dimanche 4 août 2013

4 août 2013 : Voyous !


le pouvoir des juntes, militaires ou civiles, religieuses ou laïques, n’est jamais que celui, impitoyable, des riches.
(Alain Accardo, La décroissance, avril 2013)

Un état peut-il ne pas être voyou ? Les puissances occidentales ont facilement tendance – pour mieux se dédouaner – de lancer ce terme d'états voyous principalement aux états qui les contrarient dans leurs intérêts : dictatures communistes comme la Corée du Nord, islamistes comme la Libye de Kadhafi, l'Iran des Mollahs ou l'Afghanistan des Talibans, « républiques » d'Afrique noire avec leurs présidents à vie, etc. Je ne nie pas les défauts de ces états, mais ne devrait-on pas balayer devant notre porte ?
N'oublions pas que la Suisse, état soi-disant modèle de démocratie bourgeoise, est aussi celui où le blanchiment de l'argent sale est sans doute l'activité la plus rentable, et qu'elle fut la sauvegarde des intérêts financiers des nazis. Est-ce un état voyou ? Bien sûr que non, la Suisse n'est ni islamiste, ni communiste, ni république bananière... Qu'Israël occupe illégalement des territoires d'où ils ont chassé les Palestiniens à grands coups de bulldozers pour faire place à des colonies de peuplement qui se veulent irréversibles et empêcheront, non seulement la création d'un état palestinien viable, mais toute réconciliation entre les deux peuples. Que ce même état dicte ses conditions aux compagnies aériennes de nos pays pour empêcher telle ou telle personne de monter dans un avion à destination de Tel Aviv pour aller en territoire palestinien. Alors même qu'ils ont détruit tous les aéroports palestiniens et qu'on est obligé de passer par chez eux. Est-ce un état terroriste ? Bien sûr que non, Israël n'est ni islamiste, ni communiste, ni république bananière... 
Que les USA, non contents d'espionner toute la planète (ce qui ne leur a pas permis – curieusement ??? – de déjouer les attentats du 11 septembre !), y compris sans doute ce que j'écris en ce moment, ont vassalisé à ce point nos propres états qu'ils ont décidé d'empêcher l'avion présidentiel d'Evo Morales de survoler nos espaces aériens le 2 juillet dernier, en provenance d'un voyage diplomatique à Moscou. Voilà, Edward Snowden y était peut-être caché (mais à quoi peut bien leur servir leur capacité d'espionnage, grand Dieu ?) ! Ce qui était faux ; mais les USA voulaient seulement vérifier que nos pays étaient toujours à leur botte ! Bingo. Hollande, qui n'en rate pas une, a donné le feu rouge au survol, ainsi que le Portugal et l'Italie. Quant à l'Autriche, où l'avion bolivien a dû se poser, elle souhaitait par son ambassadeur – sur ordre américain, certainement – faire fouiller l'avion avant d'autoriser son départ, ce qu'Evo Morales a refusé énergiquement. Les USA, la France, le Portugal, l'Italie, l'Autriche, sont-ils des états terroristes ? Bien sûr que non, ils ne sont ni islamistes, ni communistes, ni républiques bananières...
Dans une tribune publiée par Le monde diplomatique, Evo Morales écrit : "Violant tous les principes de la bonne foi et les conventions internationales, Washington a transformé une partie du continent européen en territoire colonisé. Une injure aux droits de l'homme, l'une des conquêtes de la Révolution française." Oui, comme ajoute Morales, "l'obéissance aux ordres qu'on leur donnait" confirme que ces pays sont "soumis" à "l'impérialisme américain". Revoilà donc le fameux impérialisme américain, que copie d'ailleurs Israël, en donnant des injonctions à nos états pour les voyageurs par avion.
Nous sommes, il est vrai, soumis à l'impérialisme économique libéral, celui des puissances d'argent. Mais cet impérialisme ne parviendrait pas à nous dominer s'il n'était aussi totalitaire : comme écrit Alain Accardo dans Engagements (Agone éd.), les USA on su "mettre en œuvre, dans le cadre du fameux « plan Marshall », leur rêve d'hégémonie mondiale au moyen d'injections massives de dollars, de chewing-gum, de Coca-Cola, de DDT, de pin-ups et autres ingrédients de l'american way of life qui allaient rapidement transformer les pays occidentaux en satellites de Washington, leurs administrations en bureaux d'affaires des trusts et leurs populations en troupeaux robotisés de consommateurs conditionnés par les banques et les agences de publicité." On a réussi à nous faire croire – et c'est totalement ancré dans nos cerveaux – que la libération, le progrès, l'ouverture, la modernité, que "l’avenir du genre humain est voué au mode de vie made in USA, [pourtant particulièrement] insane, schizophrénique, totalement aliénant et soumis aux exigences du capitalisme mondialisé, [mais] qui apparaît aux petits-bourgeois comme l’objectif suprême du progrès humain". Or, ce mode de vie, d'où tout idéal a disparu au profit d'un matérialisme consumériste effréné, ce mode de vie qui transforme nos enfants, adolescents et adulescents en zombies hébétés pendus à leurs téléphones portables, qui font la queue aux Wolverine, World War Z, Pacific Rim, American nightmare et autres Percy Jackson, sans parler des dessins animés aussi ineptes qu'agressivement laids ou des jeux vidéo aliénants et addictifs, personnellement, je n'en veux pas. Comme Cyrano de Bergerac, chez Rostand, j'ai envie de dire : "non, merci ; non, merci ; non, merci !"
On s'est fait rouler dans la farine, et on en redemande ; jusqu'à nos juges (dont on se demande s'ils ne sont pas stipendiés par les multinationales) qui veulent autoriser à nouveau le maïs OGM. Il est vrai que, pour compenser, on va multiplier les productions « bio » ou « sans gluten ». Cherchez l'erreur... Et nos élus, fascinés par le modernisme technologique – et les retombées financières attendues – veulent nous faire avaler les couleuvres du gaz de schiste ou des aéroports pharaoniques. À quoi bon un aéroport nouveau à Nantes si on ne peut pas s'y embarquer pour Israël et rendre visite à nos amis palestiniens ? À quoi bon risquer de nouveaux dégâts écologiques à long terme ? Il est vrai que pour les actionnaires, c'est : après nous, le déluge !
Et, pendant ce temps-là, les librairies crèvent. Et qui lit encore La Nouvelle Héloïse ou Gaspard de la nuit, pour ne citer que deux titres parmi tant d'autres ? Ils deviendront "des « classiques » dont on connaissait le nom, mais que seule une poignée d'universitaires et de curieux avaient vraiment lus", comme l'indique Jean-Pierre Ohl, dans son beau roman Monsieur Dick ou le dixième livre (Gallimard). Il est vrai qu'ouvrir son esprit à la littérature, à l'art, à la nature, à la belle musique, à l'amitié, à la spiritualité, à tout ce qui ne permet pas de rentabiliser son temps en espèces sonnantes et trébuchantes, ne relève pas de ce que nos maîtres nous imposent : consommer.

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