jeudi 27 juin 2013

27 juin 2013 : révolutions


Et si l'obscurité règne chez ces gens, ce n'est pas parce qu'on manque de lampes. C'est des âmes que viennent les ténèbres, ce n'est pas l'électricité qui est à blâmer.

(Ólfur Haukur Símonarson, Le cadavre dans la voiture rouge)



En attendant de voir deux ou trois films par jour à La Rochelle, je continue ma moisson de films fort intéressants. Non les blockbusters américains, vous vous en doutez – je laisse ça aux enfants, aux adolescents et aux adultes attardés adeptes du pop corn et du coca cola qui règnent en maîtres dans les cinémas qui les proposent, mais les films venant du monde entier. Que diable, je ne suis pas soumis à l'impérialisme économico-culturel américain, moi, et de chez eux je ne vais voir que quelques films indépendants dont le sujet m'intéresse. Mais de nature, je suis citoyen du monde et tous les pays m'intéressent, en particulier les pays africains depuis que Lucile y est devenue une connaisseuse avertie, et parce que leur histoire est liée à la nôtre.

Après le film sénégalais et le film algérien, et en attendant le film tchadien Grigris (mon premier film de ce pays) dont je viens de voir la bande-annonce, très prometteuse, c'est la Tunisie qui me proposait un film passionnant sur le printemps arabe et la place des femmes dans le processus. Millefeuille de Nouri Bouzid essaie de montrer le changement de société à travers le destin de deux jeunes femmes, l'une voilée, Aïcha (mais parfaitement libre dans sa tête, simplement elle veut avoir la paix, appliquant la recette de la tante de Zaineb : "La ruse, c'est de gagner la guerre sans la faire", d'ailleurs, c'est elle le chef de famille, elle travaille dans les cuisines d'une grande pâtisserie salon de thé pour élever, éduquer et nourrir ses trois plus jeunes sœurs), et l'autre aux cheveux en liberté, Zaineb, qui travaille aussi au même endroit, fait des études de styliste de mode et est fiancée à un entrepreneur français d'origine tunisienne, qui doit l'emmener vivre à Nice. Le pays est en mouvement (manifs, émeutes, arrestations) et la « révolution » met tout le monde mal à l'aise, hésiitant entre traditionalisme et modernité, réformisme démocratique et obscurantisme religieux. Le frère de Zaineb, Hamza, islamiste sorti de prison à la faveur des événements, et ancien amoureux de Aïcha, intime à Zaineb de se voiler, de respecter l'islam. La mère s'y met aussi, prisonnière des carcans religieux et culturels, tandis que le père, plus moderniste, ne fait pas le poids dans la maison. On oublie en effet que, dans ce monde-là, les femmes sont reines à l'intérieur des maisons. Et les vieilles femmes n'ont pas forcément envie que les choses changent. La mère enferme donc Zaineb à clé, l'empêchant de sortir, puis la drogue avec du pavot pour la rendre plus soumise et l'obliger à mettre le voile (scène terrible). Même la tante venue en renfort, ne peut que constater les dégâts en conseillant à Zaineb : "Cesse de t'opposer, triche". Sauf que Zaineb, comme Aïcha, se battent justement pour n'avoir plus à tricher et à dépendre de la pression sociale et religieuse, des contraintes du machisme ambiant, qui les irritent constamment. Ce qu'elles veulent, au fond, c'est réaliser une révolution intérieure. Et si Zaineb refuse le voile, c'est parce qu'elle le ressent comme une prison, une atteinte à son intégrité personnelle.


Le pays est en effervescence. Le vieux musicien aveugle de rue est tué, Hamza, comprenant qu'il fait fausse route, rompt avec son groupe fondamentaliste et se fait tabasser par eux. Le patron de la pâtisserie pousserait plutôt ses « filles » à s'émanciper, à ôter le voile (non sans arrière-pensées). Zaineb finit par s'enfuir, et renoncer à son fiancé, quoique... Le film n'est jamais lourd ni démonstratif, il montre, au spectateur de se faire son opinion. Il y a même des scènes drôles, comme celle de la préparation du millefeuille où les pâtissières se couvrent de crème et de farine en désignant l'un après l'autre les principaux partis. Néanmoins la critique de l'intégrisme religieux, de la manière dont il imprègne les hommes – et les femmes, est sans appel. Comme dit le réalisateur, « Une conviction ne s'impose pas, elle se partage. » Excellente interprétation.

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Comme je quitte Bordeaux ce jour, et que le blog va sans doute rester encalminé – pour reprendre un terme maritime que j'aime beaucoup – jusqu'à mon retour, je voudrais rappeler aussi, n'en déplaise à Télérama (qui doit être l’œil de la CIA, tant ses critiques cinématographiques encensent les films américains, même les blockbusters et dessins animés imbéciles et d'une laideur sans pareille, à moins que la publicité de plus en plus envahissante ne leur impose d'en dire du bien, et trouvent toujours du fiel pour éreinter les films français équivalents de ces mêmes blockbusters), que La grande boucle n'a pas à rougir de la comparaison et que lire dans leur critique : "Scénario indigent (écrit à quatre, pourtant !), racolage à tous les étages, autopromotion du groupe Amaury (organisateur du Tour) : cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu une grosse machine aussi grossière", est absurde. Bien sûr, il ne leur a pas échappé que Les stagiaires, sorti cette semaine, et consacré à la firme Google, est "à la limite du spot de pub géant" (je confirme, ayant vu la bande-annonce), mais ils lui trouvent quand même des qualités qu'ils refusent à La grande boucle. Je regrette, j'aime le vélo, et j'ai trouvé ce film passionnant à tous points de vue : les personnages sont intéressants et vrais (évidemment, ce n'est pas les affres d'une bourgeoise de soixante ans à la retraite comme dans les Beaux jours), humains, attachants, et l'histoire, contrairement à ce qu'ils racontent, m'a fortement intéressé, me rappelant le livre de Bernard Chambaz, À mon tour, où il conte le tour de France 2003, qu'il a accompli un jour avant les vrais coureurs, comme le héros du film. Impossible que les scénaristes n'aient pas connu son livre. De trois choses l'une, ou les critiques de Télérama n'aiment pas le vélo – c'est leur droit, après tout, moi je n'aime pas le beurre – ou ils n'ont pas vu le même film que moi, ou ils font du masochisme dénigreur anti-cinéma français pour tout film grand public venant de chez nous.


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Un dernier mot : les soldes commençaient aujourd'hui. La rue Sainte-Catherine était noire de monde ; inutile de dire que je l'ai fuie. Mais même ailleurs il y avait une circulation dense, des voitures partout, garées n'importe comment, pas facile pour un cycliste. Et ces bus qui affichent fièrement « JE ROULE PROPRE » et vous envoient une flopée de gaz d'échappement ! À vélo, oui, on roule propre. Et silencieusement...

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