lundi 14 octobre 2013

14 octobre 2013 : il était une fois le cinéma... et l'ancien temps



Je ne lis jamais de poésie. Cela pourrait m'attendrir.

(Général Hindenburg, cité dans Robert Darnton, Apologie du livre, Gallimard, 2012)



un des livres d'artiste que collectionne l'amie Jocelyne


Je me souviens encore de mon premier film de cinéma, c'était, je pense, en 1953, je devais avoir donc sept ans et demi, et dans le village de ma tante, à Gouze (Basses Pyrénées, comme on disait à l'époque, aujourd'hui aucun département ne veut être bas, ni inférieur !) où je passais mes vacances d'été, le curé organisait des projections. C'était dans une espèce de grange attenant à l'église (ou dans les parages), nous étions assis sur des bancs, les petits (dont mon cousin et moi) devant et les grandes personnes derrière. Au-dessus des bûches de bois qui tapissaient le mur du fond, un drap avait été fixé contre le mur. On projeta Blanche Neige, je n'ai jamais oublié mon enthousiasme, à la vue des sept nains revenant de la mine, de la marâtre déguisée en sorcière, de la pomme empoisonnée, de la chute de la sorcière, et de Blanche Neige nettoyant la cabane des nains. Bref, j'étais devenu d'un seul coup adepte du cinéma. D'ailleurs, je n'ai jamais revu ce dessin animé, aucun de ceux de Disney qui ont suivi ne m'a semblé l'égaler (hors peut-être Peter Pan), je veux absolument en garder ma vision enfantine.


 nature morte chez mes amis d'Auch


Par la suite, il y a eu au lycée le ciné-club hebdomadaire, avec la découverte de beaucoup de grands classiques du cinéma, et les sorties au cinéma d'en ville sous la conduite des pions lors des sorties du jeudi ou du dimanche. J'étais désormais vacciné, et même addict comme on dit aujourd'hui. Je n'ai jamais cessé d'y aller, de fréquenter tous les ciné-clubs qui existaient à Bordeaux quand j'étais étudiant ; pendant ma seule année parisienne, j'ai écumé une bonne trentaine de cinémas différents ainsi que la cinémathèque, où il m'est arrivé d'y voir un film italien sous-titré en allemand ! J'ai passionnément aimé les films de genre, les péplums, les « cape et épée », les westerns, les films noirs ou à suspense, les comédies musicales, le burlesque (de Chaplin à Jerry Lewis en passant par Keaton, Laurel et Hardy, les Marx brothers, Jacques Tati), les films d'épouvante et fantastiques, de science-fiction, le néo-réalisme aussi bien que le réalisme poétique français, les films soviétiques ou suédois, les films de samouraïs, etc... Aucune catégorie n'a échappé à ma curiosité, ni aucun pays. Si certains passaient leurs journées ou leurs soirées au bistrot ou en boîte, moi, c'était les salles obscures qui m'attiraient plus que tout.

Et Claire m'y a longtemps accompagné. Dès leur plus jeune âge, j'y ai emmené mes enfants qui ont vu des films en version originale très tôt ! Maintenant que je suis vieux, que les ciné-clubs n'existent pratiquement plus, je découvre depuis 2010 le plaisir des festivals de cinéma : j'ai commencé par La Rochelle (quatre fois déjà), continué par Venise (trois fois), puis j'ai ajouté Montpellier, Pessac, Bordeaux aussi (Le Fifib, Festival du Film indépendant de Bordeaux) et maintenant voici que je viens de découvrir la magnifique programmation de celui d'Auch, intitulé Indépendance et création, proposé par le Ciné 32, que préside depuis plus de trente ans l'infatigable Alain Bouffartigue. Je me souviens d'une virée que nous fîmes, lui et moi, à Bordeaux vers 1979, à la recherche de diffuseurs et distributeurs pour le lancement du premier Ciné 32. Nous nous sommes revus avec plaisir.


le nouveau bâtiment du ciné 32 : cinq salles !


Invité par mes vieux amis d'Auch (là aussi, il y a eu une coupure de trente ans !), j'ai donc inauguré ce festival tout dernièrement, et j'ai passé quelques jours merveilleux, comme une de ces parenthèses enchantées qui nous marquent, dans une vie. Tous les films vus étaient dignes d'intérêt, certains excellents : la comédie sentimentale française 2 automnes, 3 hivers nous changeait des comédies à la française si souvent débiles ; l'afghan Wajma est une sorte de Marius et Fanny revue à la sauce des pays musulmans ; l'anglais Le géant égoïste se rapproche des films de De Sica (Sciuscia en particulier, qu'il m'a rappelé, car il s'agit aussi d'enfants et de chevaux) et il est d'un réalisme si noir que les films de Ken Loach deviennent tout d'un coup d'aimables bluettes ; le kurde My sweet pepper land montre la difficulté de l'entrée de la modernité dans un pays soumis aux lois ancestralement féodales ; le mexicain Rêves d'or souligne avec vigueur le désir de fuite des latinos vers le rêve américain (on peut mettre en rapport la traversée dangereuse du Mexique sur les toits des trains avec les pirogues et bateaux des immigrants africains vers l'Eldorado européen) ; l'argentin Le médecin de famille explore l'installation des criminels nazis réfugiés au temps de Peron ; le chinois A touch of sin nous montre de nouvelles facettes de la Chine contemporaine, où le communisme et le capitalisme cumulent leurs méfaits respectifs ; l'ukrainien La maison à la tourelle (au superbe noir et blanc) revient sur un épisode de la guerre de 1942 vue par les yeux d'un enfant ; le chilien Gloria narre les difficultés d'une femme vieillissante, confrontée à la peur de vieillir, à la peur de ne plus être désirable...

Une variété de films et de cinématographies, un choix exceptionnel. Un festival qui porte haut la petite ville où trône la statue de D'Artagnan en haut de la première volée de marches de l'escalier monumental. J'avais emporté mon vélo et j'ai pu circuler sur la voie cyclable qui longe les berges du Gers, revoir de près la pousterle (rue en escalier, dans le style des traboules lyonnaises) où habitait Claire quand nous nous connûmes. Un beau pèlerinage, en somme. D'autant plus que j'ai revu mes anciens collègues, Paul, le chauffeur du bibliobus et sa femme Mimi, chez qui j'ai déjeuné, avec Anne-Marie, une des bibliothécaires.
de gauche à droite, Anne-Marie, Paul et Mimi

C'était un autre temps, sans doute, et chargé de poésie : moi, au contraire des bouchers de 14-18, j'aime bien m'attendrir, et après leur avoir dédicacé mon livre, j'en ai lu quelques extraits...
           

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