lundi 14 janvier 2013

14 janvier 2013 : le bal des hypocrites


Au fond, c'est bien ça que je ne peux pas leur pardonner : leur fausseté manifeste, leur embourgeoisement, il n'y a pas d'autre mot. Ah ! ils avaient des notions bien arrêtées du bien et du mal. Ils étaient comme il faut tout plein, à montrer en exemple.
(Jean Meckert, Les coups)


Je ne sais pas si l'histoire se répète, mais enfin, tentons une chronologie. 1967 : loi Neuwirth qui autorise la vente des produits anticonceptionnels (pilule). L'Église catholique est contre (elle va encore aujourd'hui jusqu'à déconseiller l'usage du préservatif dans une Afrique noire où le sida fait des ravages !). Notons que la contraception ne sera totalement libéralisée qu'en 1974. 1975 : loi Veil qui dépénalise l'avortement et autorise l'interruption volontaire de grossesse (IVG). L'Église catholique est contre. Les plus radicaux d'entre eux organisent des commandos anti-IVG. 1999 : loi instaurant le Pacs (Pacte civil de solidarité). L'Église catholique est contre. 2013 : projet de loi sur le mariage pour tous. L'Église catholique est contre. Chaque avancée sociétale dans des domaines qui concernent la sexualité voit un frein dans ce monolithe pur et dur qu'est le catholicisme. Or, notons que les évêques et prêtres de cette Église, ayant fait vœu de chasteté, ne peuvent pas se marier ni avoir d'enfants. Qu'ils se permettent de donner leur avis (en attendant de dicter leur loi) à la majorité de la population qui, elle peut se marier et avoir des enfants, me paraît aberrant. Par ailleurs, dans notre république laïque, on ne voit pas pourquoi il y a de telles interventions publiques, la religion relevant de la sphère privée. Je note d'ailleurs que si les églises sont de plus en plus désertées, l'opposition de la hiérarchie à ces différentes lois n'a pas été pour rien dans ce mouvement de désertion accéléré.
Alors, avec ce projet de loi, qui serait tout de même une reconnaissance égalitaire de tou(te)s, y a-t-il une menace apocalyptique pour notre société ? Pour ma part, je vois plus de menaces dans l'obscurantisme religieux (on notera que presque toutes les religions : catholiques, protestants, musulmans, juifs, se sont élevés contre le projet !!!) qui voudrait nous ramener au Moyen âge et aux sinistres bûchers où périssaient les sodomites. Les homophobes de tous bords étaient bien présents dans la manif, avec comme consigne « Mais, on les aime, les homosexuels » (au temps de Pétain, chacun avait son bon juif aussi, mais globalement, on était bien content de les voir partir « ailleurs »). Seulement on ne veut pas qu'ils soient des citoyens comme les autres avec les mêmes droits. Même s'il est établi qu’un enfant élevé dans une famille homoparentale n'est pas plus perturbé ou malheureux, il faut pouvoir préserver les autres enfants qui risqueraient de faire des comparaisons défavorables aux fameux couples dans la norme.
Or, l’accès aux droits dont est actuellement privée une minorité, ne menace en rien la majorité déjà détentrice de ces droits. Rien dans la loi n'empêchera les couples hétéros de continuer à se marier, ça ne leur enlève rien. Et il s'agit d'un mariage civil, pas religieux, notons-le. Si on gratte un peu sous le vernis des opposants, on trouve la bonne vieille et archaïque homophobie, il n'y a aucun doute. « L’homosexualité menace les fondements de la société, entraîne une perte de repères, nous disent-ils, car normalement une famille, c'est un homme, une femme et des (leurs) enfants. » En réalité, il y a belle lurette qu'avec les familles recomposées, beaucoup d'enfants ont deux pères, deux mères. Par ailleurs, un certain nombre de femmes et d'hommes découvrent (ou décident d'accepter de ne plus se mentir) leur homosexualité après un mariage plus ou moins réussi, plus ou moins long. Ils continuent à voir leurs enfants, ce qui est légitime. Enfin, des couples d'homosexuel(le)s existent déjà, et pour certains, ont procédé à des adoptions ou à des procréations médicalement assistées (PMA). C'est un fait, mais pour les croyants, comme écrit Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann : "Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir..." Et ils alimentent l'hypocrisie : pour la PMA, les femmes sont obligées d'aller à l'étranger, comme autrefois pour avorter, et pour l'adoption, elle se fait en cachette, puisque seuls les célibataires ont le droit d'adopter, et donc les couples homosexuels désireux d'adopter le font à titre de célibataire, ce qui fait que l'autre membre du couple n'a aucun droit sur l'enfant en cas de décès inopiné du « conjoint ».
Le slogan vu lors de la manifestation en décembre favorable au projet de loi : « Le mariage pour touTEs va changer la vie des homosexuelLEs, pas la vôtre », a le mérite de montrer que ce qui heurte les opposants, c'est qu'un nouvel accès à des droits dont ils étaient seuls détenteurs (on appelle ça un privilège) les menace. Jusque-là, ils pouvaient clamer : « Nous, on est normaux ! », et ne pas se priver de stigmatiser, insulter, maltraiter, mettre au ban ceux qui n'étaient pas dans la norme. Après le vote de la loi – et j'espère que le gouvernement ne va pas se dégonfler, cette fois –, tout le monde sera sur le même plan. Et tous ces horribles seront obligés d'accepter ce qui les choque actuellement. "La méchanceté m'obsède car c'est une forme de petitesse, de médiocrité, comme une saleté, une crasse de l'humain", écrivait Gil Courtemanche, dans Un lézard au Congo.
Oui, ce fut un triste spectacle que Paris, la ville-lumière, nous a donné hier. Le défilé de tout ce que la France a de plus réactionnaire, rétrograde, retardataire, nous ramène à l'époque de Vichy où, après tout, Pétain réunissait aussi des foules considérables. Et, alors que les associations caritatives peinent à boucler leur budget, là, on a su mobiliser un million d’euros. Les bien-pensants ont toujours ce mot de sacré à la bouche, mais pour eux, est d'abord sacré ce qui touche à leurs intérêts. Et ils restent victimes de leur éducation, en particulier religieuse : "Nos censures intérieures et extérieures, nourries de peurs, vont faire qu'un grand nombre d'entre nous réintégrera à jamais et la tête basse le clan des frustrés et des « sagesses » à deux sous", dénonce justement Christian Hiéronimus, dans L'art du toucher : initiation à un toucher conscient et créatif.
"Saper l'opinion fausse – et peut-être toute opinion –, rien n'est plus beau, et plus utile", nous dit Danièle Sallenave, dans « Nous, on n'aime pas lire ». Et Georges Picard, dans Tout m'énerve : "Si nous décidons de changer, d'être différents, d'aspirer à une liberté, alors les jugements affectifs, sociaux et familiaux nous obligeront sans cesse à vérifier la force et le bien-fondé de notre motivation. Les uns qui ne remettent pas en question leur emprisonnement ont tout intérêt à décourager et à faire abdiquer les autres qui éprouvent le besoin profond de donner un sens à leur vie". Michel Billé, Didier Wartz, eux, dénoncent l'espèce de racisme anti-vieux dans leur beau livre La tyrannie du « bien vieillir » : l'altérité ne fonctionne qu'à condition "que « nous restions entre nous » […] Dans cet espace de la re-connaissance, la tolérance peut s’exercer". Et ils ajoutent : "La norme est nécessaire comme repère. Cependant la norme a une autre fonction : elle trace des lignes de partage, marginalise, isole, exclut. Parfois de façon tranchée, radicale comme dans les génocides ou la question des migrants : parfois de façon plus insidieuse, plus subtile, en définissant en silence ce qu’est le corps « normal » par exemple". Des phrases à méditer en ces temps troublés.

1 commentaire:

Guilbert a dit…

Merci !! FY