mardi 26 mars 2013

26 mars 2013 : cargo 11 : le canal de Panama



Le vide et l'immobile me glacent d'effroi ; la symétrie et l'ordre rigoureux me navrent de tristesse ; et si mon imagination pouvait se représenter la damnation éternelle, mon enfer serait certainement de vivre à jamais dans certaines maisons de province où règne l'ordre le plus parfait, où rien ne change jamais de place, où l'on ne voit rien traîner, où rien ne s'use ni ne se brise, et où pas un animal ne pénètre, sous prétexte que les choses animées gâtent les choses inanimées.

(George Sand, Un hiver à Majorque)



J'ai donc traversé le canal de Panama deux fois, à l'aller et au retour. À l'aller, entièrement de jour, au retour, nous l'avons entamé dans la nuit.

7 février (aller) : je suis donc sous la douche, quand le téléphone a sonné. Impossible de sortir et de dégueulasser la cabine, surtout que j'avais les cheveux pleins de savon. Sans doute Jean ou Janet qui m'appelaient pour me dire qu'on bougeait ! Je ne me trompais donc pas sur les bruits du moteur que j'avais entendu. À nous le canal ! Eh oui, à 6 h 45, le navire s'était ébranlé, et vers 8 h, nous approchons de l'entrée du canal. Un personnel assez nombreux du Panama monte à bord (pilote, mais aussi hommes de pont pour aider aux manœuvres). 

vus du master bridge (où nous stationnions), les Panaméens au travail 
(en orange, un des matelots philippins)
 
Première série d'écluses, les écluses Gatún (trois biefs successifs) franchie de 9 h à 10 h 15. Nombreuses photos. 

le pont tournant qui permet aux véhicules d'aller d'un côté à l'autre du canal 
(entrée côté Mer des Caraïbes)

 Aperçu de nombreuses frégates ainsi que des pélicans qui leur disputent les poissons pêchés. Le cargo est tracté dans les écluses, dont il touche presque les bords, par des locomotrices, les "mulas",

les locomotives électriques (mules)
et poussé (en entrant) ou tiré (à la sortie) par un remorqueur. Il s'immobilise, et tandis que l'écluse se remplit d'eau (un quart d'heure environ), on attend. Les écluses sont doublées, et sur l'écluse parallèle, d'autres cargos passent, dans le même sens. 

la double écluse parallèle de Gatun
 
Nous étions le dernier dans ce sens-là. Et, à peine sorti, un autre cargo venant du lac central nous a remplacé dans l'autre sens pour gagner la mer des Caraïbes.

Sitôt les trois écluses passées, nous sommes dans le grand lac de Gatún, lac agrandi artificiellement par des barrages sur les rivières qui l'alimentent et qui le videraient vers la mer sans ces barrages, lac qui permet aux écluses de fonctionner grâce à son apport d'eau. Le paysage alentour (îles, mangrove, forêt quasi impénétrable) est magnifique. On voit quelques oiseaux de proie du type buse. On peut même apercevoir de temps en temps des crocodiles, nous dit Lucian. Mais pas cette fois ! Puis le lac franchi, c'est un chenal qui serpente à travers les collines boisées, collines qui ont parfois été taillées à la dynamite (coupe Gaillard). 

la montagne découpée, pour éviter que trop d'alluvions n'encombrent le chenal
 
De nouveaux travaux sont d'ailleurs en cours avec des norias de pelleteuses et de camions, pour creuser de nouvelles écluses pour les plus gros cargos, ceux qui font plus de 300 mètres de long et plus de 25 m de large, et ne peuvent pas passer pour l'instant. 

à droite, au fond, les travaux pour de nouvelles écluses

Puis nous passons sous un pont à haubans (le pont Centenaire) où passe la route panaméricaine, 

le pont à haubans, à droite, notre cargo dirigé par un remorqueur

 et avons à franchir de nouvelles écluses, l'écluse Pedro Miguel (un bief), puis les écluses de Miraflores (deux biefs), pour descendre cette fois. 

la double écluse de Miraflores
 

Sur la voie ferrée qui longe le canal, on voit passer un train de conteneurs. La température n'a pas atteint les hauteurs d'hier, elle n'a pas dépassé 29 °. Nous n'avons pas vu d'insectes. De temps en temps, quelques gouttes d'eau, beau temps, mais des nuages fréquents. On a de la chance de ne pas avoir eu la pluie si rude d'hier, quand nous étions à l'arrêt. J'essaie de photographier un pélican en vol, mais ces gros flemmards restent sur l'eau ou sur une borne, attendant que quelqu'autre oiseau marin (frégate !) ait pêché quelque chose pour le leur disputer. Ils ne restent pas longtemps en vol, sont-ils trop lourds ?

les magnifiques frégates du canal
  

Toute la journée pratiquement, nous sommes restés tout en haut, sur le master bridge passant d'un côté à l'autre de la passerelle, et admirant le paysage ou le franchissement des écluses. Que de monde pour nous aider ! Une vingtaine de Panaméens sont montés à bord pour remplacer l'équipage lors des opérations éclusières. À chaque écluse, un monde fou travaille au passage de chaque cargo, manutentionnaires qui accrochent le cargo aux locomotrices, pilotes de ces locomotrices, manœuvriers des écluses (en fait pilotées électroniquement), remorqueurs... 

un remorqueur nous pousse (remarquez au centre le suppositoire orange !)

Tout ça vaut bien les 150 000 $ que doit payer la Compagnie Peter Döhle pour la traversée du canal ! 
 

25 février : 4 h 30, coup de téléphone intempestif de Janet ! Nous avons quitté Balboa à 3 h et arriverons bientôt à notre première écluse. Cela valait-il une coupure artificielle de mon sommeil, pour une fois que je dormais bien, alors que j'avais eu beaucoup de peine la veille à m'endormir ? Jochen est là aussi, et tout le staff des officiers. Le chantier des nouvelles écluses est puissamment illuminé ; à mon avis, ils y travaillent jour et nuit. Je vais essayer de filmer de nuit, voir ce que ça donne, pas grand-chose à mon avis, avec mon appareil élémentaire !

C'est vrai que l'écluse de nuit, c'est très beau, avec la belle lune toute ronde au-dessus, comme une de mes crêpes qui m'aurait malencontreusement échappé... Nous passons donc d'abord les deux écluses de Miraflores, entièrement de nuit. Le jour se lève quand nous arrivons à celle de Pedro Miguel.  

le jour se lève après Pedro Miguel (mes photos nocturnes sont ratées)

Bien qu'ayant mon sommeil cassé, impossible de me rendormir ce matin après un petit essai dans ma cabine, je remonte donc sur la passerelle admirer un peu le paysage, et éventuellement aller faire de la bronzette... 

les paysages apaisants de la verdure après des semaines de mer

Incroyable, nous avons pratiquement achevé la traversée du lac de Gatún, et nous arrivons aux dernières écluses. Beaucoup plus rapide qu'à l'aller ! Illusion, une dizaine d'heures tout de même !

Il faut reconnaître que le franchissement des écluses de Panama, avec ces énormes cargos – on en a croisé un qui a trois rangées de conteneurs de plus que nous, et doit donc faire 30 m de longueur en plus, taille maximale pour les écluses actuelles – est assez fascinant. 

les mules (on dirait des chars d'assaut !)
 
Les écluses de Gatún sont au nombre de trois, un premier cargo passe, puis tandis qu'il a réussi à glisser dans la seconde, un second cargo s'insère dans la première, dès que le niveau d'eau requis est là. Quand le premier cargo est passé dans la troisième, la deuxième écluse se remplit à nouveau pour permettre au second cargo encore dans la première écluse, d'y passer, et ainsi de suite.

je franchis le canal en oubliant de gonfler la poitrine et de rentrer le ventre, 
le vent s'engouffre dans le tee-shirt
 
 Donc, en fait, trois écluses peuvent être franchies successivement par deux cargos ; quand il n'y en a que deux, comme à Miraflores, et a fortiori une (Pedro Miguel), un seul cargo peut s'engager.

sur le lac de Gatun, les cargos en attente, le Cosco Boston pris en charge par un remorqueur

le pont à haubans, je ne me lassais pas de le contempler sous toutes les coutures



À suivre...

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