samedi 18 mai 2013

18 mai 2013 : retour du refoulé


Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville,

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon cœur ? 
(Paul Verlaine, Romances sans paroles)





Encore un jour de froidure et de pluie. J'ai heureusement mon grand parapluie acheté chez un des derniers artisans fabricants de parapluie, Grand rue à Poitiers, parapluie très couvrant, mais peu commode en voyage, car il ne rentre pas dans les valises ! Et encore, n'ai-je pas acheté le maousse parapluie de berger qu'il me proposait : peut-être me l'offrirai-je cette année pour la fête des pères – après tout, j'en suis un et peux donc bien m'offrir à moi-même des cadeaux – car si ça continue, ça va devenir indispensable ! Ces jours de pluie sont propices à la réflexion, car effectivement, est-ce un signe du vieillissement mental, une sorte de langueur "pénètre mon cœur" dans ces jours de grisaille ; alors, je médite. Ah, je regrette les pluies tropicales, diluviennes, mais assez brèves, et aussitôt suivies d'un grand soleil, qui nous ont assaillis sur le cargo ! Mais aussi, je vais davantage m'enfermer dans les salles obscures de cinéma.


C'est ainsi que je viens de voir Inch'Allah, un film québécois d'Anaïs Barbeau-Lavalette qui permet, avec le recul d'une cinéaste étrangère, de mieux appréhender le « conflit » israélo-palestinien qu'un film provenant de l'un ou l'autre camp. Très beau film qui conte l'histoire d'une doctoresse québécoise, Chloé, qui travaille dans une clinique d'un camp de réfugiés palestiniens, sans doute pour une ONG humanitaire, mais qui habite à Jérusalem, où elle est amie avec une jeune Israélienne ; cette dernière fait son service militaire au check-point par où Chloé doit passer quotidiennement. Dans son service médical, elle s'est également liée d'amitié avec Rand, une Palestinienne qui attend un bébé et dont le mari est détenu en Israël, et son frère Faysal, résistant passionné (et donc selon Israël, "terroriste", ça ne vous rappelle rien ? Nos résistants à nous aussi, les miliciens et les nazis les appelaient terroristes !). Le jour où Rand accouche, la voiture est bloquée par les militaires, qui font le blocus à cause de tirs palestiniens contre les colonies, et le bébé meurt, devenant un nouveau martyr de la cause palestinienne. Chloé ne sait plus que penser : aussi bien le militaire qui l'a empêché brutalement de passer que Rand lui disent : « Tu n'es rien ici, rentre chez toi ! »

Eh bien, je maintiens ce que j'ai déjà écrit : au vu du film, ce conflit est un problème d'essence colonialiste. Nous voyons très bien qu'Israël occupe des territoires, les colonise, probablement en acquérant de manière vraisemblablement peu légitime les terres et en expulsant les occupants préalables, et se maintient par la force, en créant des ressentiments, pour ne pas dire la haine des Palestiniens qui rejaillit sur les citoyens israéliens, devenus à leur tour haineux et inconciliables. Et vraiment on ne voit aucune solution pointer à l'horizon. Le général de Gaulle, le 29 novembre 1967, craignait que « les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient depuis dix-neuf siècles ». Phrase qui lui avait attiré en son temps la haine, précisément, de beaucoup d'israélites français (dans les années 90, lors d'un dîner avec D., une amie juive de Poitiers, quand au cours du repas j'ai dit par inadvertance l'admiration que j'avais pour l'action du général, en dépit de mon tempérament de gauche, elle m'avait rappelé sèchement cette phrase, qu'elle connaissait par cœur, trente ans après !) et qui nous a longtemps déconsidéré dans nos relations politiques avec Israël.

Contrairement à ce que laisse croire une propagande soigneusement entretenue, être antisioniste ne signifie pas du tout ou du moins pas forcément être antisémite, ça veut dire être avant tout anticolonialiste, ce que j'ai toujours été depuis mon adolescence. D'ailleurs, l'extrême droite française ne s'y trompe pas : elle encourage vivement les juifs français à partir vers Israël, leur patrie légitime selon eux, comme s'ils n'étaient toujours pas français, deux siècles après une Révolution française qui ne semble toujours pas digérée à droite. Et, sortant son refoulé à la suite du mariage pour tous, on entend dire à tout venant ce genre de propos : « ils n'ont pas encore fini de nous bassiner, avec leur Shoah ! », phrases qu'on n'entendait pas ces dernières années. Car, pour l'extrême droite, les Juifs, comme les gays, ne sont valables que s'ils restent discrets et même, si possible, invisibles. Donc ailleurs...

On peut cependant critiquer un état et sa politique, sans critiquer pour autant le peuple qui l'habite ; j'ai toujours distingué le peuple espagnol des Franquistes, le peuple russe des Staliniens, le peuple américain des dirigeants qui défoliaient le Vietnam, etc. Les deux peuples, palestinien et israélien, doivent pouvoir cohabiter dans deux états distincts, puisque chacun privilégie la religion comme fondement du pays ; c'est fort dommage pour la démocratie, et surprenant qu'au XXIe siècle, la religion conserve un tel pouvoir, mais on est en plein dans le « retour du religieux » que prédisait Malraux, un peu partout dans le monde. Et hélas, il faut faire avec.

Ce retour du religieux, et du refoulé qui va avec, explique la force du mouvement contestataire contre le mariage pour tous. Ces pauvres catholiques regrettent vraiment le temps où la France était fille aînée de l'Église et le catholicisme religion d'état. Vive la république laïque !

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