samedi 1 juin 2013

1er juin 2013 : Ulrich Seidl : Paradis


le besoin fondamental humain est ce qui est absolument nécessaire à la vie, à la croissance et à l'épanouissement de l'être humain.

(Joëlle Randegger, Le mariage dans tous ses états)



Pas besoin d'être grand clerc pour savoir que le monde va mal. Il n'est que d'écouter la radio, de lire les journaux, de regarder la télévision, de lire des romans, de voir des films ou des pièces de théâtre récents pour découvrir l'étendue des dégâts moraux, psychiques, spirituels du monde contemporain. On peut voir par exemple dans l'excellent documentaire de Ken Loach, L'esprit de 45, à quel point le détricotage systématique de l'état-providence opéré par l'horrible Thatcher – en voilà une sur la tombe de qui j'irai bien cracher !, avec la complicité des financiers, des spéculateurs et de l'ensemble de la classe politique anglaise (travaillistes compris, devenus complètement éloignés de la classe ouvrière, dont ils étaient issus et dont ils furent le fer de lance, et travaillant désormais uniquement pour les soi-disant classes moyennes, parachevant le travail de Thatcher ?), comment ce détricotage donc, a détruit l'espérance de chacun de pouvoir réellement peser sur sa vie personnelle. Il faut relire d'ailleurs à ce sujet le programme de notre Conseil national de la résistance (réédité au complet sur le site http://www.humanite.fr/politique/les-jours-heureux-le-programme-du-conseil-national-542380) pour voir à quel point nos gouvernants sont aux antipodes des idées d'après-guerre et aux ordres exclusifs du Capital et de la spéculation.


Mais la trilogie filmée d'Ulrich Seidl, Paradis (1 : Amour, 2 : Foi, 3 : Espoir) démontre carrément que le monde occidental a oublié les "trois dimensions de l'être, physique, psychosociale et spirituelle", sans lesquelles, selon Joëlle Randegger, "la frustration engendrée par le manque ou par l'indifférence est source de réponses inadéquates qui génèrent à terme, violences, conduites à risque, névroses, addictions." Tout se passe dans l'Autriche hyper développée du début du XXIe siècle. Amour montre que les femmes mûres sont les premières touchées par le manque d'amour, l'indifférence des hommes dès qu'elles ne sont plus montrables, désirables : elles se sentent obligées d'aller acheter du plaisir auprès des jeunes noirs d'Afrique orientale, nouvelle version du colonialisme. Foi affiche l'incapacité des humains d'aujourd'hui à intégrer une vraie spiritualité dans un univers totalement voué à la consommation matérielle : l'héroïne développe une névrose de prosélytisme inappropriée qui la rend incapable de vivre avec un époux paraplégique. Quant à Espoir, il est peut-être encore plus terrifiant, sous des allures plus légères – si on peut dire !


 

En effet, il met en scène des jeunes gens, filles et garçons de 13-14 ans à la limite de l'obésité, réunis dans un camp de diète destinée à leur faire perdre des kilos superflus. Exercices physiques sous la conduite d'un moniteur adepte d'une stricte discipline, natation, promenades en forêt, apprentissage de la diététique, sont au menu. On apprend incidemment par une conversation entre filles que toutes sont issues de familles désunies, s'entendent mal avec le parent avec qui elles vivent (la mère) et ne voient guère le géniteur, qu'elles détestent cordialement. Les jeunes filles – frustrées de nourriture se lèvent en cachette la nuit pour aller dévaliser la cuisine, font la fête et boivent de l'alcool dans leur chambre de quatre lits, et deux d'entre elles font le mur une nuit, pour aller dans la boîte de nuit voisine, où la plus fragile, très imbibée, se fait draguer par un adolescent ; ce dernier tente de la violer sous l’œil du téléphone portable de son copain qui filme la scène : comble de l'abjection, heureusement arrêtée par le gérant de la boîte qui appelle les responsables du camp. Cette pauvre fille s'était amourachée du médecin du camp, homme célibataire et bizarre. Bref, on est dans un univers adolescent où le manque de repères (autres que le téléphone portable, les fringues, la publicité, l'alcool et le sexe sans amour), les séparations sources d'insécurité, l'absence de tendresse autant que d'autorité, créent une souffrance qui, dans le film, se porte vers l'excès de nourriture et l'obésité.

On dirait que dans la société autrichienne d'aujourd'hui – on peut y lire en filigrane qu'elle n'a pas fait son deuil du nazisme ? – les parents ont oublié qu'ils sont au "service du plus faible, celui de l'amour qui se donne pour que l'autre vive", selon les mots d'Albert Schweitzer dans Vivre. Il faut de tels films pour prendre conscience qu'on ne peut pas laisser les choses perdurer ainsi, mais malheureusement, ce ne sont pas les 10 000 spectateurs qu'ils font, quand des conneries comme Iron man, Les profs ou Fast and furious, attirent des millions de spectateurs, qui vont attirer l'attention du plus grand nombre. 
Ainsi va le monde...

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