jeudi 28 mars 2013

28 mars 2013 : mariages !



L'amour est un imprévu. On appelle cela un hasard ; et il n'y a pas de hasard. C'est un rayon qui vient du ciel et qui ne nous embrase que quand le moment est venu pour nous. C'est une espèce de miracle qui subjugue les plus récalcitrants, mais il faut attendre qu'il se fasse, car le mariage sans amour, c'est les galères à perpétuité.

(George Sand, Lettre à Maurice Dudevant-Sand, 17 décembre 1850)



Ah ! le mariage, on n'en a jamais autant parlé que ces derniers temps, avec cette histoire du mariage pour tous. J'ai déjà dit que, après tout – et même si je trouve étrange, à une époque où à peine un mariage sur deux tient le coup – ce droit élargi ne peut faire de mal à personne, à la condition expresse que ce ne soit pas des « galères à perpétuité », comme le dit si bien George Sand.


Moi-même, je me suis marié sur le tard, après quelques expériences amoureuses désastreuses (ou du moins qui auraient été désastreuses si je les avais poursuivies par le mariage, me condamnant aux galères, mais il faut croire que j'étais d'une lucidité rare, et les arrêtant à temps, je n'en fus quitte que pour un risque évité !) et je ne suis pas le seul ; ainsi, Virginia Stephen avait trente ans quand elle rencontra Leonard Woolf. Elle hésita longuement avant de s'engager, comme le montre cet extrait d'une lettre à Molly Mac Carthy de mars 1912 : "Loin de moi l'idée de te faire croire que je suis contre le mariage. Ce n'est pas le cas, même si le sentiment d'extrême sécurité et de sérieux des jeunes couples m'épouvante quelque peu ; d'un autre côté, la mélancolie excentrique des vieilles filles a sur moi le même effet. Je suis partie dans la vie avec un idéal du mariage démentielle et absurde, et puis ce que j'ai pu voir de beaucoup de couples autour de moi m'a dégoûtée, et j'ai pensé que je demandais sans doute l'impossible." À son futur mari, elle écrit le 1er mai 1912 : "Nous souhaitons l'un comme l'autre un mariage qui soit formidablement vivant, toujours vivant, toujours brillant, qui ne soit pas quelque chose d'éteint, ni de facile comme le sont certains mariages. Nous attendons beaucoup de la vie, tu ne crois pas ? Peut-être l'obtiendrons-nous, mais alors, quelle victoire ! "

Louise Michel, elle, ne s'est jamais mariée. On ne lui connaît même qu'un amour fou, ardent, pour Théophile Ferré, un de ses compagnons de la Commune, de seize ans son cadet, fusillé en 1871 à vingt-cinq ans, et qu'elle n'oublia jamais. Mais le refus du mariage, chez elle, outre qu'elle était née bâtarde, hors mariage, s'ancrait dans une perspective plus vaste. "Pourquoi je n'ai pas voulu me marier ? […] 1° C'est que la femme qui se marie sans amour se vend, et que toute prostitution m'a toujours fait horreur. 2° C'est que je n'ai jamais accepté l'inégalité entre l'homme et la femme, je ne pouvais donc accepter le rôle d'esclave. 3° Je ne voulais pas non plus donner d'esclaves [en faisant des enfants] à l'Empire [celui de Napoléon III]" (Lettre à M. Fayet, publiée dans La révolution sociale, 16 janvier 1881).

Oui, quelle victoire qu'un mariage toujours vivant, toujours brillant, qui ne soit ni éteint ni facile... Alors, pourquoi vouloir refuser de le tenter à des personnes qui s'aiment, fussent-elles de même sexe ? Au moins, dans ces cas-là, pour reprendre le point n° 2 de Louise Michel, il n'y a pas d'inégalité. Enfin, aujourd'hui, on peut toujours garder l'espoir que faire des enfants (ou les élever, dans le cas de ces mariages particuliers), sera peut-être ne pas donner des esclaves et des exploités à la société future, puisqu'ils auront été choisis librement, et élevés dans la liberté.

Le problème reste, derrière tout ça, celui du pouvoir. Louise Michel, toujours optimiste, écrit dans La Commune, histoire et souvenirs : "Nous ne valons pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues." C'est aussi pourquoi elle est devenue anarchiste, car elle sait que le pouvoir corrompt, car "la force soutiendra le privilège" constamment (preuve qu'elle était aussi réaliste), et que, ce qu'il faudrait, selon elle, c'est abolir le pouvoir, tout pouvoir. Or, dans le mariage, et je suis assez d'accord avec elle, il y a très souvent une inégalité flagrante, dès le départ : deux individus n'ont pas forcément la même idée derrière la tête, quand ils se mettent ensemble. La nécessité de réfléchir est donc là aussi encore plus importante qu'ailleurs.

J'ai été frappé, en lisant sur le cargo plusieurs romans de George Sand, qu'elle a longuement exploré ces thèmes de l'amour impossible, à cause des inégalités dues aux différences de situation sociale. Dans Le Compagnon du tour de France, le héros, Pierre Huguenin, ouvrier compagnon, tombe amoureux de la châtelaine dont il retape la chapelle, mais il "aimait trop pour désirer. Yseult lui apparaissait comme un être céleste qu'il aurait craint de profaner en effleurant seulement les plis de sa robe." Dans Simon, le héros, fils d'une humble paysanne, a pu faire des études, mais n'a pas de situation. Il tombe amoureux de la fille du comte de Fougères, Fiamma. Mais difficile de combattre les préjugés de l'époque.

Eh bien aujourd'hui, il y a une autre sorte de préjugé, c'est celui contre les amours entre personnes de même sexe. Y a-t-il plus de légèreté, plus de personnes volages chez les homosexuel(le)s que chez les soi-disant « normaux » ? J'ai soixante-sept ans, j'ai connu des tas de gens, la plupart hétérosexuel(le)s, certain(e)s m'ont raconté leur vie, se vantaient-ils (elles), je n'en sais rien, mais que de volages là-dedans. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des gens fidèles (je pense que ce sont les plus rares) et d'autres qui ne le sont pas, et que ça ne dépend absolument pas de leur orientation sexuelle. Et, aujourd'hui, avec la liberté de mœurs actuelle, je crois que tout ça est très partagé : voir des films récents comme Les coquillettes (des jeunes femmes font les festivals de cinéma, pas tellement pour voir des films, mais pour se dégotter un mec) ou 20 ans d'écart (là aussi, un autre préjugé, celui de la différence d'âge). Le monde manque surtout d'amour, et de la conscience de l'amour. Sans ça, on ne protesterait pas contre le mariage pour tous !

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