jeudi 21 mars 2013

21 mars 2013 : cargo 6 : au fil des jours


En voyage, mon œil agit comme un filtre, il sépare le beau du laid. Je ne retiens pas les déceptions et les rencontres balourdes. Ma mémoire fait sa petite sélection.

(Daniel Herrero, Partir : éloge de la bougeotte)





La vie quotidienne peut sembler monotone sur un cargo, surtout pour les passagers, officiers, ingénieurs, techniciens et matelots ayant, eux, leur boulot.

Pour ma part, voici une journée ordinaire :

lever 7 h. Toilette, habillage, gymnastique et prière (ben oui, où peut-on être plus près de Dieu, s'il existe, qu'en pleine mer ?).

7 h 30 : à la passerelle, pour voir on est. Relevé de la longitude, de la latitude, de la température, de la vitesse pour les reporter sur mon journal de bord.

7 h 50 : petit déjeuner suivi, quand on y fut autorisé (si la mer n'est pas trop houleuse), d'un premier tour du pont.

8 h 30 – 10 h : cabine, lecture, écriture...

10 h – 11 h 45 : passerelle pour le thé, écriture de poèmes dans mes carnets en observant la mer ou conversation avec l'officier de quart et Janet ou Jean, éventuellement descente à la salle de sports pour un peu d'exercice (vélo, haltères) ou deuxième tour du pont.

11 h 45 : déjeuner suivi d'un tour du pont, et remontée par les escaliers extérieurs.

12 h 30 – 15 h : sieste, lecture, écriture...

15 h – 17 h 45 : passerelle pour le thé, lecture sur le master bridge ou conversation avec l'officier de quart et les passagers, éventuellement descente à la piscine et bronzage consécutif ou tour du pont...

17 h 45 : dîner suivi d'une remontée à la passerelle pour assister au coucher du soleil.

19 h : soirée conviviale avec Jean pour regarder un dvd (film ou opéra) ou soirée en solitaire de lecture, je finis toujours par de la lecture.

23 h : extinction des feux.


Mais de temps en temps (outre les jours d'escale), certaines soirées ont été différentes : ainsi l'invitation à un karaoké au mess des Philippins.

Gerardo, un deux officiers philippins, au micro

 Et nous voilà avec eux, qui nous offrent une bière et qui chantent des chansons américaines. Ils me passent le catalogue, pas un titre français ! Je repère Singing in the rain, et me lance dans un karaoké assez grotesque, Gene Kelly a dû se retourner dans sa tombe (s'il est mort, je n'en suis pas certain !). 

Je feuillette le catalogue des chansons
 
Ensuite, sur une autre chanson, je danse avec Janet un slow. Petit amusement, au fur et à mesure de la danse, ma culotte pirate bleue, qui me tient mal à la ceinture, descend, descend, puis finit par me tomber à mi-cuisse, au rire tonitruant des assistants ! Sympa, toutes ces chansons, mais un peu répétitif, et surtout bruyant. Mais c'est vrai que les Philippins sont très gentils. On discute. J'apprends que leur langue véhiculaire est le tagalog.
 

Et puis il y a eu les soirées barbecue ou grill party. Il y en a eu trois, une à l'aller, peu avant l'arrivée à Callao, deux au retour, une juste avant le canal de Panama, la dernière après les Antilles, quand on était encore sous les Tropiques. Car ça se passe en plein air, sur le muster bridge, au troisième étage, qui est le lieu où on doit se rassembler en cas d'évacuation du navire, pour s'engouffrer dans le « suppositoire », le canot de survie qui plonge dans la mer, et où on est enfermés, avec chacun une place attitrée.

Au barbecue, au fond, le suppositoire orange dont aperçoit la porte d'entrée
 
Les grill parties, qui commencent vers 17 h 30 et s'achèvent dans la nuit, ont été particulièrement réussies, tout le monde est là (à l'exclusion de l'officier de quart, ils se sont relayés), vingt-trois personnes, tous les 12 Philippins et les 8 Européens, certains Philippins que j'ai vus pour la première fois, plus les 3 passagers. Tout ça, au son d'une musique très forte !

A table, à côté de Joseph. A l'arrière, la table des "Philippins".
 
J'y ai mangé du poisson (un maquereau), des crevettes grillées et du riz cuisiné à l'asiatique, et, pour le dernier, un cochon de lait qu'ils ont fait griller à la broche tout l'après-midi. Mais il y avait aussi de la viande, du poulet, des saucisses diverses, des calamars, à mettre en brochettes. J'y ai bu du whisky (Bourbon) coca, de la bière aussi, dans l'espoir que ça me ferait dormir (le sommeil est très agité sur un cargo, à cause du roulis), pris aussi quelques photos.

La table des Philippins
 

Lors du premier barbecue, nous avons décidé avec Jean de préparer un menu français pour le mardi 12 février – c'est son anniversaire (64 ans) à deux jours près, et avec l'accord du capitaine, nous irions donc en cuisine, je ferai des crêpes pour tout le monde, ce qui fera un dessert. Et Jean improvisera un plat selon ce qu'il trouvera dans les réserves de la cambuse !

8 h 30  : je rentre dans la cuisine, où je prépare la pâte à crêpe. Sur la suggestion de Jean, je rajoute de la bière, il paraît que ça les rend plus légères. Pendant ce temps il repéré dans la chambre froide le gigot d'agneau qu'il a piqué d'ail, beurré, puis est allé préparer ses tomates mimosa. 

Les tomates mimosa de Jean
 
Les Européens apprécieront-ils tout cela ? Vers 10 h 30, je redescends pour faire cuire les crêpes. J'arrive dans la cuisine, me mets en marcel, car il fait une chaleur d'enfer, prend la poêle à crêpes, et commence ; je les sucre au sucre roux de Jamaïque. J'arrête à 11 h 45, j'en ai fait 36, et il reste encore de la pâte. 

Je fais des crêpes
 
J'en ai mis de côté une douzaine pour le mess des Philippins (une pour chacun, on était censés ne cuisiner que pour notre mess, mais le gigot, énorme, ira aussi pour les deux) et les deux autres douzaines pour notre mess, ce qui fera un peu plus de deux par personne, puisque il y a huit officiers et ingénieurs ou techniciens européens et trois passagers. Pendant ce temps, Jean a fait rissoler les pommes de terre auxquelles il a ajouté sur la fin quelques haricots verts préalablement bouillis ! Il avait préparé comme entrée onze tomates mimosas, mais, les ayant placées au frais dans le frigo du mess des Philippins (notre frigo était plein), il a la surprise au moment de servir de n'en trouver que dix. Je lui ai dit que ce n'était pas grave, que je m'en passerai et que je prendrai de la soupe de légumes, fort bonne au demeurant, car Joseph, le cuisinier, a continué son travail de son côté. À trois dans la cambuse pour cuisiner, on était assez serrés.

Joseph, le cook, enfourne le gigot


Le repas a été un joli succès pour Jean, quoique le gigot d'agneau soit resté un peu trop longtemps au four pour son goût. Il a reçu moultes félicitations des mangeurs, et mes crêpes aussi ont eu du succès. J'ai cuisiné la pâte restante sitôt après le repas, ça a fait douze crêpes de plus, qui ont fait le bonheur des Philippins ! Merci au commandant (master) qui nous a donné l'autorisation d'aller en cuisine, ce qui n'est pas forcément dans les règles, et qui a de plus accordé à chaque table une bouteille de vin rouge.



À suivre...

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