mardi 30 avril 2013

30 avril 2013 : la persécution est de retour


Ô la nécessité ! Faire toujours ce qu'il faut faire, être toujours, selon les circonstances (et quoique la répugnance du moment vous en détourne), comme un jeune homme, comme un voyageur, comme un artiste, comme un fils, comme un citoyen, etc., doit être !

(Gustave Flaubert, Voyage en Orient)



Je ne me suis jamais senti aussi protestant qu'en ces temps-ci, où les horreurs anciennes se réveillent fâcheusement à ma mémoire. Je suis protestant ; je sais, il n'y a pas de quoi se vanter, et d'ailleurs, si je le signale, ce n'est pas pour faire le moindre prosélytisme (le protestantisme, c'est choisir librement), mais parce que c'est un fait. Sans doute suis-je fort peu pratiquant, peut-être à peine croyant, en tout cas d'une croyance qui m'est tout à fait personnelle, ce qui est très protestant aussi.

Mais je suis surtout protestant au sens historique et mémoriel du terme. Je suis persécuté, pourchassé, brûlé, massacré avec les parpaillots du XVIe siècle, je suis à peine toléré par l'édit de Nantes de 1598, puis de nouveau pourchassé, exilé, combattu, condamné aux galères, persécuté de mille manières après la révocation de l'édit de Nantes en 1685 et tout au long du XVIIIe siècle (on comprend que je n'aime pas précisément Louis XIV, ni Louis XV !), de nouveau toléré par un édit de Louis XVI en 1787, et enfin définitivement accepté par la Révolution française de 1789 et la République (c'est aussi pourquoi je suis républicain). Tout cela, je le sens dans ma chair, dans mon corps, dans mon esprit. C'est aussi cela être protestant, c'est être porteur de mémoire, et ayant été pourchassé et persécuté, ne pas accepter d'être persécuteur.

Quand j'étais petit, nous sortions de la guerre. J'ai eu toute mon enfance bercée par le rappel des atrocités nazies, des persécutions contre les Juifs et les résistants (j'ignorais alors qu'étaient aussi persécutés les tziganes et les homosexuels !). Un cousin germain de ma mère y a laissé sa vie, à dix-sept ans. Le mari de ma marraine est rentré des camps, pesant trente-sept kilos... Ma mère, ma grand-mère trouvaient tout ça insupportable, et nous rappelaient que ce fut aussi le lot des huguenots au XVIIIe siècle. Et cependant, elles ne nous ont jamais parlé de vengeance, mais éduqué dans l'esprit de tolérance, d'acceptation des différences, avec aussi : plus jamais ça ! C'est cela, être protestant.

Aussi, adolescent, suis-je devenu d'un antiracisme forcené, effrayé par les guerres coloniales (et les crimes qui allaient avec, n'avions-nous rien retenu des années de guerre ?), et ai-je compris par la manière dont on désignait les peuples colonisés (je ne reproduirai pas ici les termes utilisés par certains de mes camarades lycéens, tant ça me fait honte pour eux, aujourd'hui encore) que nous n'avions jamais accepté l'égalité, et que la fameuse Union française de notre école primaire était de la foutaise. Étudiant, j'ai évidemment manifesté contre la guerre au Vietnam. Et, encore aujourd'hui, je ne puis encourager "le désir d'imposer « notre » civilisation ou « notre » domination aux autres peuples", comme l'écrivait Virginia Woolf dans son bel essai Trois guinées (elle soulignait que les femmes en tout cas ne le feraient pas, que c'était très masculin). Plus tard, après mai 68, j'ai regardé avec beaucoup d'attention les différents mouvements de libération qui agitaient notre société, le MLF (Mouvement de Libération des Femmes), le FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), les luttes pour le droit à la contraception puis à la libéralisation de l'avortement, les luttes contre les diverses discriminations. C'est cela aussi, être protestant.
Martin Luther 









Martin Luther : aux sources du protestantisme

Aujourd'hui, quand internet et les réseaux sociaux résonnent des trompettes éclatantes de l'homophobie triomphante (et combien régressive, preuve que ce que nous prenions depuis quarante ans pour une acceptation n'était en fait qu'une vague tolérance, derrière laquelle la haine refoulée était prête à surgir), je ne peux que m'élever contre ces blagues imbéciles, cette connerie rétrograde, hypocrite, souvent anonyme, et qui fait mal. Être protestant, maintenant, comme toujours, c'est se mettre du côté des persécutés, des humiliés, des exclus, des offensés. La loi ouvre de nouveaux droits, je la salue. Comme j'ai salué en leur temps la loi autorisant l'Interruption Volontaire de Grossesse ou celle abolissant la peine de mort. 
La fierté des hommes politiques, c'est justement d'aller à contre-courant, de faire passer des lois impopulaires : l'édit de Nantes, croyez-vous que les Catholiques, largement majoritaires, étaient pour ? L'abolition de l'esclavage par la Révolution française en 1794, croyez-vous que les riches planteurs des Antilles étaient pour ? Il y a encore des gens (peut-être bien une majorité ?) pour manifester contre la liberté d'interruption de grossesse. Et certainement une majorité pour le rétablissement de la peine de mort. Ne laissons ces majorités rétrogrades empiéter sur les décisions politiques. Les vieilleries doivent rentrer au rencart : "D'où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même, et comme du minéral l'on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es", nous disait André Gide, dans Les nouvelles nourritures, il y a plus de cent ans. On a encore du progrès à faire.

Les protestants ont, en France, toujours été minoritaires. C'est en partie pour cela qu'ils ont été persécutés fort longtemps. Ils ont généralement pris le parti des minorités quand le besoin s'en faisait sentir, en tout cas en France. La persécution, l'humiliation d'autrui, ne peuvent ou ne doivent pas être de notre fait. En tout cas, pas du mien ! Nous n'avons pas à hurler avec les loups !

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