mardi 30 avril 2013

30 avril 2013 : la persécution est de retour


Ô la nécessité ! Faire toujours ce qu'il faut faire, être toujours, selon les circonstances (et quoique la répugnance du moment vous en détourne), comme un jeune homme, comme un voyageur, comme un artiste, comme un fils, comme un citoyen, etc., doit être !

(Gustave Flaubert, Voyage en Orient)



Je ne me suis jamais senti aussi protestant qu'en ces temps-ci, où les horreurs anciennes se réveillent fâcheusement à ma mémoire. Je suis protestant ; je sais, il n'y a pas de quoi se vanter, et d'ailleurs, si je le signale, ce n'est pas pour faire le moindre prosélytisme (le protestantisme, c'est choisir librement), mais parce que c'est un fait. Sans doute suis-je fort peu pratiquant, peut-être à peine croyant, en tout cas d'une croyance qui m'est tout à fait personnelle, ce qui est très protestant aussi.

Mais je suis surtout protestant au sens historique et mémoriel du terme. Je suis persécuté, pourchassé, brûlé, massacré avec les parpaillots du XVIe siècle, je suis à peine toléré par l'édit de Nantes de 1598, puis de nouveau pourchassé, exilé, combattu, condamné aux galères, persécuté de mille manières après la révocation de l'édit de Nantes en 1685 et tout au long du XVIIIe siècle (on comprend que je n'aime pas précisément Louis XIV, ni Louis XV !), de nouveau toléré par un édit de Louis XVI en 1787, et enfin définitivement accepté par la Révolution française de 1789 et la République (c'est aussi pourquoi je suis républicain). Tout cela, je le sens dans ma chair, dans mon corps, dans mon esprit. C'est aussi cela être protestant, c'est être porteur de mémoire, et ayant été pourchassé et persécuté, ne pas accepter d'être persécuteur.

Quand j'étais petit, nous sortions de la guerre. J'ai eu toute mon enfance bercée par le rappel des atrocités nazies, des persécutions contre les Juifs et les résistants (j'ignorais alors qu'étaient aussi persécutés les tziganes et les homosexuels !). Un cousin germain de ma mère y a laissé sa vie, à dix-sept ans. Le mari de ma marraine est rentré des camps, pesant trente-sept kilos... Ma mère, ma grand-mère trouvaient tout ça insupportable, et nous rappelaient que ce fut aussi le lot des huguenots au XVIIIe siècle. Et cependant, elles ne nous ont jamais parlé de vengeance, mais éduqué dans l'esprit de tolérance, d'acceptation des différences, avec aussi : plus jamais ça ! C'est cela, être protestant.

Aussi, adolescent, suis-je devenu d'un antiracisme forcené, effrayé par les guerres coloniales (et les crimes qui allaient avec, n'avions-nous rien retenu des années de guerre ?), et ai-je compris par la manière dont on désignait les peuples colonisés (je ne reproduirai pas ici les termes utilisés par certains de mes camarades lycéens, tant ça me fait honte pour eux, aujourd'hui encore) que nous n'avions jamais accepté l'égalité, et que la fameuse Union française de notre école primaire était de la foutaise. Étudiant, j'ai évidemment manifesté contre la guerre au Vietnam. Et, encore aujourd'hui, je ne puis encourager "le désir d'imposer « notre » civilisation ou « notre » domination aux autres peuples", comme l'écrivait Virginia Woolf dans son bel essai Trois guinées (elle soulignait que les femmes en tout cas ne le feraient pas, que c'était très masculin). Plus tard, après mai 68, j'ai regardé avec beaucoup d'attention les différents mouvements de libération qui agitaient notre société, le MLF (Mouvement de Libération des Femmes), le FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), les luttes pour le droit à la contraception puis à la libéralisation de l'avortement, les luttes contre les diverses discriminations. C'est cela aussi, être protestant.
Martin Luther 









Martin Luther : aux sources du protestantisme

Aujourd'hui, quand internet et les réseaux sociaux résonnent des trompettes éclatantes de l'homophobie triomphante (et combien régressive, preuve que ce que nous prenions depuis quarante ans pour une acceptation n'était en fait qu'une vague tolérance, derrière laquelle la haine refoulée était prête à surgir), je ne peux que m'élever contre ces blagues imbéciles, cette connerie rétrograde, hypocrite, souvent anonyme, et qui fait mal. Être protestant, maintenant, comme toujours, c'est se mettre du côté des persécutés, des humiliés, des exclus, des offensés. La loi ouvre de nouveaux droits, je la salue. Comme j'ai salué en leur temps la loi autorisant l'Interruption Volontaire de Grossesse ou celle abolissant la peine de mort. 
La fierté des hommes politiques, c'est justement d'aller à contre-courant, de faire passer des lois impopulaires : l'édit de Nantes, croyez-vous que les Catholiques, largement majoritaires, étaient pour ? L'abolition de l'esclavage par la Révolution française en 1794, croyez-vous que les riches planteurs des Antilles étaient pour ? Il y a encore des gens (peut-être bien une majorité ?) pour manifester contre la liberté d'interruption de grossesse. Et certainement une majorité pour le rétablissement de la peine de mort. Ne laissons ces majorités rétrogrades empiéter sur les décisions politiques. Les vieilleries doivent rentrer au rencart : "D'où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même, et comme du minéral l'on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es", nous disait André Gide, dans Les nouvelles nourritures, il y a plus de cent ans. On a encore du progrès à faire.

Les protestants ont, en France, toujours été minoritaires. C'est en partie pour cela qu'ils ont été persécutés fort longtemps. Ils ont généralement pris le parti des minorités quand le besoin s'en faisait sentir, en tout cas en France. La persécution, l'humiliation d'autrui, ne peuvent ou ne doivent pas être de notre fait. En tout cas, pas du mien ! Nous n'avons pas à hurler avec les loups !

jeudi 25 avril 2013

25 avril 2013 : zen


Nos réactions aux choses sont fortement influencées par les êtres avec qui nous sommes, nous modérons notre curiosité pour nous conformer à ce qu’ils attendent de nous.
(Alain de Botton, L’art du voyage)

Pas étonnant que mon blog soit en panne ! C’est moi qui suis en vadrouille, comme d’habitude. Mon amie Catherine T. est venue me voir d’Amiens, nous avons visité Bordeaux ensemble, et je l’ai emmenée à Arcachon et à la dune du Pyla. Moyennant quoi, elle m’a emmené, en retour, chez elle, à Amiens et surtout à Quend plage où, à la suite d’un héritage, elle a pu s’offrir une maison de vacances sur la côte picarde, juste au nord de la Baie de Somme.




Mon petit chalet de Quend 

Une maison de trois pièces + salle de bains et cuisine, + un chalet en bois dans le jardin qui sert de chambre complémentaire et où j’ai dormi. Signalons, pour faire mentir nos sudistes, qu’il a fait fort beau quatre jours sur les cinq que j’y ai passés, certes frais, mais enfin un soleil suffisant pour qu’un soir nous le vîmes se noyer élégamment dans la mer ! Nombreuses promenades en bord de mer, dans la forêt de pins, mais aussi visite de Rue, du Crotoy. J'ai pris d'innombrables photos, notamment de nature (arbres, écorces, fleurs, escargots, sable, etc.).


Des cerfs-volants, dont celui qui tourne
 
De Quend (prononcé « kin », si vous ne voulez pas passer pour un péquenaud chez les Picards) nous sommes allés passer une journée à Berck plage pour le Festival des cerfs-volants ; j’ai été fort déçu, car il n’y avait pas un seul cerf-volant chinois ou coréen. Le festival dure plusieurs jours, nous n’y étions pas le bon jour ! Mais enfin, une belle journée, fort ensoleillée et ventée. J’ai beaucoup admiré dans les stands du front de mer les marionnettes asiatiques, indiennes et indonésiennes, que vendait un marchand.
 
Puis j’ai quitté Quend, (m’arrêtant au passage à Beauvais, pour admirer la superbe cathédrale) car mon amie Mireille, des Lilas (nord-est limitrophe de Paris), m’avait annoncé une soirée poésie le 24 avril, dans sa commune, sous sa houlette, car elle préside l’association Poécité. Thème : « Que s’est-il passé ? »  Une quinzaine de membres de l’association ont donc dit des textes de leur cru parfois, mais le plus souvent de fort bons poètes, puisque Rimbaud voisinait avec Du Bellay, Aragon, Bonnefoy, Queneau et Prévert, entre autres. Même l’ami Georges Bonnet était représenté, ce qui m’a fait chaud au cœur. Le tout était dédié à une certaine Françoise, pilier (faut-il dire « pilière », avec la manie actuelle de tout féminiser ?) de l’association, et qui, atteinte d’un Alzheimer sévère, ne peut plus venir. Très bel hommage.
 
Comme les cousins de Paris sont partis en République tchèque, il fallait bien que je me loge. J’ai trouvé par internet, aux Lilas même, à un petit km à pied de la salle de poésie, une dame coréenne qui loue des studios (elle m’a dit : « C’est trop cher pour vous, c’est pour trois ou quatre personnes ») et des lits en dortoir. Comme dans les anciennes auberges de jeunesse ! J’ai donc rajeuni ! J’y ai trouvé un Canadien, un Marocain, un Brésilien, un Japonais et un autre dont je n’ai pas compris l’origine… Il y a aussi un dortoir pour les femmes. Pour 30 €, on a droit à un lit excellent, avec douche (il n’y en a qu’une, il faut donc calculer son moment), un petit déjeuner copieux (charcuterie, œuf au plat, pain, confitures, fruits, café, lait ou thé), et même un sandwich long comme le bras pour la route… Une très bonne adresse que cette sabinehouse ! J’y retournerai à l’occasion. J’ai noué connaissance avec le Canadien, qui est en fait un Finlandais émigré au Canada, à Toronto. Et au petit déjeuner, où hommes et femmes ne sont pas séparés, fait la connaissance d’une Coréenne traductrice du français et du japonais en coréen. Elle a notamment traduit en coréen Christian Jacq et Éliette Abécassis. Une maison d’hôte à retenir, surtout si comme moi on aime lier connaissance avec des inconnus ! Et qu'hélas, j'ai oublié de photographier !
 
Et puis, tenez-vous bien, j’ai fait le trajet en voiture, et sans GPS, siouplaît ! Et en gardant un calme sur le périphérique parisien qui m’étonnait moi-même : je crois que le cargo m’a rendu zen. Idem ce matin, il m’a fallu une bonne heure pour décoller des Lilas hors de Paris, 7 ou 8 km de périphérique jusqu’à la porte d’Italie, en roulant au pas, quand on roulait. Aucun problème, je ne me suis pas départi de mon calme, et pourtant je n’ai plus de radio dans l’auto ! Ça ne fait rien, je déboîtais, changeais de file quand je jugeais que la file d’à côté allait plus vite (un faux espoir à chaque fois), jamais je ne me suis découragé : au bout d’une heure j’étais sur l’autoroute A 6, et j’avais fait 12 km ! Je me suis rattrapé ensuite.
 
Comme j’étais très libre, j’ai quitté assez rapidement l’autoroute pour me diriger vers Nevers (2 fois 2 voies jusque-là, et gratuit !), puis j’ai continué vers Moulins, Roanne, Saint-Étienne, les monts du Pilat et Roussillon, sur le Rhône, où je passe la nuit dans un Formule 1, nettement moins drôle que sabinehouse ! Mais qui me permet de mettre à jour mon blog. Et au passage, je me suis arrêté à La Palisse, où j’ai appris que le fameux M. de La Palisse n’était pas rochelais comme je le croyais, son château est encore là pour faire foi de son existence. 




le beau château de La Palisse


 Et de plus, il y a dans cette commune un musée de l’art brut, intitulé « l’art en marche », que j’ai visité. Des fresque murales, des objets et sculptures de toutes sortes, avec utilisation d'objets de la vie quotidienne, les vélos, par exemple, ce que j'ai bien apprécié !




Don Quichotte a inspiré pas mal d'artistes d'art brut


Que dire de plus de tous ces merveilleux jours ? Ah oui, j’ai lu deux excellents livres : L’art du voyage, d’Alain de Botton, un Suisse qui vit en Angleterre et écrit en anglais, et Éloge du désert, de Blandine de Richemont, qui me confirme, après ma première équipée dans le désert du sud marocain à Noël 2011 et ce que m’a raconté mon ami G. de son trek au Tchad, qu’il va falloir aussi que j’y fasse une petite retraite. Juste pour voir et être encore plus zen. 

Car il va falloir l’être de plus en plus pour supporter l’intolérance et l'agressivité grandissantes des soi-disant manifs pour tous !

PS : comme j'utilise mon note-book, il y a quelques bizarreries dans l'ordonnance des textes (par exemple, je ne sais pas pourquoi les légendes des photos ne sont pas forcément centrées, alors que je les ai bel et bien centrées !).

lundi 15 avril 2013

15 avril 2013 : allumés !




Nous sommes seuls responsables de n'avoir pas osé la vie dont nous rêvions. Le poids de la famille, du devoir, n'est jamais une excuse. Si nous nous sacrifions, c'est que nous le voulons bien. Nous avons toujours le choix. Seule la peur peut expliquer notre incapacité à revendiquer un désir fort en nous.
(Blanche de Richemont, Éloge du désir)


J'ai participé ce week-end avec C., qui est venue me rejoindre à Bordeaux pour visiter le coin, et avec qui je vais repartir vers la côte picarde, à la tenue bénévole du stand du mensuel L'âge de faire dans le cadre du Festival de la nature et du bio de Bordeaux, qui ouvre la semaine du développement durable. C'était en plein air, une sorte de marché où toutes sortes de stands occupaient le quartier Saint-James, tout près de la Grosse cloche. 
Numéro 76-Juin 2013  
Il y avait là des artisans (fabricants de bijoux de toutes sortes, C. a acheté des boucles d'oreilles en origami à une Japonaise métissée de Chinois, d'objets en cuir, sacs, chaussures, en poteries, en particulier un étonnant fabricant de cuiseurs à la vapeur...), des vendeurs de vêtements (en chanvre du Népal, en lainage angora...), des viticulteurs (vins bio, on peut le supposer), des horticulteurs (qui proposaient des plants), des fromagers (chèvre surtout, mais une vache normande était exposée sur la place voisine), des apiculteurs (miel, gâteaux, pain d'épices), habitat (feng shui), des vendeurs de cosmétiques (savons et autres produits), des producteurs de sirops et d'huiles diverses, un stand de qi gong, un autre de massage avec démonstration de massage assis, des musiciens, etc.
Je m'étais inscrit pour l'ouverture samedi matin ; le maire, Alain Juppé, s'est arrêté à chaque stand et nous a achetés trois numéros, puis dimanche de 13 à 17 h. Ce qui nous a permis d'observer un peu le style des visiteurs et aussi des teneurs de stands, car comme nous étions plusieurs, nous pouvions nous libérer de temps en temps pour nous balader dans l'ensemble du marché. À moment donné, l'un d'entre nous, après un petit tour, dit : « Hou là, il est un peu allumé, celui-là », en parlant d'un des animateurs de stand qui entremêlait ses discours pour attirer les chalands de philosophie chinoise et de paroles du Christ. J'ai rétorqué : « il vaut mieux être un peu allumé qu'éteint ! »
Il est tout à fait vrai que la plupart des animateurs de stands étaient allumés. En effet, pour donner dans le bio, il faut bien être un peu allumé, avoir conscience des multiples dangers que nous fait courir le progrès, avec l'abus des produits chimiques de toutes sortes, des pesticides de l'agriculture aux ajouts artificiels dans les cosmétiques, des produits utilisés dans les peintures des bâtiments et teintures des vêtements, avec les excès d'utilisation des énergies fossiles ou de son succédané la radio-activité, etc. Beaucoup de visiteurs étaient venus à vélo, pas mal vêtus en baba cool, comme on disait naguère. Oui, donc, un certain nombre d'allumés, d'un côté comme de l'autre !
Mais aussi beaucoup d'éteints. Tous ces gens qui traversaient le passage central en zombies regardant droit devant eux, le visage fermé, sourds aux appels de notre voisin qui proposait des dégustations (excellents) de sirop de thym et de romarin, et ne s'approchant pas de nos piles de journaux, comme s'ils allaient se brûler à notre contact ou si nous étions pestiférés. L'âge de faire n'est pourtant pas un brûlot subversif ; je recopie ce que je trouve sur leur site (www.lagedefaire-lejournal.fr/) : "L’âge de faire témoigne des expériences alternatives en matière de réappropriation de l’économie, de création de lien social, d’écologie et d’engagement citoyen. Son credo : offrir à ses lecteurs des outils qui leur permettront de mettre œuvre leurs idées. Il tire à 30 000 exemplaires, est distribué au niveau national et compte près de 11 000 abonnés. L’âge de faire ne dépend que de ses lecteurs ! Son indépendance financière (ni subventions, ni publicité) repose sur un mode de diffusion original. Depuis son lancement, des particuliers, magasins, associations… achètent chaque mois un certain nombre d’exemplaires, qu’ils revendent parmi leurs connaissances, déposent dans un commerce ou un lieu public. Il est aussi vendu sur les foires et salons par un réseau de sympathisants. C’est grâce à ces soutiens que L’âge de faire s’est fait connaitre et a fidélisé ses lecteurs." J'ajouterai que le journal, sans publicité, est en scop (société coopérative ouvrière de production). Je l'ai connu il y sept ou huit ans et y suis abonné de longue date. J'ai déjà tenu leur stand lors d'un salon nature à Poitiers en 2011.
Alors, suis-je un allumé moi aussi ? Certainement, le simple fait que j'écrive des poésies indique que j'ai un petit grain. Mais je tiens surtout à ne pas être éteint, comme ma marraine qui vient de s'éteindre à 95 ans, après avoir été éteinte toute sa vie, après s'être interdit quasiment tout, après avoir eu peur sans cesse, après n'avoir guère vécu... 
"La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie, or il faut s'affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations convenues, de tous les slogans, de toutes les idées sécurisantes. Il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toute norme, de tout critère conventionnel, il faut oser faire le grand bond dans le cosmos : alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse", nous dit Etty Hillesum, déportée et morte à Auschwitz à vingt-neuf ans, dans son magnifique Journal
Reportons-nous aussi au beau poème de Pablo Neruda, Il meurt lentement, qu'on peut trouver sur tout un tas de sites internet : par exemple, http://fraternitelibertaire.free.fr/th_il_meurt_lentement.htm, où l'on trouvera aussi le texte en espagnol, et dont je vous livre les derniers vers :
Vis maintenant !
Risque-toi aujourd'hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d'être heureux!

Affranchissons-nous, ne nous laissons pas éteindre !

 


vendredi 12 avril 2013

12 avril 2013 : sacrée Louise !




Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables… Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.

(Appel du Comité central de la Garde nationale de la Commune de Paris, le 25 mars 1871)




Eh oui, il faut toujours en revenir à la Commune de Paris, cet extraordinaire moment de vraie liberté, qui n'a malheureusement pas duré longtemps, écrasée par les forces de la réaction, avec une sauvagerie inouïe (des enfants et des bébés tués dans les bras de leurs mères, on ne sait jamais, de futures graines de révoltés), sans doute pour se dédouaner d'avoir fort mollement combattu les Prussiens, ce que précisément leur reprochaient les Communards : "il ne se peut pas qu'on subisse le joug des traîtres qui restèrent des mois entiers sans tirer sur les Prussiens et qui ne restent pas une heure sans nous mitrailler" (Manifeste adressé par la Commune aux révolutionnaires de Montmartre, mai 1871). Louise Michel notait : "pour rendre justice à qui de droit, ajoutons que jamais les plus grossiers uhlans ne se rendirent coupables d'autant de férocité." Et quand on songe que, un mois après la semaine sanglante, la même armée allait encore assassiner les révoltés de Kabylie avec une férocité tout aussi implacable (ah ! elle fut belle, la colonisation !). On comprend, à voir comment l'armée fut utilisée contre le peuple, pourquoi les anarchistes ont toujours été farouchement antimilitaristes. 
La vierge rouge
 

Je lis toujours chez Louise Michel une défense des petits, de ceux qui sont privés par la société d'une vie décente. Elle défendit constamment – elle, la vierge austère, "ces malheureuses qu'on abreuve de honte parce qu'on en a fait des prostituées, comme si la honte était pour les victimes et non pour les assassins." À la prison de Versailles, où les Communardes étaient enfermées avec les prostituées et les ivrognesses, sans doute pour faire croire que les femmes de la Commune étaient toutes des moins que rien, elle observe : "Si les femmes des prisons font horreur, moi c'est la société qui me dégoûte !" Eh oui, les femmes de la bonne société venaient reluquer avec répugnance et insulter les prisonnières, c'était la sortie du dimanche !

Et pourtant, jamais Louise ne se départit de son optimisme un brin naïf, en tout cas pour l'instant non corroboré par le XXIème siècle : elle conclut une de ses fameuses conférences "en disant que ma conviction était que dans l'avenir on reconnaîtrait la folie du capital, de la guerre, des castes et des frontières et qu'il n'y aurait plus qu'un seul et même peuple qui serait l'humanité." Elle avait vu les méfaits du capital (la misère générale, les salaires insuffisants, les enfants et les vieillards mourant de faim), ceux de la guerre et surtout de la guerre faite au peuple, ceux des différences de castes (elle n'eut jamais que la haine des puissants, de ceux qui profitent du pouvoir pour dominer, y compris pour engrosser leur servante, ce qui arriva à sa mère), et aussi ceux causés par les frontières et les barrières raciales. Elle fut admirable en Nouvelle-Calédonie, en apprenant leur langue et en faisant classe aux Kanaks, malgré l'interdiction qui lui était faite, en s'intéressant aux Kabyles déportés eux aussi, et à qui elle promit de rendre visite. Ce fut sa dernière tournée de conférences, en Algérie, à l'automne 1904, où âgée de soixante-quatorze ans, très fatiguée, elle souleva pourtant un bel enthousiasme, réussissant à drainer un public composé de Français, d'arabes et de juifs autochtones. Car elle avait aussi pris parti pour Dreyfus, dans la fameuse affaire.

Elle mourut peu de temps après son retour, à Marseille, en janvier 1905. sa dépouille mortelle, transportée à Paris, fut suivie par une foule de plus de cent mille personnes jusqu'au cimetière de Levallois-Perret, où Sèverine (qui fut secrétaire de Jules Vallès, et à sa suite une insurgée), grande figure du féminisme militant de la fin du XIXème siècle, prononça une belle oraison funèbre. Je continue à travailler sur Louise pour un chapitre de mon livre ; j'ai peur qu'il ne soit plus long que prévu. Je vais essayer de réhabiliter l'écrivain-poète :


Vent du soir, que fais-tu de l'humble marguerite ?


Mer, que fais-tu du flot ? Ciel, du nuage ardent ?


Oh ! Mon rêve est bien grand, et je suis bien petite ! 

Destin, que feras-tu de mon rêve géant ?

À travers la vie et la mort




A-t-on remarqué la faible place accordée aux femmes dans les histoires et les dictionnaires de la littérature ? George Sand n'a pas un seul de ses romans en Pléiade : on pourrait au moins y glisser ses romans champêtres, non ? Les doctes daubent toujours sur les bas-bleus. D'où le discrédit (en plus de ses idées avancées) sur Louise Michel écrivain. Sans doute elle ne se relisait guère et ne faisait donc pas un véritable travail d'écrivain. Mais enfin, ses écrits ne sont pas négligeables ; elle a de belles trouvailles dans ses Légendes canaques : "toutes les plantes ont dansé cette nuit dans les valses du vent." Elle-même qui a souvent écrit dans la presse, remarquait qu'elle avait "eu plusieurs fois l'occasion de remarquer qu'en jetant dans la boîte d'un journal quelconque des feuillets signés Louise Michel, il y avait cent à parier contre un que ce ne serait pas inséré ; en signant au contraire Louis Michel ou Enjolras [référence à l'étudiant révolutionnaire dans Les misérables de Victor Hugo], la chance était meilleure." Bien observé !

mercredi 10 avril 2013

10 avril 2013 : pouvoir et devoir


Au fond, vois-tu, je suis heureux, car je ne me souviens bien que des temps heureux. Le reste, ma mémoire l'a rejeté.
(Jean Malrieu, Lettre à Pierre Dhainaut, 15 avril 1969)



Le film sur Angela Davis – bon Dieu, qu'elle est belle ! – m'a ramené à cet heureux temps du début des années 70, où tout semblait possible. J'étais jeune alors, plein d'allant et d'illusions ; je croyais que le vieux monde était en train de craquer de partout. Mon ami américain, John, me convainquait que tout allait changer, que la libération d'Angela en était un signe. Hélas, le coup d'état au Chili, un an plus tard, qui effondra John (car il y voyait – à juste titre – la main de la CIA, c'est-à-dire de son pays), nous montrait combien le capitalisme avait la peau dure, combien le pouvoir financier, assis sur le commerce des armes, triompherait. C'est fait et ce, partout dans le monde. On peut même comme à Chypre – et peut-être bientôt chez nous – rogner sur l'épargne durement acquise des populations. Et si on râle, hop, les canons à incendie, en attendant les tirs à balle réelle : voir la Grèce.
Et pourtant, j'aurais pu penser qu'il y avait derrière tout ça le pouvoir. J'avais alors une directrice, Isabelle B., surnommée le « dragon vert » (elle était toujours vêtue de vert), qui ne laissait aucune initiative à ses subordonnés. Assez curieusement dans ma vie, je n'ai eu que des directrices (Angers, Amiens, Poitiers), si j'excepte mon passage à la Direction régionale des affaires culturelles, où le directeur était un homme ; je fus directeur aussi (Auch, Basse-Terre, Poitiers). Mais je n'avais pas le goût du pouvoir. Je ne tentais pas d'asseoir ma carrière à partir de mes directions, et grandes furent les surprises des directrices d'Amiens, puis de Poitiers, en me voyant redevenir simple conservateur après avoir été directeur. Ça leur en bouchait un coin (« il n'a pas d'ambition, c'est un pauvre type ! » devaient-elles penser) : il allait de soi que pour faire carrière, il fallait commencer par une petite direction (Auch, j'avais au début quatre employés sous mes ordres), puis passer à une plus grande (Basse-Terre, j'en avais une bonne vingtaine) et ensuite une encore plus grande (à la Bibliothèque universitaire d'Amiens, nous étions une quarantaine, à celle de Poitiers, près de quatre-vingt). Mais je n'avais aucunement l'intention de faire carrière, mais de faire mon métier, et du mieux que je pouvais. Surtout sur le plan humain. Tant pis si je n'ai pas atteint le plus haut grade ! Mais j'ai toujours été content de faire ce que je faisais, même au milieu des difficultés et des tracasseries.
Quand je vois nos Cahuzac et Cie investir la députation – et, bien sûr, dans l'idée d'y faire carrière (pour suivre les paroles de Sébastien Faure, écrites il y a plus d'un siècle, ce sont "des intrigants et des ambitieux investis d'un mandat par la candeur populaire") – et se croyant tout permis, je me dis quand même qu'il y a un problème avec le pouvoir. D'abord, pourquoi est-ce qu'ils ont le droit de se présenter ad aeternam, j'allais dire ad nauseam ? Deux mandats successifs et uniques (douze ans, c'est déjà bien long) devraient être le maximum, après quoi ils devraient retourner à leur vrai boulot, ne serait-ce que pour se rendre compte des difficultés des gens ! On voit bien qu'au bout d'un moment ils sont complètement déconnectés de la réalité, ne savent plus (s'ils l'ont jamais su) ce que c'est que prendre le métro ou le bus, acheter son pain, payer un loyer, faire ses courses et son ménage, savoir le prix des choses, etc. Ils sont servis par une nuée de conseillers, assistants, financiers, faiseurs de discours, domestiques, cuisiniers, chauffeurs, et en fin de compte asservis, puisqu'ils ne savent plus rien faire par eux-mêmes. Ils ne connaissent plus leur seul vrai droit, qui est celui de faire son devoir, et quel devoir, celui de servir la collectivité – et non pas eux-mêmes, que je sache !
Faire son devoir, ceci est valable pour tout individu, et c'est bien ainsi que j'ai essayé de gérer ma propre vie. "Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir", nous disait Rousseau dans Du Contrat social. Nos gouvernants l'oublient trop souvent. D'ailleurs, on ne peut obéir à la loi ou à une discipline que si chacun pouvait aussi exercer le pouvoir : voilà qui donnerait du sens à ce contrat passé avec nos élus. Résultat : comme la majorité des gens n'ont aucun pouvoir, ni l'espérance de jamais en avoir, chacun se rattrape comme il peut. L'un bat sa femme ou l'une maltraite son homme (pouvoir machiste ou féministe), beaucoup violentent plus faible que soi (les enfants par exemple, mais aussi les minorités de toutes sortes), on triche à son petit niveau (tout le monde ne peut pas envoyer des millions en catimini à Singapour), on obéit aveuglément, même à des ordres imbéciles, scandaleux ou ignobles (les petits chefaillons des camps de la mort par exemple), bref, chacun crée un peu de malheur autour de lui.
Voilà qui ne rend pas très heureux. Heureusement que, comme Jean Malrieu, j'ai l'extraordinaire capacité d'oublier tout ce qui fut terrible dans ma vie et de ne me souvenir que des moments heureux... Le sourire de Claire, par exemple, très voisin de celui d'Angela Davis !

mardi 9 avril 2013

9 avril 2013 : de Louise à Angela



le désir devenu haineux d'exclure et de déposséder celui qui n'est pas semblable, celui qu'à notre plaisir nous ne pouvons soumettre.

(Françoise Dolto, Parler de la solitude)





Alors que toute la presse célèbre celle qui a mis les Anglais à genoux, qui a laissé mourir de faim les prisonniers irlandais, qui a fait tuer neuf mineurs dont trois de moins de dix-huit ans, car il fallait bien ça pour que leur grève interminable d'un an s'achève, plus de onze mille arrestations n'ayant pas suffi, j'ai envie de parler d'une autre femme. La Thatcher confirme l'intuition de Louise Michel : "Nous ne valons pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues" (La Commune, histoire et souvenirs). Eh bien, c'est fait, Louise ! Il y a des femmes au pouvoir, et elles ne valent pas mieux que les hommes !

Je veux donc parler d'une femme selon mon cœur, qui a enchanté mon séjour angevin du début des années 70, d'Angela Davis, que je n'exclus pas de rajouter à mon corpus de femmes écrivains, bien que, comme Louise Michel dont je parlais hier, elle soit avant tout féministe, révolutionnaire, activiste et militante black, et n'ait pas davantage que sa consœur du 19ème siècle succombé aux sirènes du business et du conformisme bourgeois.


Un film nous la rappelle à notre bon souvenir : Free Angela and all political prisoners, film de Shola Lynch. J'ai passé un excellent moment en compagnie des Black panthers, des militants contre la ségrégation raciale et de la contre-culture de l'époque, hélas, bien révolue aujourd'hui. De nos jours, tout est plutôt dans le conformisme et le prêt-à-penser, me semble-t-il, et Angela Davis doit paraître terriblement datée aux jeunes spectateurs actuels : pensez donc, elle était communiste, et est restée révolutionnaire ! C'est principalement à ce titre, mais aussi parce qu'elle était noire et n'entendait pas accepter un destin de sous-citoyenne, femme et ne supportait pas le machisme ambiant (voir la façon dont le procureur va essayer de la faire passer pour quelqu'un d'incapable de maîtriser ses pulsions, puisqu'elle est femme, cqfd), qu'on s'est acharné contre elle, alors qu'aucune preuve n'a jamais pu être établie dans sa participation à une prise d'otages qui a tourné mal, le FBI (avec Edgar Hoover à sa tête et sa phobie des communistes) l'accusant d'avoir fourni les armes utilisées. Au bout de vingt-deux mois de prison, puis de libération sous caution (le malheureux qui a versé la caution fut menacé de mort), elle fut triomphalement acquittée.

Le film jette une lumière noire (c'est le cas de le dire, il suffisait souvent d'être noir pour être arrêté et condamné le plus souvent sans preuves à des peines disproportionnées, mais la prison est une industrie libéralisée au pays de la « libre » entreprise) sur les goulags américains... Ces prisons sont sans doute la soupape de sécurité de l'économie américains, qui permettent d'éviter un chômage équivalent à celui de nos économies en mettant en prison des tas de gens (à peu près 5% de la population active en prison, qui dit mieux ?). Et hop, le tour est joué, ils ne sont plus chômeurs : qu'attendent donc nos dirigeants pour faire de même ?

Le film propose en filigrane une lecture très critique de la société américaine, de sa justice, de l'oppression qui touche principalement certaines catégories. J'observe que Angela s'est battue pour que son comité de soutien s'intitule Free Angela and all political prisoners : en effet, elle était loin d'être la seule, et il y avait à ce moment-là les célèbres frères de Soledad (lire le beau livre de George Jackson). Eh oui, n'en déplaise aux admirateurs du système américain, il y a là-bas des prisonniers politiques aussi, bien que la plupart du temps on les camoufle sous l'étiquette extrêmement commode de criminels ou de terroristes, de manière à trouver un soutien auprès de l'opinion publique et d'alimenter les peurs collectives. Et on peut y rester des années sans être jugé. Voir le camp de Guantanamo, par exemple. Le système carcéral a un lien direct avec l'esclavage d'autrefois, qu'il perpétue à plus d'un titre : punitions exorbitantes, torture, assassinats déguisés...


On se croirait encore, quand on lit les écrits d'un autre prisonnier devenu célèbre, et toujours en prison, Mumia Abu-Jamal, à l'époque heureusement révolue de l'avant-guerre en France, où l'on mettait en maisons de redressement et colonies pénitentiaires tous ceux qui gênaient ou se rebellaient tant soit peu contre l'ordre établi. Lire le beau roman-témoignage de Auguste Le Breton, Les hauts murs : "Ainsi tout était consommé ! Jusqu'à sa majorité, on venait de le condamner à vivre dans une colonie pénitentiaire « Belle-Île » avait précisé le substitut en essuyant avec un mouchoir brodé, ses lorgnons à monture d'or. Charmant bonhomme qui s'était même offert le luxe de lui demander s'il ne regrettait rien. Que lui aurait-il dit ? Est-ce qu'ils cherchaient seulement à comprendre ? Pour eux la vie était si simple : ancêtres, foyer, père, mère, études, licences, diplômes et tout le bordel. Et pour leurs rejetons, ça serait même tabac. Alors..."

Angela était belle, elle l'est toujours, à près de soixante-dix ans. Elle a la beauté et le rayonnement de l'intelligence, de la rebelle. À côté d'elle, la laideur et la bêtise des dirigeants de l'époque, Nixon, Reagan, Hoover, n'en est que plus frappante. Il ne me reste plus qu'à lire les bouquins d'Angela, hélas, difficiles à trouver. Ho, les éditeurs, plutôt que de publier un énième best-seller débile, qu'attendez-vous pour rééditer son Autobiographie ?

lundi 8 avril 2013

8 avril 2013 : Louise et moi


Comme tant d'autres ils étaient censés représenter la République ; en réalité, ils la mettaient dans leur poche.
(Louise Michel, Le claque-dents)

Il faut vraiment travailler sur un auteur pour lire certains titres devenus quasiment illisibles ; c'est le cas du roman de Louise Michel, Le claque-dents. Je ne suis pas mécontent d'être allé jusqu'au bout, il ne fait que 280 pages, j'avoue redouter La misère, un autre de ses romans, qui fait 1200 pages et où j'imagine qu'elle a voulu concurrencer Victor Hugo, son auteur favori et ses Misérables. Mais enfin, si on veut écrire un papier sur Louise, il ne faut pas négliger ces œuvres-là, même si notre intérêt se porte aujourd'hui principalement sur ses Mémoires, sur son récit épique de La Commune, et aussi sur ses poésies, sa correspondance et quelques textes théoriques. Ses romans qui sont d'un feuilletonisme effréné – et, de plus, d'un auteur qui ne se relisait jamais ! – dans lesquels elle s'est efforcée de mettre en lumière ses idées révolutionnaires et anarchistes, semblent la part la plus faible de ses écrits. Il est sûr qu'elle ne s'est jamais prise pour un grand écrivain. Un bon point pour elle.
 
Mais si j'ai mis en exergue la phrase ci-dessus, c'est que nous manquons aujourd'hui d'une pasionaria de cette qualité pour fustiger les Cahuzac et autres fossoyeurs de la République. À la différence de Louise Michel, je me faisais encore – à soixante-sept ans ! – quelques illusions sur nos élus. Louise Michel ne s'en est (presque) jamais fait. Dès la proclamation de la République, en 1870 (et elle n'était pas encore anarchiste, elle va le devenir sur la bateau qui l'emmènera au bagne en 1873, en Nouvelle Calédonie), elle pense qu'on a juste changé de têtes (Thiers remplace Napoléon III : "Rien n'était changé, puisque tous les rouages n'avaient que pris des noms nouveaux, ils avaient un masque, c'était tout"), mais que c'est toujours l'argent qui règne ; quelques années plus tard, en 1888, elle écrivait encore : "Comme il [Thiers] devait rire quand, après qu'il eût saigné la France au cœur en égorgeant Paris [allusion aux 30 000 morts de la répression de la Commune de Paris], on l'appelait le libérateur du territoire, parce qu'il avait versé l'argent des autres pour la rançon de la guerre ! Comme il devait rire en faisant rebâtir, aux mêmes frais, sa maison, pour la destruction de laquelle il avait pris tant de vies et de libertés d'hommes !" Eh oui, Monsieur Thiers a fait rebâtir sa demeure détruite par les contribuables : nul doute qu'aujourd'hui, il aurait des comptes en Suisse et autres paradis fiscaux !

Aussi fut-elle parmi les premières à se lever pour conserver les canons de Montmartre en mars 1871 : "Quelque chose d'inattendu venait de se produire dans le monde. Pas un seul membre des classes dirigeantes n'était là. Une révolution éclatait, qui n'était représentée ni par un avocat, ni par un député, ni par un journaliste, ni par un général." Elle restera toujours convaincue que "le pouvoir stérilise les meilleurs", car il fait "son œuvre éternelle, il la fera tant que la force soutiendra le privilège." Elle rappelait aussi : "peut-être que si toutes les femmes avaient du cœur et du caractère, les hommes seraient moins petits et la race humaine, vue de près, inspirerait moins de dégoût."
Et s'il y eut une femme de caractère, c'est bien elle ! Quand on pense que lors de la récolte des Canaques en 1878, tous les ex-Communards (espérant obtenir sans doute des remises de peine) se levèrent contre eux, faisant front avec l'administration coloniale, il fallut une femme, Louise Michel, pour sauver l'honneur de la Commune en prenant fait et cause pour eux ("C'était justement à l'époque de la révolte des tribus, et je passais près des camarades pour être plus canaque que les canaques"). Dès son arrivée là-bas, elle s'est intéressée aux mœurs et coutumes locales, persuadée que ces peuples soi-disant primitifs (ça arrange bien les colonisateurs, ça !) ne sont pas pires que nous et, de toute façon, disait-elle : "j'espère, dans mes excursions pour la Société de géographie, apprendre aux Kanaks à nous égaler, ce qui ne sera pas aussi difficile qu'on le croit. Cette race qui s'éteint, au lieu d'être broyée à coups de canon et dépossédée, pourrait contracter des alliances avec la nôtre, ce qui produirait une nation intelligente et forte, du moins un peu plus que les nôtres qui sont lâches et bien bêtes."
Concernant les classes dirigeantes, elle pouvait écrire à ses juges en 1872 : "Messieurs, Voici les vacances ; allez voir vos propriétés, les blés doivent être beaux, cette année, le sang humain les a fumés. Chassez bien, Messieurs, la poudre ne vous coûte pas cher, et c'est un jeu de princes. Le gibier et les fils du peuple, tout cela est bon à tuer." Quelques années plus tard, après son retour, elle fustige encore nos canonnières : "Le gouvernement n'a plus d'abattoirs à Paris, comme en 1871, mais il les a à Madagascar et au Tonkin." Rappelons qu'il y avait alors l'union sacrée autour de la mission civilisatrice de la France (à coups de canon !). De même elle se rapprochera en Nouvelle-Calédonie des Kabyles exilés à la suite de la grande insurrection de 1871 en Algérie, dont la répression fut féroce : "je me demandais : quel est l'être supérieur, de celui qui s'assimile à travers mille difficultés des connaissances étrangères à sa race, ou de celui qui, bien armé, anéantit ceux qui ne le sont pas ?"
Et son amour pour les animaux (elle rapportera de Nouméa ses chats et des oiseaux !) : "Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu'il me souvienne l'horreur des tortures infligées aux bêtes." Et sa défense des femmes ("Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire") : "Au Droit des femmes [il s'agissait d'une société féministe], comme partout où les plus avancés d'entre les hommes applaudissent aux idées d'égalité des sexes, je pus remarquer, comme je l'avais toujours vu avant et comme je le vis toujours après, que malgré eux et par la force de la coutume et des vieux préjugés, les hommes auraient toujours l'air de nous aider, mais se contenteraient d'avoir toujours l'air. Prenons donc notre place sans la mendier."
Louise Michel, tu nous manques ! Je sais que, si tu étais là, tu ne briguerais aucune place de pouvoir, toi qui écrivais : "Qui écrira les crimes du pouvoir et la façon monstrueuse dont il transforme les hommes..." ou : "Ô mes amis, que nul d'entre vous après la victoire du peuple ne soit assez fou pour songer à un pouvoir quelconque" (là, elle s'illusionnait). On a toujours besoin des revendications sur la culture pour tous que tu réclamais avec insistance, toi, institutrice, qui es allée jusqu'à instruire les kanaks et relever leur vocabulaire pour réaliser un petit lexique : "Allons, allons, l'art pour tous, la science pour tous, le pain pour tous, l'ignorance n'a-t-elle pas fait assez de mal, et le privilège du savoir n'est-il pas plus terrible que celui de l'or ? Les arts font partie des revendications humaines, il les faut à tous ; et alors seulement le troupeau humain sera la race humaine." Ce fut écrit il y a plus de cent ans, qui parmi nos intellectuels l'écrit encore aujourd'hui, où les nantis se réservent jalousement pour eux, leurs familles et leur progéniture, la culture et les prébendes qui l'accompagnent ?
Quant à l'ordre établi, on ferait toujours bien de la relire : "on entend par l'ordre le droit d'assommer les gens qui prétendent que les abeilles ne doivent pas travailler éternellement pour les frelons." Hélas, nous sommes toujours environnés de frelons, particulièrement chez les financiers (les fameux traders !) et les hommes politiques à leurs bottes.
Louise, je ne regrette pas d'avoir passé trois mois à te lire.