mercredi 27 novembre 2013

27 novembre 2013 : 3 D : pas pour moi


Qui va là ?

Face à toute œuvre, qu'elle soit littéraire, plastique ou musicale, tout comme à l’intérieur de toute œuvre en train de se créer, se lève cette interrogation entre surprise et trouble.

Qui va là ?

Face à toute personne rencontrée, à tout visage, qu'il soit d'un proche ou d'un passant, d'un familier, d'un étranger, se formule cette demande, entre étonnement et inquiétude.

Qui va là ?

Face à soi-même soudain frappé, au détour d'un instant, par la flagrance et par l'inévidence de sa propre existence, d'un même élan, surgit en force cette question, entre stupeur et grande alarme.

Qui va là ?

Face à la mort, le questionnement monte à l'aigu et vibre à l'infini, entre mystère et effroi.
(Sylvie Germain, Céphalophores, Gallimard, 1997)


Ah, la 3 D ! tout un programme ! Ça me paraissait supportable, en tant que gadget quand c'était au Futuroscope (où il n'y avait que des gadgets, comme dans tous les parcs d'attraction) ou à la Géode de La Villette. À aucun moment, je n'y avais accordé la moindre allure artistique, je l'avais pris pour ce que c'était : un gadget. Imagine-t-on de regarder la Joconde ou un Van Gogh en 3 D ? il se trouve que j'ai vu en 2 D deux films qui étaient sortis en 3 D : Alice au pays des merveilles de Tim Burton, et le dernier Astérix au service de la Reine ; non seulement je n'ai rien perdu sur le plan artistique, car j'ai parfaitement vu tous les effets 3 D, mais j'ai gagné le prix des lunettes et le surcoût des films en 3 D, que je n'ai évidemment pas payés : car tout ça relève du commerce le plus bêta – en particulier pour les multiplexes, toujours à l'affût de nouvelles recettes extra-artistiques, pop-corn, boissons sucrées, jeux vidéo –, et non pas de l'art : et, pour moi, le cinéma est un art. Devant la baisse de la fréquentation, ces margoulins – poussés bien sûr par les actionnaires des « majors » de cinéma américaines – ont trouvé le bon filon, car la plupart des films en 3 D sont destinés aux enfants (films d'animation d'une laideur affligeante, que la 3 D ne doit pas arranger, et blockbusters pour gamins attardés, où ça bouge tout le temps) qui, habitués, en redemandent : on formate du spectateur. Et ça marche : ce sont ces films-là qui font le plus d'entrées, et qui ruinent un peu plus les familles à petit budget !
Il se trouve qu'en mars 2011, comme les cinémas avaient commencé à programmer des retransmissions numériques d'opéras, en direct ou enregistrés, j'ai eu la fantaisie d'aller voir au CGR de Poitiers Carmen, projeté en 3 D. Non seulement c'était moins convaincant en 3 D qu'en 2 D, mais j'en suis ressorti avec un mal de crâne pas possible. Car j'ai trouvé que ce relief-là, qui m'était imposé, n'était pas le mien ! Explication, trouvée sur internet (vous voyez que je ne suis pas contre le progrès) : "apparition éventuelle de troubles neuro-oculaires dûs à l’effort contre nature que la 3D demande à nos yeux. Un risque confirmé par le professeur d’optométrie américain Martin Banks (université de Californie à Berkeley), auteur d’une étude inquiétante sur le “conflit optique” qui fonde l’illusion de relief au cinéma". Mais ne pas s'inquiéter : nos chers bambins vont, avec ça, enrichir la profession des ophtalmologistes, comme avec leurs casques sur les oreilles, ils vont enrichir les ORL, et avec pop-corn et boissons sucrées les dentistes. À la sortie du cinéma, j'avais rempli le questionnaire en indiquant « plus jamais d'opéras en 3 D ». Je n'ai pas dû être le seul, car depuis, je n'ai jamais vu de retransmissions d'opéras programmées en 3 D.
De toute façon, lisons ce qu'en a dit un cinéaste, Christopher Nolan (dans Les Inrocks): « il m’est difficile de regarder un film en 3D et d’oublier que je regarde un film, surtout avec les lunettes et la fadeur de l’image, car on perd de la lumière. En plus, parler de 2D est un abus de langage. L’oeil humain voit en 3D. L’essence du cinéma et de toute prise de vues, c’est l’illusion en trois dimensions. On peut parvenir à des effets de profondeur incroyables avec les techniques déjà existantes […] Forcer à la 3D, j’appelle ça jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut préserver la qualité initiale de l’image avant toute chose. » Voilà, tout est dit : en feuilletant rapidement les commentaires de spectateurs sur des sites, tous disent qu'il y a par ailleurs une déperdition de l'image (les couleurs sont moins franches, moins vives, en 3 D), et souvent estiment s'être fait avoir.
Déjà, on peut estimer que la révolution du tout numérique, qui a succédé à l'obligation du passage au Dolby accompagné du bouleversement apporté par les multiplexes, ce qui avait sans doute boosté un temps la fréquentation, n'est en fait qu'un moyen de faire encore plus de profits pour quelques-uns (les grands circuits) au détriment de la diversité culturelle (les petites salles d'art et d'essai) et de la préservation de l’emploi (c'est bien connu, plus de profits = moins d'emplois) : rotation bien plus rapide des films, ouverture de la programmation à des spectacles divers (match de foot, opéra, spectacles comiques…), gestion resserrée (des centaines ou milliers d'emplois en passe d'être supprimés, essentiellement des projectionnistes, mais aussi les vendeurs de billets et caisses, puisque la billetterie dématérialisée est déjà là, il est vrai qu'on les transforme en vendeurs de pop-corn)… Non, tout ça ne me réjouit pas. Une réponse absolue, celle des cinémas Utopia, au slogan : « Cinéma garanti sans 3D ». Jusqu'à quand ?
Surtout quand on sait qu'en plus, le leader français des lunettes 3D (Eyes3Shut) n'est autre qu'un des dirigeants du Front National en Vaucluse. Quand on pense que les conseils régionaux, généraux et municipaux, souvent de gauche, ont subventionné les équipements de cinémas pour s'adapter à la 3 D, on en tombe le cul par terre : le sieur en question fait de la politique et se trouve subventionné indirectement par les aides publiques.
Jusqu'à quand, disais-je ? Car déjà les Utopia succombent aux sirènes et proposaient Gravity, en 2 D heureusement, que je suis allé voir, en tant qu'amateur de science-fiction. Résultat : rien à signaler. Un film dont il ne me restera rien (comme Matrix). Une bande sonore épouvantable, et c'est là, en particulier, que je situe l'artiste au cinéma. Quand Kubrick, pour son film de science-fiction 2001, choisit des musiques qu'on n'oublie pas, ici on avait envie de se boucher les oreilles ! Gravity n'est même pas mauvais, il est insignifiant : aucune réponse au « Qui va là », aucune « surprise », aucun « trouble », un film pour passer (perdre ?) le temps. À mon âge, je n'ai plus envie, ni au cinéma, ni en littérature, de gâcher le peu de temps dont je dispose. Et sur un thème voisin (la solitude devant l'infini), le récent En solitaire (malgré de graves défauts) était au moins empreint d'humanité. 

*          *         *         *          *         *           
         Ceci étant, je n'empêche personne d'aller voir des films en 3 D ni d'aller dans les parcs d'attraction, si on a de l'argent à dépenser et du temps à perdre : mais on ne m'y verra pas. J'ai d'ailleurs appris qu'un nouveau parc va être installé dans le département de la Vienne, qui va devenir décidément de plus en plus une « réserve » d'Indiens. Et je sais aussi l'utilité de la 3 D en microchirurgie et en modélisation, par exemple.


2 commentaires:

Unknown a dit…

Suis pas d'accord.
Mes petits enfants adorent la D et c'est magique pour eux de voir ces images. C'est le progrès Jean Pierre il faut aller de l'avant pour certaine chose. Et on ne peut pas aimer mais on peut donner son avis...

Or Pâle a dit…

Je refuse le progrès et j'ai pourtant l'âge de m'y inscrire largement. Je dois être "née quelque part" où si je veux du volume sous les yeux, je me couche sous un arbre et je regarde danser les feuilles au vent.
Merci pour votre article.
Or