mardi 19 mars 2013

19 mars 2013 : cargo 4 : le navire



J'ai commencé tôt à faire de moins en moins ce qui me plaisait, et puis par ne plus le faire du tout, et puis, encore plus tard, à ne plus même savoir ce qui m'aurait plu de faire à la place de ce que je faisais.

(Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres)



Le Lutetia est un cargo au château luxueux, mais sans ascenseur, et je suis logé au 6ème étage, juste au-dessus du commandant ! Jean (né en 1950, ex-agent de voyage, et tout un tas d'autres métiers), le co-passager de Lyon, qui m'a rejoint à Saint-Lazare, et avec qui j'ai voyagé jusqu'au Havre, est, lui, dans la suite de l'armateur : il devait partir le 14 janvier, mais on lui a changé sa date de départ en lui offrant cette superbe suite, comprenant salon indépendant et chambre. Janet (née en 1942, ex-éclusière), la troisième passagère, néerlandaise, occupe la cabine voisine de la mienne : c'est son quatrième voyage en cargo, elle est déjà allée jusqu'en Chine. 

Janet, à la proue, pendant le tour du pont

Nos cabines sont vraiment spacieuses (3, 5 m x 6 m), avec un lit qui pourrait loger deux personnes, un bureau, une armoire, deux commodes, un frigo, un téléviseur grand format avec lecteur de dvd (j'ai bien fait d'apporter quelques dvd de cinéma et d'opéra), un canapé trois personnes et une table de salon fixée au sol. Le cabinet de toilette est étroit, mais suffisant, avec lavabo, douche et W.-C. J'ai droit à trois serviettes de toilette.

         ma cabine : derrière les rideaux, les sabords


Nous mangeons au mess des Européens, servis par un jeune Philippin. Puis chacun retourne à son travail ou remonte dans sa cabine. Le petit déjeuner est servi de 7 h 30 à 8 h 30. Il y a presque toujours des œufs (brouillés, en omelette ou au plat), des charcuteries, du bacon, du fromage, des céréales, des tartines de pain qu'on peut faire griller. La pratique de l'anglais n'est pas facile, j'ai du mal à comprendre les Philippins ; je découvre que le second, Lucian, un Roumain, me reconnaît, il était sur un des deux cargos de la Guadeloupe en 2010 ! Et il parle français, habitant même désormais notre pays ! L'équipage est très international, venant de Bulgarie (le commandant), Roumanie, Lituanie, Ukraine, Pologne et Philippines (deux officiers, les ouvriers et matelots, le personnel de service de cuisine). 

Sur la passerelle, le Champagne, offert par Ivan (commandant) et Lucian (second)

 
Quelques Philippins, au centre, Joseph le cook, à droite, le bon Ben
 

C'est l'officier de sécurité philippin qui nous fait visiter le navire, on découvre au sous-sol la salle de sport, où nous devrons nous réfugier dare-dare en cas d'attaque de pirates (!) et y rester barricadés : ce n'est pourtant pas grand, mais dans la cambuse annexe, il y a des provisions pour trois jours, des matelas qu'on installera par terre et, j'imagine, des toilettes ! Cette salle est surnommé the citadel. Pas de bibliothèque à bord (tout le monde a un ordinateur et beaucoup un e-book ou liseuse). Pas de grand salon non plus, sauf dans les mess, et je comprends pourquoi chaque cabine a sa télé (du moins celles des officiers et du personnel supérieur). Nous écoutons sans rien y comprendre (du moins moi) les explications de sécurité en cas d'évacuation du navire, car l'officier philippin parle un anglais sans doute basique et simple, mais avec un accent incompréhensible. Espérons que tout ira bien. Nous signons la décharge pour les assurances (tout en anglais).  
Jean a eu une carrière bien remplie, il a fait tout un tas de métiers, dès qu'il s'emmerdait, il changeait de boîte ! Et une vie sentimentale bien agitée aussi, deux mariages, quatre enfants...
Une chose est sûre, c'est que la loi anti-tabac française ne s'applique pas ici, malgré les panneaux d'interdiction tous azimuts. Ça pue le tabac froid dans les coursives, les escaliers, et les officiers (européens, pas les Philippins) fument dans la passerelle de commandement, pas trop, mais suffisamment pour m'incommoder. Aussi me tardait-il beaucoup de pouvoir aller sur le pont respirer l'air marin qu'au début et vers la fin, je ne pouvais humer ce bon air que sur le pont adjacent à la passerelle, le pont inférieur, qui fait tout le tour du bateau, étant interdit par houle trop importante, ce qui fut le cas dans la Manche et au début de l'Atlantique ; par ailleurs, il a commencé à faire bon (plus de 18°) qu'à la latitude des Açores.

Aux déjeuners (de 11 h 30 à 12 h 30) et dîners (de 17 h 30 à 18 h 30), les Européens mangent à une allure record, notamment Mariusz, l'ingénieur stagiaire polonais qu'on a vite, Janet et moi, surnommé Speedy, et chronométré, en dix minutes, parfois sept ou huit, c'est expédié ! Janet, Jean et moi (puis Jochen au retour, qui a remplacé Jean) nous efforçons de rester un peu plus longtemps, sous le regard narquois et souriant de Ben, le jeune et sympathique steward (messman) philippin.

           Le mess : notre table au fond

Notre premier tour du pont, nous l'avons fait sous un soleil magnifique, conduits par un matelot philippin, qui doit avoir autant de mal à comprendre mon anglais (avec l'accent français) que moi le sien (avec l'accent philippin) ! Il faut dire que ça m'a fait beaucoup de bien de respirer l'air du large, même si le pont est moins bien que sur les cargos de la CGM, et en particulier, il n'y a pas la possibilité de se mettre à la proue pour regarder le bateau avancer. La proue est en effet une grande salle couverte avec certes des ouvertures, mais aucune possibilité de s'asseoir pour jouir du paysage ; donc je faisais mon tour, souvent après les repas du matin et de midi. Il nous reste donc les ponts adjacents à chaque côté de la passerelle pour jouir du grand air : des fauteuils en plastique blanc (style jardin), un transatlantique même pour bronzer) nous permettent de prendre l'air, tout en étant protégés des ardeurs du soleil sous l'auvent qui couvre ces ponts (master bridge).

   

Le master bridge (premier jour, sous la brume de la Manche)


Puis nous avons visité les salles des machines, costumés en combinaisons. Impressionnant.

                         Le moteur géant                                            


À suivre...

Prochains chapitres : les escales, le canal de Panama, les fêtes à bord...


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