dimanche 19 octobre 2014

19 octobre 2014 : Brésils : le sel de la terre


Il faut libérer la terre et l'homme pour que ce dernier puisse vivre sa vie de liberté sur la terre de liberté [...] Ce champ n'est à personne. Je ne veux pas de ce champ ; je veux vivre avec ce champ et que ce champ vive avec moi, qu'il jouisse sous le vent et le soleil et la pluie, et que nous soyons en accord.

(Jean Giono, Le voyage en Italie, Gallimard, 1953)



Après ma péroraison presque désespérée d'hier, il suffit de peu pour que je remonte la pente. La vision de deux films brésiliens (même si l'un est co-réalisé par un Allemand) m'a requinqué, comme quoi, ne surtout pas s'affoler.



Vous souvenez-vous de l'extraordinaire récit de Jean Giono, L'homme qui plantait des arbres ? Il faut toujours en revenir à Giono, l'écrivain français le plus pur du XXème siècle, et mon préféré. Cette courte nouvelle nous montre un berger qui, avant la guerre de 14, décide soudain de semer des glands sur une grande étendue de zones incultes. Le tout réussit admirablement, et une forêt finit par naître et croître, et conclut l'auteur : "Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l'âme de cet homme – sans moyens techniques – on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d'autres domaines que la destruction."




Je sais que ce simple extrait va faire hurler mes amis qui se prétendent athées : que diable Dieu vient faire là ? Laissons-les hurler, et voyons maintenant le superbe film de Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, intitulé Le sel de la terre (là encore une référence à l'Évangile de Matthieu, 5, 13 : "Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ?"), sorte de documentaire biographique sur le formidable photographe brésilien Sebastião Salgado, et de ses périples autour du monde à la recherche de l'être humain, sous toutes ses formes. Le film nous fait pénétrer au cœur du travail de l'artiste (j'ai pu voir l'an passé une exposition de ses photos à Paris), et du sens qu'il essaie de donner à ses images, grâce à ceux qui se laissent photographier : "c'est celui qui est photographié, qui vous offre la photo". On est frappé par le respect inouï du photographe envers les peuples qu'il a croisés, Papous, Sahéliens, Éthiopiens, Rwandais, Indiens du Brésil et du Mexique, ou peuplades du grand nord sibérien, et même envers les animaux ou la nature. Il a photographié la famine, les exodes, les tueries, la bêtise humaine et conclut que l'homme, tout en étant le sel de la terre, en est aussi la bête la plus féroce. Reprenant la ferme de ses parents pour se remettre des atrocités qu'il a vues (génocides au Rwanda et en Yougoslavie), il en découvre une autre : le paradis de son enfance n'est plus : les forêts ont disparu, et la terre desséchée est ravinée. Il décide de replanter des arbres et réussit le rêve de Giono, la forêt renaît : c'est même devenu un parc national. Libre à vous de trouver le film d'un optimisme béat... Il y a des béatitudes qui font du bien, et les photos de Salgado sont si belles. "La beauté sauvera le monde", nous dit le prince Muychkine, L'idiot de Dostoïevski. Croyons au moins à ça...


Photo de Salgado : la mine d'or (http://fotosix.wordpress.com/2011/08/24/le-photographe-humanitaire-sebastiao-salgado/)


Venant toujours du Brésil, un film d'animation, Le garçon et le monde, de Alè Abreu. C'est une sorte de fable politique sur le Brésil actuel, aussi merveilleux que terrible, vu à travers les yeux d'un jeune garçon, des champs de coton d'autrefois à l'industrialisation forcenée d'aujourd'hui et aux villes tentaculaires et inhumaines. Le dessin est minimaliste, quelques traits de couleur, des pastels, un bain visuel associé à une bande sonore exceptionnelle, qui fait appel à toutes les ressources de la musique brésilienne. Sinon, le film est muet, ce qui est formidable quand on pense à tous les discours nullissimes de l'animation hollywoodienne. Une jolie réussite qui s'adresse aux adultes et aux enfants éduqués, à partir de dix ans. 

 

Décidément, le Brésil est un pays qui m'attire et où j'irai volontiers quand j'en aurai fini avec mes voyages au long cours en cargo. J'ai lu quelques excellents écrivains de ce pays : Machado de Assis (essayez Dom Casmurro), Jorge Amado (tentez Bahia de tous les saints), Moacyr Scliar (ne loupez pas Le centaure dans le jardin), Graciliano Ramos (lisez Sècheresse), Clarisse Lispector (attaquez Passion des corps), Caio Fernando Abreu (nouvelliste hors pair), sans oublier José Mauro de Vasconcelos et son merveilleux Mon bel oranger, entre autres... Il y a des jours, comme ça, où je me sens brésilien (et où j'oublie qu'Offenbach se moquait d'eux dans La vie parisienne).

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