samedi 6 juillet 2013

6 juillet 2013 : Festival de La Rochelle


la littérature, elle, est un art hybride, parce que la langue, qui est son matériau, est, dans toutes les variations de proportions possibles, selon les cas, à la fois communication, signification, et évocation.

(Julien Gracq, Entretien avec Bernhild Boie)



Le Festival de cinéma de La Rochelle reste, depuis que j'en connais plusieurs, le plus constamment excellent : films faisant partie de l'histoire du cinéma (films muets accompagnés au piano, rétrospectives d'un ou plusieurs réalisateurs, panorama d'un pays, etc.), et films récents, avec de nombreux films inédits à la recherche d'un distributeur, ou bien prêts à sortir dans les semaines qui viennent. En six jours, j'ai donc vu quatorze films, loin derrière ceux qui y sont fourrés de 10 h du matin à minuit et qui en visionnent cinq par jour. J'avoue qu'avec trois maximum dans la journée, ça me rassasie suffisamment, et ça me laisse du temps entre deux films pour respirer et prendre le pouls d'une très belle ville, voir le toit calciné de l'Hôtel de ville, les tours de La Rochelle, ou prendre le passeur (bus de mer mu par l'électricité solaire).

Et puis, La Rochelle, c'est avant tout l'amitié. Je n'oublie pas qu'après le décès de Claire – et comme j'errais comme une âme en peine à Poitiers Marc et Yolande m'ont accueilli à Angoulins comme un fils surnuméraire, ou plus exactement comme un frère supplémentaire, puisque nous sommes à peu près du même âge ; en fait, comme un nouvel ami. Je trouve chez eux une chaleur réconfortante, une attention constante, et j'espère leur rendre un tout petit peu de leur attention et de leur chaleur. C'est aussi pour quoi je passe les soirées chez eux et ne reste à La Rochelle qu'aux séances du matin et de l'après-midi. D'ailleurs, j'y vais le plus souvent à vélo, et bien entendu, ça fait aussi partie du charme de ce Festival, où je joins l'utile (l'exercice physique, environ 10 km de vélo dans un sens, puis dans l'autre, dans le vent et en bord de mer) à l'agréable (voir des films).

Très étrangement, je suis resté cinéphile, de même que je suis resté lecteur de romans, alors qu'en général, en vieillissant, on se replie sur soi-même et on s'intéresse moins à la vie des autres dont films et romans nous montrent un reflet. Et cinéphile qui tient à l'ouverture : j'ai donc vu trois films chiliens (on célébrait le jeune cinéma chilien, qui revient de loin, après l'épisode Pinochet, un peu comme le cinéma espagnol après Franco), deux films des USA, deux films québécois, deux films indiens (aucun rapport avec les films chantés et dansés de Bollywood), un film allemand, un film anglais, un film français, un film italien et un film japonais. Conclusion : les êtres humains sont bien les mêmes partout, bons ou méchants, plein d'humour ou sérieux, pervers ou délicats, mesquins ou généreux, etc. etc. N'en déplaise aux thuriféraires du racisme et du nationalisme, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur courte vue.

Si les films chiliens, le français, l'allemand et l'italien étaient estimables, mais sans plus, il y avait quelques perles : le film québécois de Claude Gagnon, Karakara, qui raconte l'histoire d'un retraité (Gabriel Arcand, excellent acteur, également vedette de l'autre film québécois) parti au Japon à la recherche du sens de ce qui lui reste à vivre (thème forcément important pour moi), les formidables reprises d'Irma la douce (Billy Wilder), de La fille de Ryan (David Lean), que je n'avais jamais vus, et des Sept samouraïs, de Akira Kurosawa, dans sa version intégrale de 3 h 26 (je n'ai pas vu le temps passer), et les deux films indiens, Harischandra's factory, de Paresh Mokashi (qui se passe en 1913 et raconte le tournage du premier film indien) et Ship of Theseus, un film sur les greffes d'organes, tous deux excellents, beaux à regarder et riches de signification : ah ! pourquoi s'obstine-ton à ne nous montrer dans nos salles (et à la télévision !) que des films américains ou français souvent insipides, comme si le reste du monde n'existait pas, alors qu'il nous apporterait une tout autre nourriture et une tout autre ouverture d'esprit !


La fille de Ryan est un très beau film, romantique, qui se passe dans l'Irlande de 1916, déchirée par les émeutes et les luttes pour l'indépendance ; c'est une histoire d'amour entre la jeune femme (Sarah Miles) d'un instituteur vieillissant (Robert Mitchum) et un jeune officier anglais qui revient du front. L'éternelle histoire de la jeune femme idéaliste mal mariée avec un mari trop vieux (cf La princesse de Clèves, Madame Bovary, ou Anna Karénine) quoiqu'aimant (ce n'est pas le cas dans le roman de Tolstoï), mais qui ne peut la satisfaire. L'auteur du Pont de la rivière Kwaï et de Lawrence d'Arabie nous livre une fresque admirable visuellement, fort bien jouée, qui mêle habilement l'histoire d'amour et la grande histoire en train de se vivre, les scènes d'intérieur et les beaux paysages irlandais, le calme apparent et les tempêtes (aussi bien climatiques que dans les consciences). Encore un film qui me convainc que l'amour ne peut fonctionner correctement entre deux êtres mal assortis ! Et qui correspond à la triple fonction indiquée par Julien Gracq dans la phrase en exergue : "communication, signification, et évocation" sont ici étroitement mêlées dans la beauté de l'art. Peu de films aujourd'hui atteignent une telle maîtrise et une telle splendeur.
Et puis, le Festival de cinéma de La Rochelle, c'est aussi un lieu de rencontre, on discute dans les files d'attente, on fait connaissance, on prend des adresses même, on commente ce qu'on a vu, on prend note de ce qu'on n'a pas vu et qui mérite le détour, on en apprend de belles sur d'autres festivals (dont celui d'Ouagadougou !)... Bref, c'est une mine de richesse humaine inégalée. Je reviendrai à La Rochelle !

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