mercredi 23 octobre 2013

23 octobre 2013 : bienvenue dans "Le meilleur des mondes"


3 novembre 1919 : j'en suis arrivé à la conclusion qu'il serait très agréable de vivre dans le monde que défend ce monsieur, surtout si l'on dispose d'une bonne rente.

(Josep Pla, Le cahier gris : un journal ; trad. Pascale Bardoulaud, Éd. Jacqueline Chambon, 1992)



Je parlais hier de l'intolérance, au sens de étroitesse d'esprit, qui pousse à ne pas supporter les idées ou comportements des personnes différentes. Sans doute la chose du monde la plus répandue, si l'on juge par le fanatisme (qui n'est pas que religieux ou philosophique), la rigidité, et en fin de compte le sectarisme qui débouche sur la haine des autres qui n'est souvent que la haine de soi et de sa propre incapacité d'ouverture au monde... L'intolérance est la marque de fabrique de tous ceux qui s'opposent aux amours illicites (films d'hier), à ceux qui rejettent le néo-libéralisme, ses plans sociaux, ses délocalisations et ses fermetures d'usines (on les taxe assez vite de "terroristes", alors que les patrons se qualifient de "pigeons" ou de "tondus", eux qui traitent les humains comme de la marchandise), à ceux qui veulent vivre différemment (je pense aux jeunes filles qui veulent porter le hidjab, ce qui est leur droit comme d'autres s'habillent en punk ou en gothique, ou à ceux qui choisissent un mode de vie sobre, à mille lieues de la consommation à outrance), aux trop nombreux SDF qui font la manche (mais aucun de nos gros investisseurs-propriétaires ne s'est jamais demandé s'il était légitime de demander des loyers exorbitants, et ne voit de lien de cause à effet entre lesdits loyers et le fait de vivre dans la rue), aux défenseurs de l'IVG (avec des méthodes fascistes d'intimidation), etc.

un espace de liberté : peinture murale à Belleville (Paris)


Il y a pourtant des choses qu'on ne peut pas tolérer : la marchandisation de l'être humain (femmes, hommes, enfants) par la prostitution, par exemple ; l'impossibilité de se loger correctement pour une bonne part de la population, source de misère et de violence ; la domination masculine ordinaire (qu'hélas, par souci d'égalité, des femmes copient à leur tour) que symbolise à merveille la citation suivante : "S'aimer, c'était regarder ensemble dans la même direction. Il lui avait sorti ça. Tu parles d'une direction ! Celle de monsieur, un point c'est tout" (Pascale Gautier, Les vieilles) ; les va-t-en guerre de tous bords (et d'abord, si on commençait par ne plus en fabriquer, des armes, et à supprimer ce commerce éhonté ? alors qu'il y aurait tant de choses utiles pour tout le monde à faire, dans les domaines sociaux, culturels, éducatifs, de fraternité et de service à la personne !) ; l'arrogance des puissants de tous bords (patrons, hommes politiques, stars des médias et de la technologie, etc.) ; la surconsommation des matières premières, qui ravage la nature et détruit peu à peu la vie ; la folle accumulation des marchandises qui nous réduit en passifs consommateurs ; la technicisation outrancière qui nous transforme en robots (encore hier, j'ai appris que désormais je devrai gérer moi-même mes emprunts de livres à la bibliothèque locale par un automate : adieu les contacts humains !) et nous laisse croire que tout n'est plus que problème technique à résoudre, même les catastrophes nucléaires passées et surtout (pour la France) à venir ; l'inéducation des jeunes générations asservies aux images et aux engins de toutes sortes, devenant captives et sans doute victimes de nos folies ("tout retour à des enfants simplement éducables relève du conte de fée lorsque le numérique est devenu notre seconde peau", lis-je dans la presse) ; les lois d'airain du capital et de l'économie de soi-disant marché, responsables de la paupérisation de notre quart-monde et de l'ensemble des pays du sud ; la folie télévisuelle, miroir déformé qui nous montre un monde idéalisé tellement éloigné des réalités concrètes vécues par la majorité qu'il attire chez nous des immigrés de partout, avides de vivre comme à la télévision ; la technologie portable (téléphonie, lunettes, montres, vêtements, véhicules, santé, directement reliés à internet, cigarettes électroniques ???) qui achève de nous déshumaniser et de nous rendre dépendants des sociétés multinationales, etc. Car aucun doute, nous sommes dépossédés de notre destin par la technologie moderne qui nous incite à nous connecter encore et toujours davantage : nous ne sommes plus libres, et de plus, ravis de ne plus l'être.

Bonjour, Le meilleur des mondes ! Tiens, à propos, relisons le livre de Aldous Huxley, il est tout compte fait plus proche de ce qu'on est en train de nous construire que le 1984 d'Orwell, trop encombré par sa critique du totalitarisme de l'époque. Vous comprenez pourquoi j'ai eu une sensation extraordinaire de liberté dans ma prison maritime du cargo, enfin débranché de tout. Et mon désir de retraite d'anachorète. Et mon admiration pour ceux et celles qui refusent cette fuite en avant, qui renoncent à la télévision, aux ordinateurs, à la voiture, à la sacro-sainte visite hebdomadaire en hypermarché. Je veux rester lucide !

le monde futur (selon moi)

Aucun commentaire: