembre 2013 : bilan de l'année : deuxième semestre



Avec les ressources naturelles du monde, la machinerie déjà inventée, une organisation rationnelle de la production et une suppression également rationnelle du gaspillage, les travailleurs physiquement aptes ne devraient pas avoir à travailler plus de deux ou trois heures par jour pour nourrir tout le monde, loger tout le monde, instruire tout le monde et donner à tous une bonne quantité de petits luxes.
(Jack London, Révolution, Phébus, 2008)

Révolution, essais

Quand on pense que le texte ci-dessus de Jack London a été écrit il y a plus d'un siècle, et qu'on n'a pas avancé d'un iota dans ce sens ; au contraire, une minorité avide de profits rapides exploite sans vergogne les travailleurs du monde entier (la fameuse mondialisation) à un niveau à peu près égal à celui de l'exploitation que nous avons connue au XIXe siècle (salaires très bas, insécurité sociale, émigration forcée, violences des milices patronales, insuffisance de protection contre les nuisances polluantes ou les accidents du travail, etc.). Et notre prospérité générale ou bien-être relatif repose sur ça : le low cost, que chacun recherche avec avidité pour bénéficier d'un surplus de voyages, d'objets, d'abonnements internet, de vêtements, de livres, de rapidité dans les TIC (Technologies de l'Information et de la Communication), etc., le low cost signifie, ne l'oublions pas, une exploitation éhontée du travail et des conditions effroyables pour les travailleurs de partout.
* * *
Revenons à mon petit bilan personnel 2013. Le deuxième semestre m'a paru étrangement long. Je me suis à nouveau beaucoup déplacé, pour mes visites rituelles à Poitiers, pour les festivals de cinéma de Venise, d'Auch, de Montpellier, pour m'arrêter ici ou là, au gré de mes humeurs, visiter la tribu et voir quelques ami(e)s. J'ai poussé quelques coups de gueule contre la « droitisation » de la société française, me brouillant presque avec certains à ce sujet. J'ai reçu mes couch-surfeurs polonais et russes, le jeune Sergueï est devenu pratiquement un ami, et depuis septembre, Juan habite chez moi. À défaut, comme François d'Assise, de pratiquer l'abandon total des biens matériels et d'aller vivre de jeûne et de prière dans une cabane, j'ai essayé au maximum de partager une large part de mon surplus. Avec cette idée que certains hommes étant plus égaux que d'autres, c'est à eux qu'il convient de rétablir l'équilibre, autant que faire se peut, si l'on veut que la société avance sur le chemin de l'espérance.
J'ai lu beaucoup de livres, provenant de vingt-sept pays différents. Car les livres sont, au même titre que les amis, des sources d'enrichissement de la vie intérieure, aussi bien que des vecteurs de la découverte du monde. Parmi les plus marquants, côté romans, La fabrication de l'aube, de Jean-François Beauchemin, Une enfance de Jésus, de J. M. Coetzee, Attention fragile, de Marie-Sabine Roger, l'étonnante Usine des cadavres de Silien Larios, Petites scènes capitales, de Sylvie Germain, La décision, d'Isabelle Pandazopoulos et les romans pour ados de Mikaël Ollivier. Sans compter les romans plus anciens de Jane Austen, Virginia Woolf, Marguerite Duras et George Sand, lus en prenant des notes pour un futur livre. Parmi les essais, j'ai apprécié les textes suggestifs de Jean Genet réunis dans L'ennemi déclaré, les deux derniers volumes du Journal de Charles Juliet, le tome 2 et final du Journal d'André Gide, le journal du catalan Josep Plá : Le cahier gris, celui de Saramago : Le cahier, les essais de Blanche de Richemont : Éloge du désert et Éloge du désir, les livres sur la prison de Jean-Marc Rouillan et de Donna Evleth, les Manuscrits de guerre de Julien Gracq, En pèlerin et en étranger, de Marguerite Yourcenar, De la servitude involontaire d'Alain Accardo, Apologie du livre, de Robert Darnton, et les belles méditations de Martin Buber : Le chemin de l'homme. Au rayon poésie, j'ai dévoré les nouveaux opus de mes amis Michel Baglin, De chair et de mots, Georges Bonnet, La claudication des jours et Odile Caradec, République Terre (quels beaux titres !), j'ai découvert Cédric Le Penven et Jean-Baptiste Pédrini, L'excès-l'usine de Leslie Kaplan, et Le livre des cent poèmes, la belle anthologie d'Harry Martinson.

Au cinéma, la variété est encore plus impressionnante, j'ai vu des films originaires de cinquante pays différents, aidé il est vrai par la fréquentation des festivals, autant que par l'excellente diversité proposée par le cinéma Utopia de Bordeaux. Le cinéma, de fiction ou documentaire, nous montrant la vie, c'est encore le meilleur moyen pour lutter contre un nationalisme étriqué et le racisme ravageur menaçants, que d'aller découvrir ce qui se fait ailleurs, comment on y vit, et constater, en tout état de cause, que l'humanité est la même partout, sous des formes différentes certes ; personnellement, je perçois au travers du cinéma comme de la littérature, cet humain d'abord que les politiques cherchent souvent en vain ! Et que je retrouve aussi dans mes voyages et mes déplacements, aussi bien que chez mes hôtes couch-surfeurs.
Le Lion d'Or de Venise

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Ce fut aussi l'année de la mort d'Igor. J'ai conscience de l'avoir un peu trop négligé – et donc, peut-être, d'avoir hâté sa dégradation : je me souviens quand je l'ai vu pour la dernière fois fin juillet, comme il était mal en point, marchant avec peine, et le lendemain, revigoré, redevenu presque normal, comme si ma visite, mon amitié, lui avaient réinjecté le goût de vivre ! Mais le délabrement général de son état de santé lui faisait envisager de ne pas prolonger indéfiniment une vie qui n'en était plus une, et il m'en parlait volontiers. 
Le Rialto vu par Igor en 2012


 

lundi 30 décembre 2013

30 décembre 2013 : des saints et des hommes


« Là où je suis né, je veux aussi mourir. 
Ne parle pas de mort, frère François.
De quelle autre chose l'homme doit-il parler ? »
(Nikos Kazantzaki, Le pauvre d'Assise, trad. Gisèle Prassinos et Pierre Fridas, Presses Pocket, 1991)


Avant de poursuivre demain mon bilan de l'an 2013, quelques mots sur mes dernières lectures et mes films récents.
Tel père, tel fils

Du japonais Kore-Eda, dont l'univers me paraît à la fois subtil et universel au visionnement de Tel père tel fils, je n'avais encore rien vu. Et pourtant je suis un fan de cinéma japonais, dont je vois chaque année environ une dizaine de films. Et je rêve toujours d'un voyage au Japon, ne serait-ce que pour devenir un peu plus radio-réactif ! Un film sur la paternité qui, comme vous le savez, me passionne au plus haut point. Le film a obtenu à cannes le Prix du Jury, comme souvent amplement mérité. Kore-Eda nous dévoile les faces diverses d'un Japon ultra-moderne (culte de la performance du père, qui en est presque inhumain), tout autant que traditionnel (soumission de la mère, humanité de la grand-mère, qui rappelle que les parents nourriciers sont plus parents que les simples géniteurs), au bord de la rupture dès que le paraître s'effondre. C'est ainsi que le jeune Keita, six ans, poli (lisse autant que gentil), avec des parents attentifs (enfin, le père, Ryota, esclave de son travail, n'est pas très présent, mais il n'en est que plus oppressant), voit sa vie bouleversée lorsqu'il doit d'abord pour une nuit hebdomadaire, puis pour une plus longue durée, partir vivre dans une autre famille. C'est que les parents viennent d'apprendre que Keita n'est pas leur fils, il y a eu échange de bébé à l'hôpital. « Ainsi tout s’explique », s'exclame Ryota qui n'a jamais compris pourquoi son Keita lui a toujours semblé un autre être, par trop différent de lui. Keita rencontre donc sa famille biologique, sans qu'on lui explique d'ailleurs de quoi il s'agit : c'est bien connu, les enfants n'ont pas droit à savoir. Inversement, Ryusei, l'autre garçon, fait son entrée dans la famille de Ryota. Keita fait connaissance d'une autre vie, plus pauvre, mais tellement plus vivante, même si aucun père n'est un saint. Une superbe réflexion sur la paternité, les liens du sang… 
Les Misérables - Une tempête sous un crâne
Je me suis offert, comme cadeau de Noël, Les misérables, de Raymond Bernard (1933) : le roman de Victor Hugo revisité par un artisan consciencieux, soucieux de produire une œuvre vraie plutôt qu'un chef-d’œuvre. Coffret de quatre dvd (un dvd pour chaque film de la trilogie, + un dvd de bonus), que j'ai regardés dès mon retour à Bordeaux. On retrouve toutes les grandes scènes-clés de l'original : la rencontre avec l'évêque, les malheurs de Fantine, la tempête sous un crâne, l'esclavage de Cosette dans l'auberge des Thénardier, l'épisode de la source et de la poupée (rencontre de Cosette et de Jean Valjean), le guet-apens des Thénardier, les amours de Cosette et Marius, l'insurrection et la mort de Gavroche, le sauvetage de Marius dans les égouts de Paris, l'aveu de Jean Valjean et sa rédemption en une sorte de saint laïque... La restauration du film est magnifique, le noir et blanc superbe, la musique de Honegger discrète, les acteurs prodigieux (Harry Baur, de loin le meilleur Jean Valjean – là aussi le thème de la paternité est bien présent, Charles Vanel en inspecteur Javert monolithique, Marguerite Moreno et Charles Dullin sont des terrifiants Thénardier, Orane Demazis une émouvante Éponine, Florelle une Fantine fragile, Émile Genevois un prodigieux Gavroche...). Bien sûr, il manque quelques épisodes (le couvent, Waterloo), mais l'essentiel y est : l'humanisme de Hugo, sa générosité, son goût des contrastes. À comparer avec les deux autres versions intéressantes : la série télé de Marcel Bluwal dans les années 70 (centrée sur l'insurrection, avec la musique de Verdi, si je me souviens bien) et le film italien de Riccardo Freda, dans les années 50. Le film avec Gabin est très faible en comparaison, et celui avec Ventura, encore plus : Ventura était plus fait pour incarner Javert que Jean Valjean. Et Depardieu peut se rhabiller par rapport à Harry Baur (sans parler des infidélités à Hugo de sa récente version).
Enfin, je lis le roman de Nikos Kazantzaki, Le pauvre d'Assise. Lecture qui m'a été recommandée par Charles Juliet dans son Journal. C'est un roman âpre, biographique, qui suit les pas de François d'Assise, à partir du jour où il décide d'abandonner père et mère, richesse et beaux vêtements pour se consacrer à Dieu et à la sainte pauvreté, la sainte simplicité et l'amour parfait. On suit ses pérégrinations, ses difficultés à se réaliser dans le jeûne et les mortifications ; tout est vu par son premier « disciple », frère Léon, qui raconte l'histoire. Quelques extraits qui m'ont particulièrement plu : "Il ne faut dire à chacun que ce qu'il peut supporter. Le reste est tentation." / "– Où allons-nous, frère François ? demandai-je. – Quel besoin avons-nous de le savoir ? répondit-il. Le Seigneur en a décidé pour nous. Tu connais ces grandes fleurs jaunes qu'on appelle héliotropes et qui regardent le soleil, en tournant continuellement leur visage docile dans la direction de Dieu ? Faisons comme elle, frère Léon, regardons Dieu, constamment, et il nous montrera le chemin." / "– Aie confiance dans l'âme humaine, frère Léon, et surtout n'écoute pas les gens sages. L'âme humaine peut l'impossible." / "– Quelle liberté ! me fit joyeusement François. Nous sommes les gens les plus libres du monde, car nous sommes les plus pauvres. Vois-tu, frère Léon, la pauvreté, la simplicité et la liberté ne sont qu'une seule et même chose." / "À la vue de François, [l'évêque] essaya de prendre une mine renfrognée, mais en vain. Car il aimait beaucoup ce Saint rebelle, qui avait abandonné tout ce que l'homme chérit en ce monde pour adopter tout ce qu'il hait et tout ce qui lui fait peur : la solitude et la pauvreté." / "[François] sentait qu'il n'est pas de grande ou de petite tâche et que poser un caillou sur un mur en ruine, c'est redresser le monde qui menace de tomber, redresser l'âme qui chancelle."
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Nikos Kazantzaki, dont j'avais intensément aimé Le Christ recrucifié et Alexis Zorba, est un immense écrivain. Il a dédié son roman à Albert Schweitzer, noble figure du XXe siècle. Pas évident pourtant d'écrire un roman sur François d'Assise, sans tomber dans l'hagiographie pieuse et pesante. Ici, il recrée le Moyen-âge avec subtilité, n'oublie pas les Cathares, ni les Croisades, ni les divers courants religieux qui agitaient alors la chrétienté. Une lecture vivifiante.

dimanche 29 décembre 2013

29 décembre 2013 : les hautes solitudes


Chaque fois qu'on me parle de mariage, je m'imagine un corset : j'ignore si c'est parce que c'est vieux, ou parce que c'est étouffant.
(Luiz Alfredo Garcia-Roza, L'étrange cas du Dr Nesse, trad. Sébastien Roy, Actes sud, 2010)


Après cinq jours de réunions familiales, au demeurant agréables et joyeuses, j'ai retrouvé ma solitude. Comme cette notion paraît néfaste à bien de mes contemporains, j'ai quand même envie de causer de la haute solitude qui est la mienne, celle du poète, de l'artiste, du contemplatif, du méditatif, du cycliste, du lecteur, du blessé de la vie aussi. Je n'ignore certes pas qu'il existe des solitudes subies, celle de l'enfant martyrisé, du collégien racketté, du vieillard abandonné, de l'épouse délaissée, de l'étranger esseulé, etc...
Mais pour moi, la solitude est nécessaire, et je dirais même qu'elle est active, productive, génératrice de rencontres. D'abord, quoiqu'on dise, on est toujours, et réellement seul. En couple, en société, au travail, dans les loisirs, dans les groupements politiques ou syndicaux, dans les sports, dans les manifestations festives, et même dans les églises, on peut donner le change, afficher une convivialité factice, faire semblant. Mais, comme dans le conte d'Andersen, le Roi est nu. 

Andersen : relire Les habits neufs de l'empereur
 
Il faut faire avec. Accepter. Et même accueillir. Pour ne pas subir. Je sais, c'est très difficile, surtout aujourd'hui, à l'heure de la communication permanente, des téléphones qui nous suivent partout (tiens, pas le mien, j'ai la particularité de ne l'emporter pas quand je vais en ville !), de la télévision allumée sans raison aucune (là encore, je m'en passe volontiers), de l'internet, des écouteurs vissés dans les oreilles, des bruits de fond intenses – publicités agressives dans les rues, sur les murs, engins et machines de toutes sortes martyrisant nos tympans (camions et voitures, avions, baffles, marteaux-piqueurs, perceuses, aspirateurs et autres appareils électriques ménagers : "Un objet qui réduit en esclavage est monstrueux, et les monstres ne sont pas beaux", écrivait Jack London dans son petit essai La Maison de mes rêves) – qui nous tétanisent, du besoin de savoir en permanence où l'on est (GPS), mais en oubliant de chercher à savoir ce que l'on est...
Car là, si l'on se dirige vers l'être, et non pas l'avoir, le paraître, on est forcément induit à rechercher le silence et la solitude. J'ai besoin du silence pour lire, pour écouter de la musique, pour faire du vélo, pour marcher (c'est pourquoi j'ai arrêté de faire des marches en groupe), et donc de la solitude, de la plus haute des solitudes, celle que l'on recherche pour se trouver, pour se créer, pour s'éprouver, pour grandir... Je ne nie pas l'importance des expériences vécues en groupe, en couple, dans la vie sociale, dans l'amitié, dans les rencontres. Mais tant que soi-même, on ne sait pas qui on est, tant qu'on ne s'est pas rencontré soi-même, aller vers l'autre, vers les autres, relève de la gageure. Car c'est dans le silence et la solitude que l'on s'enrichit de ce que l'on peut, ensuite, apporter aux autres : du fruit de nos lectures, de nos découvertes personnelles, de l'approfondissement de la vie intérieure.
D'où mon goût pour le voyage en solo, pour les retraites monacales (à expérimenter, en fait je n'ai pas encore essayé, mais je suis très tenté, notamment par les repas en silence), pour le refus des fêtes imposées (à mon goût pires que les impôts !), pour les promenades à pied ou à vélo (la seule machine qui trouve grâce à mes yeux, car peu bruyante, elle laisse tous nos sens en éveil et porte – comme tout exercice corporel – le cerveau à l'incandescence). Et pourtant, je suis très sociable, je vais facilement vers les autres, je suis porté vers l'amitié, les rencontres me font du bien, mais certes non les rencontres imposées par la publicité, le consumérisme, la peopolisation...
D'ailleurs, c'est dans le silence qu'on réalise plus sûrement le mystère de l'amour : "Tu es venue quand au parterre sonne le muguet, venue avec le corps qu'il fallait, le silence qu'il fallait dans tout ce bruit du monde", chante le poète québécois Normand de Bellefeuille. Et comme, cette année, dans la solitude immense du cargo, Claire est redescendue en moi pour un accompagnement transcendantal (comprenne qui voudra !), j'ai encore mieux compris la valeur du silence et de la solitude, de la simplicité et de l'amour, du retrait partiel du monde.
Si nous voulons vraiment être libres, délivrons-nous des corsets étouffants imposés par l'extériorisation excessive de la vie, libérons-nous de "la lourdeur du monde, c'est-à-dire [du] poids de son agitation un peu vaine, [du] bruit de sa rumeur certains jours si assommante" (que dénonce si justement Jean-François Beauchemin dans La fabrication du monde), faisons le choix de développer notre vie intérieure ; elle seule, par son enrichissement, peut nous aider à nous approcher des autres, à leur apporter, éventuellement, quelque chose.

 les fleurs, dans leur nudité, nous parlent quand on est seul

samedi 28 décembre 2013

28 décembre 2013 : bilan de l'année, premier semestre


Car comment savoir qui il était réellement ? Le savait-il seulement lui-même ?
(Nikos Kazantzaki, Le pauvre d'Assise, trad. Gisèle Prassinos et Pierre Fridas, Presses Pocket, 1991)


Je sais, l'année n'est pas finie, mais j'ai quand même envie de faire un petit bilan, et pour commencer, du premier semestre...
Ce dernier a été principalement marqué par mon deuxième voyage en cargo et par la satisfaction intense qu'il m'a procuré à tous points de vue. Pour reprendre un verbe utilisé par Brassens dans sa fameuse chanson Hécatombe (chanson qui commence par "Au marché de Brive la Gaillarde"), j'ai vraiment « biché » pendant ce voyage, c'est-à-dire que je me suis profondément réjoui. J'ai tout apprécié, le relatif dénuement récréatif dû à la presque absence de divertissement collectif (à l'exception des trois repas barbecue et d'une soirée karaoké chez les Philippins) qui oblige à s'occuper de soi, la sobriété idéale des repas expéditifs, la durée qui a permis de faire longuement connaissance, tant avec les autres passagers qu'avec l'équipage, aussi bien qu'avec le fonctionnement du navire, des manœuvres de déchargement-chargement, les deux franchissements du canal de Panama, les brèves escales... Et, bien sûr, l'extraordinaire dilatation du temps qui m'a offert une pause bienvenue dans ma vie. Réflexion, méditation, observation des phénomènes naturels, mer et vagues, météores et phénomènes célestes, respiration de l'air marin, lecture, écriture, ont jalonné, jour après jour, une découverte du monde qui fut aussi une découverte du moi.

en train de regarder la mer et de prendre une photo, sur le pont supérieur
  
Je ne reviens pas trop là-dessus, je l'ai longuement évoqué dans mes blogs de mars, et il me reste à écrire un livre là-dessus, qui sait ? - j'ai pris d'abondantes notes. D'ailleurs, ça m'a tellement plu que je réitère cette année pour un plus long périple encore, un demi-tour du monde de quatre-vingt-dix jours qui, cette fois, va me faire traverser l'Océan Pacifique.
Nonobstant cette absence de presque deux mois, j'ai beaucoup pratiqué l'amitié, et rendu visite à maintes reprises à mes amis de Poitiers, parfois dans les difficultés dues à l'extrême vieillesse ou à la maladie. Mais je suis allé aussi à Paris, à Montpellier et environs, à Bédarieux, en Dordogne, à Grenoble, en Charente, en baie de Somme, en Avignon, dans les Landes, et n'ai donc pas oublié ni négligé mes « parents et alliés » (comme on dit dans les nécrologies), ni les amis de ces coins-là. J'ai terminé le semestre en beauté par le Festival de cinéma de La Rochelle, et mes  accueillants amis d'Angoulins-sur-Mer. Je n'oublie pas non plus que j'ai hébergé deux jeunes musiciens colombiens, Alejandra et Juan Camilo, ainsi que les couch-surfeurs qui m'ont sollicité, et des ami(e)s qui m'ont visité. Je les ai emmené(e)s à chaque fois à la dune du Pyla, ce qui a permis à mon automobile de se rendre utile (outre qu'elle a servi à ma fille pendant que je voguais sur les mers).

couverture du livre

Enfin, j'ai eu le plaisir de voir paraître une sélection de mes poèmes chez L'Harmattan : Le temps écorché a bénéficié d'une très belle couverture, grâce à la photo de mon amie Christine Mehring (non créditée, hélas, mais rendons à César ce qui lui appartient) et je suis assez satisfait du résultat. Le livre m'a valu quelques belles lettres (uniquement féminines) et pour l'instant trois recensions critiques dans des revues de poésie, dont une en Belgique.

 photo originale de Christine Mehring

vendredi 20 décembre 2013

20 décembre 2013 : au nom des pères


monsieur votre père, dans son veuvage exemplaire, est revenu à un état de virginité primitif qui intrigue puissamment la communauté scientifique et lui a valu un dossier de précanonisation à l'archevêché.
(Carlos Ruiz Zafón, Le prisonnier du ciel)


Si on me lit attentivement, on sait à quel point je suis passionné par la paternité, le fait d'être père – ou de ne l'être pas, la capacité qu'ont certains hommes à mettre en œuvre ce rôle de père ou à le nier totalement... J'ai vu ces derniers temps quelques films qui nous montrent assez bien comment l'absence ou la présence du père jouent dans la difficulté d'être.

Couleur de peau : miel, vu en dvd, est tiré d'une bande dessinée racontant l'adoption plénière d'un jeune orphelin coréen, Jung, dans une famille belge déjà chargée d'enfants. C'est un film composite, autobiographique, comprenant à la fois des documents d'époque (actualités des années 50, films en super 8 de l'arrivée du petit enfant), des documents d'aujourd'hui (Jung devenu homme se décide à aller voir un peu à quoi ressemble la Corée) et l'enfance et l'adolescence belges traitées en dessin animé. On voit beaucoup la mère, le père est présent aussi. Ils font de leur mieux, mais Jung doit se construire tout seul, n'étant ni tout à fait belge, ni tout à fait coréen, et doit donc répondre par lui-même à la question : qui suis-je ? Film admirable, que je suis étonné de l'avoir raté à la sortie.

Les garçons et Guillaume à table Affiche

Les garçons et Guillaume, à table, autre film autobiographique, nous montre un jeune garçon qui croit que pour être aimé par sa mère, il doit l'imiter en tout, et donc devenir une fille, puisqu'au fond, la mère voit en lui la fille qu'elle aurait aimé avoir, après ses deux premiers garçons. Là, le père est notablement absent, il semble ne s'intéresser qu'aux affaires et au sport (comme les deux aînés), et le cadet va devoir trouver sa place et son identité, prouver qu'il n'est pas ce que l'on croit. Pas un grand film, mais très intéressant par la manière dont le machisme ordinaire aussi bien que la maternité couveuse sont subvertis.

 Eka et Natia, Chronique d'une jeunesse georgienne

Eka et Natia, chronique d'une jeunesse georgienne, largement autobiographique aussi, se passe en Géorgie, après la chute de l'URSS. Là, c'est très simple, les pères sont absents ou alcooliques, et les jeunes filles doivent se débrouiller comme elles peuvent pour se construire, dans un monde à la mentalité « méditerranéenne », c'est-à-dire très sexiste, et où les hommes sont machos dès le plus jeune âge. Natia ainsi se voit contrainte à un mariage forcé. Eka, légèrement plus jeune, et dont le père est en prison, s'en sortira peut-être différemment... Très beau film, bien joué, et qui m'a profondément ému.

Suzanne

Suzanne, lui, est un film qui joue sur la durée : on suit l'héroïne de six à trente ans. Dès le début (scène des fleurs au cimetière), on sait que la mère va manquer, morte quand les deux filles Maria et Suzanne étaient toutes petites. Le père (formidable François Damiens) ne se remarie pas. Il va, non sans difficultés, élever seul ses filles. Il est camionneur, et donc souvent absent. On voit donc grandir les deux filles petites, devenant adolescentes, lycéennes, et soudain le choc : la proviseure convoque le père pour lui apprendre que Suzanne, même pas dix-sept ans, est enceinte de plus de trois mois. C'est le début d'une descente aux enfers pour le père autant que pour Suzanne, qui va avoir son petit garçon, Charlie, puis s'amouracher d'un voyou, partir en prison, en sortir, faire un deuxième enfant, y retourner... Ce qui pourrait être un mélo assez lourdingue se révèle un film d'une incroyable finesse et d'une justesse de ton, assez rares dans le cinéma français. Le père, Maria, Charlie, l'avocate (Corinne Masiero, formidable aussi), même Julien, l'ange du mal, tournent autour de Suzanne, et ne sont vus que de son point de vue à elle. Très beau portrait de père esseulé, on s'en doute, mais beau portrait de femmes aussi... Un film qui étonne.

The Lunchbox

The lunchbox est un film indien. Cette fois aussi, un film féministe, qui ose la rencontre entre Ila, une jeune mère nantie d'un mari qui la néglige (et ne s'occupe pas du tout de leur enfant) et Saajan, un homme proche de la retraite et veuf. Ila prépare pour son mari la « lunchbox », c'est-à-dire gamelle, que des livreurs portent aux hommes qui travaillent pour leur repas de midi ; elle y met de bons petits plats, dans l'espoir de faire revenir l'amour de son mari. Mais un jour, les livreurs se trompent d'adresse, et la lunchbox parvient à Saajan. Ici, c'est un film social (les autres l'étaient aussi), très ancré dans les notations concrètes, où tous les personnages jouent leur partition (ah ! Il faut remarquer la voisine du dessus d'Ila, qu'on ne voit jamais, mais qui lui donne les idées de plats plus appétissants les uns que les autres, ou le jeune successeur à l'emploi de bureau de Saajan), et qu'on quitte à regret, comme si c'était des amis.
*                     *
Alors, je ne sais pas trop où étaient les pères là-dedans : absents, esseulés, dominateurs, ni si on peut dire qu'il y a un rapport entre tous ces films vus en l'espace de deux semaines. Néanmoins, ils m'ont donné l'idée de donner un coup de jeune à la fameuse prière de Jésus et de la récrire à ma façon, puisque maintenant le Ciel semble définitivement absent :

Mon père qui es sur terre,
je souhaite que tu sois vraiment là,
que tu nous amènes à être au moins égal à toi,
et que ta volonté ne nous empêche pas de devenir ce que nous devons être.
Rends-nous capable d'assumer notre pain quotidien,
pardonne-nous nos torts envers toi
comme on te pardonne tes propres torts,
et enseigne-nous la force
qui nous permettra de lutter contre les tentations du monde.

dimanche 15 décembre 2013

15 décembre 2013 : mea culpa



C'était ainsi que Mauricio Valls avait pris sa première leçon dans le complexe art national de manœuvrer et de gravir les échelons après un changement de régime : des milliers de fidèles et de convertis participaient à l'escalade, et la compétition était terriblement rude.
(Carlos Ruiz Zafón, Le prisonnier du ciel)


Je me vois contraint de dire que le très beau texte attribué à Mandela dont j'ai fait état dans ma chronique du 8 décembre dernier était un faux, comme Médiapart vient de le signaler (je l'avais pêché chez eux, et bravo aux journalistes de reconnaître leur erreur) : http://blogs.mediapart.fr/blog/edwy-plenel/141213/mandela-et-la-palestine-une-erreur-et-quelques-rappels.
Ceci étant, ça n'empêche pas que je souscris entièrement à son contenu, et que Mandela aurait parfaitement pu l'écrire. Je note que le premier ministre Netanyahou devait d'ailleurs l'avoir pris à son compte pour s'être dispensé d'assister à l'hommage funèbre en Afrique du sud.
En attendant, relisons ses mémoires :



samedi 14 décembre 2013

14 décembre 2013 : hommage à la lecture (Charles Juliet)



J'aime lire. J'aime passionnément la lecture. Et, bien évidemment, j'aime aussi les livres. Non tous les livres. seulement ceux qui agrandissent la vie, poussent à creuser davantage, aident à respirer à pleins poumons.
Aimant lire, il va de soi que j'ai passé de longs moments dans les librairies, ces lieux où je pénètre en état d'avidité, sachant que je vais trouver là par centaines ces objets de papier et de mots qui tiennent une telle place dans mon existence.
Sans les livres et la lecture, ma vie aurait été désertique. grâce à eux, ma terre a été richement fertilisée par les eaux d'une source qui n'a jamais tari. d'où d'inoubliables heures de découvertes, d'errances, de troubles, de doutes, de remises en cause, parfois d'effondrement, ou à l'inverse, d'allégresse, de plénitude, d'élévation. Heures où la vie me déchire et me comble, me flagelle de ses rafales, me jette en un éclair du profond de la douleur d'être au plus effervescent de l'exultation.
J'éprouve un bonheur toujours neuf à me rendre dans une librairie, à fureter, à happer quelques lignes d'un roman, survoler la page d'un essai, savourer un poème... Tant de rencontres se proposent, tant de voyages seraient possibles...
Après que j'ai acquis l'ouvrage sur lequel s'est porté mon choix, l'autre bon moment est celui où je rentre chez moi, serrant dans ma main la précieuse substance verbale qui va me dilater, me pousser hors du temps, faire haleter dans mes veines une vie plus ardente.
(Charles Juliet, Échanges, Paroles d'aube, 1997)





vendredi 13 décembre 2013

13 décembre 2013 : de l'influence du divorce sur le marché du livre


nous sommes de l'autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu'à nous comme une flèche d'abeilles...
(Julio Cortázar, lettre à Fredi Guthman, 1963)

Je dois avouer à ma grande honte que je n'avais rien lu du Portugais José Saramago, pourtant lui aussi prix Nobel (en 1998). C'est chose faite maintenant avec Le cahier (Le cherche midi, 2010, trad. Marie Hautbergue) qui, à défaut de me donner une idée de l'écrivain, m'en donne une de l'homme Saramago : en effet, il ne s'agit pas d'un roman, genre qui lui a valu le prix Nobel, mais de la publication du blog qu'il a tenu entre 15 septembre 2008 (il fête ses 86 ans) et le 15 septembre 2009. Rien de tel qu'un blog pour connaître quelqu'un, vous ne me direz pas le contraire, vous qui me lisez !

 
José Saramago y cause de l'actualité, très sévère envers Bush et Berlusconi, aussi bien qu'envers la manière dont le monde est désormais géré, les gouvernants étant à la remorque de l'économie, et cette dernière n'ayant pas d'états d'âme ni d'idées ; ainsi, lors du sommet de Davos de 2009, il note le 3 février, avec une ironie acerbe : "On parle surtout d'un inquiétant manque d'idées, allant jusqu'à admettre que l'« esprit de Davos » est mort. Personnellement, je ne me suis jamais rendu compte qu'il planait par là un « esprit », ou quelque chose méritant plus ou moins cette désignation. Quant au manque d'idées allégué, je suis surpris que ce ne soit que maintenant qu'on y fasse référence, dans la mesure où des idées, ce que, avec tout le respect, nous appelons idées, il n'en est jamais sorti une seule pour échantillon."
Il est souvent question du pouvoir, même s'il sait "très bien que parler de morale et de moralité par les temps qui courent, c'est se prêter à la dérision des cyniques, des opportunistes et des malins, tout simplement" (19 janvier 2009). Il s'interroge : "Comme c'est toujours le cas et comme ce sera toujours le cas, la question centrale de toute organisation sociale humaine, dont découlent toutes les autres et à laquelle toutes finissent par concourir, est la question du pouvoir, et le problème théorique et pratique qui se pose à nous consiste à identifier qui le détient, à vérifier comment il y est arrivé, à contrôler l'usage qu'il en fait, les moyens dont il se sert et les fins qu'il vise" (29 septembre 2008). Il n'a jamais la dent assez dure contre la dictature du marché : "Et si je parle comme cela du marché, c'est parce qu'il est aujourd'hui et chaque jour un peu plus, l'instrument par excellence du véritable, unique et inaltérable pouvoir, le pouvoir économique et financier mondial, celui qui n'est pas démocratique, parce que ce n'est pas le peuple qui l'a élu, qui n'est pas démocratique parce qu'il n'est pas régi par le peuple, et qui n'est pas démocratique, enfin, parce qu'il ne vise pas le bonheur du peuple" (même jour).
Il se montre d'un pessimisme raisonné, constatant le 11 novembre 2008 que "Les espoirs des jeunes n'ont jamais réussi, jusqu'à ce jour, à rendre le monde meilleur, et l'aigreur toujours renouvelée des vieux n'en est jamais arrivée au point de le rendre pire." Mais sa véhémence s'exerce surtout contre les religions, responsables, selon lui de bien des malheurs, et bien qu'occidental, il n'en exonère pas le christianisme. Le pape (c'était Joseph Ratzinger à l'époque) en prend pour son grade. Enfin, il n'est pas sûr (moi comme lui) que notre modèle occidental soit exportable. Ainsi écrit-il le 8 octobre 2008 : "je me refuse seulement à admettre qu'il ne soit possible de gouverner et de souhaiter être gouvernés que selon les modèles supposés démocratiques en usage, selon moi corrompus et incohérents, que certains hommes politiques, pas toujours de bonne foi, s'escriment à vouloir rendre universels, avec de fausses promesses de développement social qui dissimulent mal les ambitions égoïstes et implacables qui les animent." Il n'a pas de mots trop durs non plus pour fustiger la politique israélienne d'annexion, d'humiliation quotidienne et de spoliation du peuple palestinien.
Au fond, le vieil homme n'a plus aucune illusion, du moins en politique, la gauche n'existant plus selon lui. Heureusement, il reste la littérature, et il rend hommage, ici et là, à Fernando Pessoa, Eduardo Lourenço, Jorge Amado, Chico Buarque (qu'il m'a donné envie de lire, et j'ai aussitôt acheté un livre), José Luis Sampedro, Jorge Luis Borges, Antonio Machado, Gonçalvo M. Tavares... Il apprécie à sa juste mesure l'élection d'Obama.
Il pratique volontiers l'humour : la page intitulée Divorces et bibliothèques est à mourir de rire (surtout pour un bibliothécaire). Comme, à un salon du livre, il voir débarquer un lecteur avec tout un tas de ses titres tous neufs à dédicacer, encore sous emballage plastique, et qu'il lui demande s'il s'est pris soudain de passion pour son œuvre : "Il m'a répondu que non, qu'il me lisait depuis très longtemps, mais qu'il avait divorcé et que son ex-femme, elle aussi lectrice enthousiaste, avait emporté dans sa nouvelle vie la bibliothèque désormais éclatée." Le divorce serait-il la panacée pour faire vivre les librairies ? En ce cas, vive le divorce !
Le cahier est précédé d'une préface roborative d'Umberto Eco.

jeudi 12 décembre 2013

12 décembre 2013 : au fil des jours


Les yeux sont ouverts. Autour des yeux, l'espace.
L'espace est silencieux. Trous de bruit, trous de bruit partout.
Ouverts, dans la matière silencieuse et bruyante de l’espace.
Les yeux voient.
(Leslie Kaplan, L'excès-l'usine, Hachette, 1982)


Je reviens de Poitiers. J'ai pris un train qui n'était pas le mien, puisqu'en jour de grève, on peut monter dans n'importe quel train. Pas de contrôle, j'aurais pu filer jusqu'à Strasbourg ! Non, je suis sagement rentré chez moi. Mon bref séjour poitevin, m'aura permis de rencontrer de nouveau mes amis Georges et Odile, les poètes, Frédéric, qui m'a offert un dvd, ainsi que Cédric et Gilles, qui travaillent à la BU, et m'ont hébergé. Mardi soir, muni d'un micro, j'ai fait mon petit récital de poésie au Biblio-café (je me suis trouvé excellent dans une lecture de longue durée, environ 25 minutes non-stop) devant un public maigrelet, et pu aussi lui parler du voyage en cargo. 


Commentaire de l'auteur sur son site : "Mais lisez, bordel !"
 
Mercredi après-midi, je suis allé à la Bibliothèque des Couronneries pour participer bénévolement avec V. à la vente de livres pour le compte de la librairie La belle aventure, qui ne peut en cette période détacher ses vendeuses hors de la librairie. L'animation de Loïc Méhée, auteur-illustrateur pour les enfants, a attiré une soixantaine de personnes, en comptant les parents présents. 

 
Son livre Pictoumou, le hérisson qui a les pics tout mous (éd. Les 400 coups) a fait un tabac, nous en avons vendu tous les exemplaires.
Et mercredi soir, je suis allé revoir, en compagnie de Georges Bonnet, la pièce de Jean-Claude Martin, Je n'ai jamais pris l'autobus, jouée par mon ancienne troupe d'amateurs, la Troupe du 102. 

la pièce a été publiée (éd. L'Aiguille) 
Ça se passe à un arrêt de bus, sur trois jours et trois nuits, en général cinq tableaux par jour (matin, 10 h 40, après-midi, soir, nuit) : des gens viennent là, se parlent ou pas, la nuit, un SDF se fait tabasser par trois voyous cagoulés, un couple se dispute parce que leur voiture est en panne et que l'autobus, c'est pas le pied (surtout pour la femme), deux vieilles dames, un vieux poète (qui fait des rimes en us, ce qui donne lieu à des vers comiques : "Je suis un vieux poète, presque un diplodocus / J'ai replié ma vie, j'ai rangé mon phallus / Seul sous la Voie lactée, j'attends mon infarctus", par exemple), des policiers, des ambulanciers, un ado pendu à son portable, enfin tout un monde se croise autour là... Les onze comédiens jouent une cinquantaine de rôles. C'est assez drôle, on reconnaît les obsessions de l'auteur : la solitude, l'amour impossible, la hantise du vieillissement... Une jolie musique guillerette su metteur en scène, Hervé Guérande-imbert, agrémente une chanson que la troupe entonne en chœur (refrain : "Les bus, les bus, c'est mon dada : / Sont tout pour moi, j'en suis fada. / Jamais je n'ai couru les filles, / J'ai rompu avec ma famille. / Et le dimanche, suprême astuce, / Je le passe au... marché au bus !). Avis aux troupes de théâtre à la recherche d'un texte !

  
Et puis j'ai lu le journal de Gérard Tournadre, intitulé Le littéralecteur : au fil des jours (Books on Demand, 2013), dans lequel l'auteur fait défiler les années 2011 et 2012. Peu de faits politiques et sociaux, non, c'est un journal essentiellement littéraire où l'auteur nous fait part de ses lectures. Il est visiblement féru de Marcel Proust, de Paul Valéry, de la mythologie grecque (long développement sur Artémis) et sumérienne (Gilgamesh), d'Apollinaire aussi. Ici et là, il rend hommage aux écrivains de la terre, Giono, Ramuz, et fait un bel éloge funèbre de l'écrivain-paysan gersois (qui fut mon ami) Marius Noguès, mort en juin 2012. Rousseau aussi apparaît, ainsi que Montaigne (son favori), Chateaubriand, Nabokov ou André Gide. Il n'a pas de mots trop durs pour le Goncourt en 2011 de Michel Houellebecq, La carte et le territoire (forcément, quand on sort de Proust !), alors qu'il est enchanté par le dernier roman d'Henry Bauchau, Boulevard périphérique. Il parle aussi de théâtre (Brecht, le théâtre antique), de conférences (notamment celle faite par Odile Bordaz sur le vrai D'Artagnan, où elle rend hommage à Alexandre Dumas), sans oublier l'air du temps, ainsi pour le 24 décembre 2012, il donne un poème, dont la dernière strophe est : "Tout à l'heure à minuit sonné / Un grand chant a été entonné / Pour celui qui a faim / La mangeaille demain ?" Car Gérard Tournadre est poète aussi (Fragrances de désespéramour, précédé de Pourquoi demain ! paru chez le même éditeur, 2013), où il traite sur un ton élégiaque du temps qui fuit, des amours désespérées et du vieillissement. J'ai dévoré Le littéralecteur
Et puis, je suis rentré plein d'usage et raison...