Cet
épineux fardeau qu'on nomme vérité
(Agrippa
d'Aubigné, Les Tragiques)
Pas
un souffle d'air. Aucun oiseau ne chante. L'appartement est tout
ouvert, mais il n'y a guère de courant d'air. Côté ouest, hier
soir, il y avait dedans 29° ; il est 6 h, le jour se lève, il
y a encore 26° ! Dans la chambre, probablement une même
température qui, elle, doit rester constante, 26-27°, toute la
journée. J'ai néanmoins dormi sept heures d'affilée.
Mes
couch-surfeurs sont repartis. Exeunt lundi dernier les quatre
Polonais, qui m'ont avisé de leur bon retour, exit hier le jeune
Sergueï, qui prend l'avion pour rejoindre sa Russie aujourd'hui.
J'espère ne pas leur avoir imposé un programme de visites trop
volontariste en les emmenant à la dune du Pyla et dans les Landes,
je leur ai laissé des journées totalement libres, notamment pour
leurs devoirs religieux. C'est moi maintenant qui vais partir
couch-surfer chez les autres (amis, famille) en Poitou et en Vendée.
J'ai
fait sensation, je crois, lors du repas dans les Landes, en annonçant
que je n'avais plus envie de
voter. Je lis chez Alain Accardo : "le
simple effort de se tenir
et de se retenir a déjà quelque chose de subversif et de
libérateur."
Eh bien, voilà, j'ai envie de me tenir et de me retenir, et j'ai bien vu que c'était en effet subversif, et causait de l'incompréhension. J'entends
bien que voter est un droit ; et alors, est-on obligé d'exercer
tous ses droits ? Je me sens parfaitement libre à cet égard.
Dans notre "monde
où l'on se préoccupe de moins en moins de distinguer le moral et
l'immoral, le noble et l'ignoble, le décent et l'indécent,
l'honorable et le déshonorant, le sensé et l'insensé, parce que
ces valeurs ne se mesurent pas en argent"
(Accardo toujours), où l'on peut considérer que les deux
idéologies rivales, la droite et la gauche de gouvernement, ne sont
"que le prétexte et le
déguisement des violents et des ambitieux, un moyen d'exciter
l'hystérie des masses, une façon de sanctifier aux yeux des sots
les visées des habiles" (Yourcenar
cette fois, dans Sous bénéfice d'inventaire),
à quoi bon voter si c'est pour s'agenouiller devant la tyrannie de
l'argent (le Veau d'or) qui étouffe l'esprit civique, et qui pousse
nos politiques à n'avoir pour seul objectif que de maximiser les
profits des nantis, et pour cela de concocter des « plans
sociaux », de spéculer sur le chômage et la précarité, et,
non contents de réussir dans cette entreprise, de détruire
l'environnement par la folie de la croissance ininterrompue ? Et
quand on voit que, comme l'écrit Accardo, "ces
gens soi-disant « de gauche » se font élire par le
« peuple de gauche » pour faire une politique de droite
que des politiciens de la droite classique auraient plus de mal à
faire accepter"
(voir le plan retraite annoncé par exemple), on saisit que
l'alternance au pouvoir n'est, hélas, pas une alternative. Donc, je
voterai aux premiers tours, mais si mon (ma) candidat(e) n'est pas au
second tour, je m'abstiendrai dorénavant.
Oui,
ce qui me poussera à refuser cette mascarade électorale, c'est que
je suis résolument pour la décroissance, c'est-à-dire "la
démarche de quiconque refuse de faire de la production et de la
consommation (de bouffe, de voyages, de fringues, de gadgets, de
sexe, etc...) une fin en soi..."
(Accardo, encore). J'essaie de manger raisonnablement, en essayant
d'éviter autant que faire se peut tout excès en général. Mes voyages et déplacements
sont destinés à rencontrer la famille et les amis, ou (voyages en
cargo) à faire des retraites méditatives et de découverte de soi.
Je me suis toujours foutu des fringues, ce n'est pas à mon âge que
je vais commencer à me prendre pour un mannequin ! J'ai déjà
bien trop de gadgets que je n'utilise pas (comme le dictaphone),
étant trop mal outillé techniquement pour les comprendre – ben
oui, je suis un handicapé technique : c'est ainsi que j'ignore
superbement le GPS, par exemple (les cartes et atlas me suffisent),
ou le smartphone (qu'est-ce que je pourrais bien en faire, mes
journées sont déjà bien remplies).
Quant
au sexe, oh là là, je ne l'ai jamais considéré comme une fin en
soi, je l'ai pratiqué avec mesure et je pense qu'il y a un temps
pour tout (la preuve, c'est que bien des hommes de mon âge doivent
utiliser des béquilles pour continuer, genre viagra et Cie) ;
ce qui compte, c'est de n'être pas en carence affective. Et
l'affectivité, on ne la comble pas par un appui artificiel et
chimique. Elle n'entre pas dans le cadre de la consommation et ne
s'achète pas. Comme il est écrit dans l'Ecclésiaste, il y a "un
temps pour embrasser, et un temps pour s'éloigner des
embrassements". Oui, là
aussi, je suis dans la décroissance, dans le renoncement. Il y a,
heureusement, bien d'autres manières d'aimer, contrairement à ce
que nous voudrait nous faire croire une propagande flatteuse et
mensongère (comme toute propagande) qui fait de la jouissance
(sexuelle) et de la possession (franchement, un terme absurde :
peut-on posséder une femme ou un homme ? oui, au temps heureusement
révolu de l'esclavage) l'alpha et l'oméga de l'amour.
Je
lis chez Gide ces mots que je peux faire miens : "Ce
sont les principes de l'Évangile,
selon le pli qu'ils ont fait prendre à ma pensée, au comportement
de tout mon être, qui m'ont inculqué le doute de ma valeur propre,
le respect d'autrui, de sa pensée, de sa valeur, et qui ont, en moi,
fortifié ce dédain, cette répugnance (qui déjà sans doute était
native) à toute possession particulière, à tout accaparement"
(Journal, juin 1933). Remarquez que je ne juge pas les autres
qui souhaitent continuer à jouir, dans tous les sens du terme,
jusqu'au dernier instant ; Gide encore : "La
chair moins exigeante, tandis que l'âge vient, laisse, il se peut,
l'esprit libre. On juge plus sainement de ces choses ; mais
aussi plus injustement ceux qui sont dominés par les sens"
(Journal, 20 janvier 1932), et je ne veux pas être injuste.
Je ne parle que pour moi. Par contre, je juge assez sévèrement ceux
qui sont dans la recherche de la consommation, de la possession, du
profit et de l'accaparement abusifs, quel que soit leur âge.
D'ailleurs,
je crois n'avoir jamais autant aimé les autres, ne m'être jamais
autant intéressé à eux, ni jamais autant ouvert à eux. Preuve que
ce renoncement à l'exercice de la sexualité – évidemment, en
grande partie naturel – n'est pas un drame, pour moi, s'il peut
l'être pour d'autres. Et qui sait, renonçant à voter, je finirai
peut-être par m'intéresser aussi à nos hommes et femmes
politiques, à essayer de comprendre ce qui fait leur spécificité :
ce goût du pouvoir, qui m'est totalement étranger. Et peut-être
par les aimer, pour cette faiblesse-là, justement !
Bref,
je souhaite pratiquer le "nouvel
art de vivre, raisonné, régulé, soucieux de mettre l'avoir, le
pouvoir et le savoir au service d'un accroissement de l'être chez
tous et partout" que prône
également Alain Accardo (qui doit être dans mes âges) dans son
livre décidément passionnant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire