vendredi 28 novembre 2014

28 novembre 2014 : Un enfant est mort


 
La vie peut être libre et belle, mais nous nous sommes égarés. La cupidité a empoisonné l'âme humaine, elle a dressé dans le monde des barrières de haine, elle nous a fait marcher au pas de l'oie vers la misère et le massacre. Nous avons découvert le secret de la vitesse, mais nous nous sommes cloîtrés. La machine qui produit de l'abondance nous a appauvris. Notre science nous a rendus cyniques ; notre intelligence nous a rendus cruels et sans pitié. Nous pensons trop et nous ne sentons pas assez. Nous avons besoin d'humanité plus que de machines. Plus que d'intelligence, nous avons besoin de bonté et de douceur. Sans ces qualités, la vie ne sera que violence et tout sera perdu.
(Charles Chaplin, Le dictateur)


Encore un texte qui n,'est pas de moi et que je ne fais que relayer... Mais vous en comprendrez l'importance. Car, pendant ce temps-là, quand la misère s'étend, l'administration est indifférente, nos "grands" plastronnent...
Communiqué de plusieurs associations du 24 novembre 2014
 
Un enfant est mort.

Nous voulons saluer la mémoire de Magomedkhan, 11 ans, mort dans un parking, jeudi soir, et témoigner notre solidarité à sa famille.
Depuis son arrivée en France en 2009, avec ses parents fuyant les persécutions et demandant un Asile qu'on leur a refusé, Magomedkhan s’est retrouvé sans ressources avec sa mère et ses 3 frères.

L'urgence était pourtant criante :
- Une mère isolée avec 4 enfants mineurs dont un enfant lourdement handicapé ;
- Cette mère disposant d'une autorisation provisoire de séjour renouvelée tous les 6 mois ;
- Des documents délivrés par la préfecture, mais sans le droit au travail ;
- Cette mère sans aucune ressources ni allocations pour l'éducation des enfants ;
- Un hébergement d'urgence de 9m2 obtenus depuis peu, après de longues procédures.

Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir saisi, à de multiples reprises, les institutions concernées  pour obtenir la carte de séjour qui aurait pu permettre à la famille de stabiliser sa situation, un hébergement dans un CHRS, le droit pour l'enfant handicapé à pouvoir bénéficier d'une aide matérielle....

C'est dans ces conditions que la famille n’a jamais pu poser ses maigres valises dans un endroit stable et sécurisant alors que l'association Habitat et Citoyenneté a alerté les services sociaux sur la nécessité impérieuse d'obtenir une place dans un centre d'hébergement et de réinsertion.

Jamais Magomedkhan n'a eu droit à un bout de chambre à lui, ni à un bureau pour faire ses devoirs, ni à des repas assurés chaque jour, encore moins à des loisirs.
Malgré cela, il a beaucoup investi dans l’école, seule institution accueillante.

Depuis ses sept ans, le petit Magomedkhan faisait le traducteur de toutes les démarches administratives de sa mère, de ses frères ; il accompagnait sa mère dans les hôpitaux, celle-ci n'ayant jamais eu le temps de se rendre à des cours de français, ne pouvant laisser seul l’enfant malade.

Magomedkhan attendait le soir que la boulangerie du quartier ferme pour rapporter le pain non vendu à la maison et cela, tout le monde le savait.
Seules les associations humanitaires et militantes ainsi que des citoyennes bénévoles ont apporté leur aide à cette famille, pour se nourrir, se vêtir ....

Magomedkhan, enfant lumineux et joueur en dépit de tout, comme tous les enfants, avait besoin de loisirs. Il a grandi trop vite comme la plupart des enfants dans sa situation, enfant d'étrangers fuyant des pays où leur vie ne vaut pas cher.
Ce soir-là, il était sorti retrouver des copains… pour oublier ?  pour respirer ? pour avoir un peu d'espace ?
Sa mère a bien essayé de le joindre au téléphone mais…
Ce n'est pas seulement une bombe aérosol qui a tué Magomedkhan, ce sont surtout les violences institutionnelles subies par sa famille en contradiction totale avec la CIDE (Convention Internationale des Droits de l'Enfant) dont nous venons de célébrer l'anniversaire.
L'intérêt supérieur de l'enfant dont parle cette Convention signée par la France, ce n'était pas pour lui, ni pour ses  frères, ni pour tous les petits Magomedkhan qui grandissent dans notre beau pays.

Premiers signataires :
ADN ; Amnesty International Nice ; CIMADE ; COVIAM ; Habitat&citoyenneté ; LDH Cannes ; LDH Nice ; MRAP ; RESF 06 ; Secours Catholique ; …

jeudi 27 novembre 2014

27 novembre 2014 : Poitiers, les Arabes et nous

Comme je m'absente pour quelques jours, je n'ai pas le temps d'alimenter directement mon blog.
Je vous propose de méditer sur un texte de René Naba :

La bataille de Poitiers n’a sans doute jamais eu lieu

 

Poitiers, haut lieu de la controverse coloniale, dispute à Toulouse le lieu d’une mythique bataille, qui n’a sans doute jamais eu lieu, en tout cas certainement pas à Poitiers, si tant est qu’elle ait jamais eu lieu, qui nourrit néanmoins la légende française et son cortège de fantasme. Mais nul ne l’ignore, toute conscience se pose en s’opposant et ceci pourrait expliquer le fait que Poitiers se revendique comme un fait d’armes français… virtuel. Maigre consolation pour une puissance d’empire en voie inexorable de relégation à l’échelle des Nations, au moment où l’Islam se hisse au deuxième rang des grandes religions de France.
La vérité historique commande toutefois de le proclamer urbi et orbi : La guerre de Poitiers n’a sans doute jamais eu lieu. Plus prosaïquement, à l’annonce du décès du calife, le prince Abdel Rahman leva le siège de Poitiers pour retourner en Andalousie participer à la guerre de succession. Au terme de l’hiver, Charles Martel constata la levée du siège, trois mois après le départ des troupes arabes. Plein d’étonnement et d’incrédulité, il poussa un cri de soulagement si fort que ses partisans l’assimilèrent à une victoire. Quant à l’exploit de Toulouse, il a consisté à pourchasser les traîne-savates de l’arrière-garde arabe à leur passage dans la région Midi-Pyrénées. Un fait d’armes glorieux qui relève davantage de la gloriole. Rendons donc grâce néanmoins au Prince Abdel Rahman, le chef des troupes arabes, d’avoir donné prétexte à Poitiers, et à Charles Martel, le Maître de céans, de forger la conscience française et son identité nationale, sur la base d’un anti-arabisme primaire. Sans se douter que treize siècles plus tard, les Arabes voleront au secours de la France – à deux reprises au cours du XXe siècle, fait unique dans l’histoire – pour préserver son intégrité, sa souveraineté et sa dignité, sans qu’il soit question à l’époque de seuil de tolérance, de charters de la honte ou d’aspersion nauséabonde, mais de sang à verser à profusion.
Treize siècles après, que reste-t-il de ce fait d’armes ? Poitiers est devenu un haut lieu du tourisme, grâce à la reconstitution du site du champ de bataille, sa vie universitaire menacée par un nouveau barbare, Jean Pierre Raffarin, l’ancien premier ministre centriste, artisan des délocalisations universitaires vers sa bourgade de Chasseneuil-du-Poitou, Charles Martel, une marque de bière, très prisée par les soiffards du Front National, 732, un éphémère code secret de l’attaché-case de Bruno Gollnisch, l’éternel postulant au magistère de la formation d’extrême-droite. Dérisoire ambition, s’il en est, au regard de la légende, de l’histoire, et, surtout de la passion que ce fait a suscité dans l’imaginaire français. Et aux côtés de la superbe cathédrale de Poitiers, dans l’enceinte même de ce qui devait être le périmètre de défense de la cité, se dresse désormais une superbe Mosquée, préfiguration sans doute de la convivialité islamo-chrétienne et franco-arabe. Au grand dam de Brigitte Bardot et des nostalgiques de l’Empire français. Tout cela pour cela ?
La France baigne dans son legs colonial, sans toutefois vouloir l’admettre, sans peut-être s’en rendre compte. Ses villes et villages en portent l’empreinte et sa langue en est imprégnée, à l’insu des Français, d’une manière impensée.
Très peu savent que Ramatuelle, rieuse bourgade du sud de la France, tire son origine d’une action de grâce des migrants infidèles arrivant à bon port, invoquant la miséricorde de Dieu (Rahmatou Llah), Carcassonne, d’une reine arabe (Karkachouna). Que la France communique avec l’extérieur par le truchement (tourjoumane, interprète) de ses diplomates. Que les Field Medal décernés à ses mathématiciens résultent de leur maîtrise de l’Algèbre et du Logarithme (al jabr, al khawarizmi), que les grades de l’armée française empruntent à l’ordonnancement arabe de l’Amiral (Amir al Bahr, le seigneur des mers), au capitaine (Al Qabda-la poigne et par extension Qobtane, l’homme qui assure la maîtrise). Que le meilleur coup de colère, enfin, n’est jamais mieux exprimé que dans le langage du bled (al bilad, le pays), surtout lorsqu’on vous casse les glaouis, suscitant, en retour, une envie de les niquer, sans doute le terme le plus usité de la langue française, devant les exorbitants droits de douanes (diwan, canapé installé à l’entrée des villes pour prélever les taxes), dont on aimerait être exonéré, de même que les honoraires du psychanalyste après passage sur son divan, sauf à recourir à l’alcool (al kouhoul) pour soigner les blessures du corps, de même que les blessures du cœur, à moins d’y célébrer l’alchimie (al kimia’) de la belle symbiose linguistique franco-arabe.
La France a un sérieux problème de mémoire, dont elle veut se jouer, en occultant ses aspects hideux, qui se jouent finalement d’elle. Des embardées répétitives comme autant de remugles mal digérés de l’histoire tourmentée de ce pays, qui expliquent les dérives du débat public en France. Le seul pays qui soit traversé périodiquement par le débat sur l’identité nationale, signe patent d’une pathologie mémorielle.

Pour lire la suite : http://www.renenaba.com/la-controverse-de-poitiers-1-2/


vendredi 14 novembre 2014

14 novembre 2014 : inventer sa vie


nous avons tous besoin de gens qui sortent des chemins battus, qui vivent leur vie à peu près comme bon leur semble et qui s'inscrivent en faux contre la normalité conformiste et étriquée – à partir du moment où cela n'entrave que très peu la liberté des autres. Nous avons besoin d'hommes et de femmes excentriques, fantaisistes et farfelus pour nous rappeler que nous pouvons vivre, penser et sentir différemment, que la vie que nous menons n'est pas la seule possible.

(Björn Larsson, Besoin de liberté, Seuil, 2006)



J'ai conscience de me comporter moi aussi de manière un peu excentrique, voire farfelue, comme le signale Björn Larsson dans son livre magistral cité ci-dessus (et écrit directement en français, s'il vous plaît). Je reviens en effet d'un de mes vagabondages usuels : il est rare que je reste un mois sans partir, sans « mourir un peu » donc. Je ne compte plus les nombreux déménagements de ma vie d'adulte – il est vrai que ma vie d'enfant était déjà comme ça, que ma grande admiration de l'époque allait aux bohémiens, aux gitans, à ceux que je voyais courir les routes, avec leurs chevaux et leurs roulottes, et à ce qui me semblait une liberté merveilleuse, celle des héros de Sans famille. Inversement, j'ai toujours éprouvé – et ça s'aggrave au fil du temps – une aversion contre ce que Larsson appelle la "normalité conformiste et étriquée". Et donc contre ceux qui suivent ces normes dictées par la mode et la satisfaction béate de vouloir être et faire comme les autres.

Deux documentaires récents me montrent le meilleur de l'humanité : Les ondes de Robert et Anaïs s'en va-t-en guerre. Je ne dis pas que les « héros » de ces films sont des saints ni des modèles, ni qu'ils sont exempts de défauts. Mais ils ont une qualité, essentielle à mes yeux : ils inventent leur vie. Ce qui veut dire qu'ils vivent dans la difficulté de se heurter au conformisme ambiant, parfois dans la précarité et le doute, mais qu'ils sont libres. Et je les admire.

Robert, je le connais personnellement depuis 1976. Je l'ai découvert faisant du stop sur le bord de la route, entre Toulouse et Auch, il est monté à bord, on a sympathisé. Ce tout jeune homme allait faire dans une ferme gersoise son apprentissage de berger. Je l'ai fait manger, on a discuté de la vie et de la société, du travail et des livres, de la beauté et de la tristesse, bref je l'ai hébergé pour la nuit, et le lendemain matin, fait un détour pour l'amener dans sa ferme. On ne s'est jamais perdu de vue, je le revois de temps en temps (je suis passé chez lui lors de ma cyclo-lecture de 2008, cf mon blog, aux pages des 13 et 14 avril 2008) et, la dernière fois, je savais qu'on tournait un film sur lui. 



Le film est fini (on peut commander le dvd à : http://www.docks66.com/en-distribution/les-ondes-de-robert/). Robert, le berger magnifique, a choisi de vivre dans des cabanes surprenantes, tout en bois, et construites de ses mains. Sa vie se fonde sur l'essentiel, le respect de la nature et de son petit troupeau de chèvres, auxquelles il a joint des lamas (moment savoureux du film quand il dit : « Y en a qui ont une piscine, moi, j'ai mes lamas ! Y en a qui ont une voiture décapotable, moi, j'ai mes lamas ! »), à la suite d'un voyage au Pérou. Il aime les gens, le contact, le rythme des saisons, et par-dessus tout la liberté. Il pourrait faire sienne une autre des phrases que j'ai relevée dans Besoin de liberté : "Je n'ai pas de vocation d'ermite ou de moine, même si certaines de mes connaissances voudraient le croire et l'ont cru. Je me réserve seulement le droit de choisir ma compagnie. Je ne vois pas où est le mal." Il nous force à nous demander ce qui compte réellement : notre frénésie de consommation, destructrice non seulement de la nature, mais aussi du sens de l'humanité et de la solidarité, ou la sobriété de vie, respectueuse du cosmos ?



Anaïs, elle, jeune femme de vingt-quatre ans, se lance dans la culture des plantes aromatiques. Marion Gervais, la réalisatrice, la suit pas à pas, en train de défricher, de sentir les plantes (l'odorat, tellement oublié aujourd'hui, est essentiel), de se battre pour obtenir des terres à cultiver, et nous montre une jeune femme déterminée, fondamentalement libre, comme Robert, et qui pourrait, qui devrait faire rêver les lycéens agricoles, aussi bien que les prisonnières de la prison de femmes de Rennes (où elle est allée présenter son film), tant la volonté tenace, la force de caractère d'Anaïs démontrent une autre phrase de Björn Larsson : "Pour être libre, il faut être à la fois réaliste, ancré dans le monde réel, et rêveur, pour ne pas être la victime involontaire du monde réel", ce que sont en fin de compte les prisonnières, aussi bien que ceux et celles qui sont fascinés par la société de consommation et par le Veau d'or. J'ai eu la chance de voir ce documentaire lors de mon passage en Bretagne (merci, Christine, de m'y avoir emmené !). Et de découvrir en Anaïs une émule de Robert, aussi bien que de Hadrien Rabouin, dont je vous ai déjà parlé (cf 16 février 2012).

Besoin de liberté, un livre exceptionnel, Les ondes de Robert et Anaïs s'en va-t-en guerre, deux films documentaires qui en sont l'illustration presque parfaite. Inventer sa vie, n'est-ce pas un beau programme, plutôt que de se couler dans des moules qui ne nous conviennent pas ?

mercredi 5 novembre 2014

5 novembre 2014 : Juan


Quand je ne pourrai plus agir, j'espère que j'aurai perdu la volonté d'agir. Et puis, on s'effraie de l'âge avancé, comme si on était sûr d'y arriver. On ne pense pas à la tuile qui peut tomber du toit. Le mieux est de se tenir toujours prêt et de jouir des vieilles années mieux qu'on a su jouir des jeunes. On perd tant de temps et on gaspille tant la vie à 20 ans ! Nos jours d'hiver comptent double ; voilà notre compensation.
(George Sand, Lettre à Joseph Dessauer, 5 juillet 1868, in Lettres d'une vie, Gallimard, 2008)


Voilà, je vais encore m'absenter de Bordeaux pendant six jours ! Je vais faire escale à Poitiers (voir mes amis Georges, Odile et Gilles), Vannes (revoir mon amie Christine), puis Angoulins-sur-Mer (chez mes amis Yolande et Marc). Je pars demain matin, accompagnant à la gare mon jeune Colombien Juan, qui me quitte pour aller continuer ses études musicales de cor à Strasbourg. Pendant quatorze mois, il aura été un compagnon qui m'a permis de n'avoir pas à penser à m'effrayer de l'âge avancé que signale George Sand dans sa lettre ci-dessus. D'une certaine façon, cette année de cohabitation aura compté double, effectivement, voire même m'aura rajeuni, tout autant que l'exercice renouvelé du vélo, la pratique de l'amitié ou ma participation à des festivals de cinéma. Sans compter mes lectures. Je n'ai jamais autant lu que depuis deux ans, écumant ma propre bibliothèque (livres papier et ceux enregistrés sur ma liseuse, bien utile quand je suis sur les routes), celle de mes amis ou de ma famille, les livres de la médiathèque de Bordeaux et ceux de la bibliothèque universitaire de Poitiers (dont j'ai encore une carte de lecteur) : ma soif de lecture, comme ma soif de justice sociale et de fraternité, sont loin d'être étanchées. Tant que j'aurai des yeux ! Tant que j'aurai un cœur !
Juan est en train de parachever ses préparatifs de départ. C'est qu'il en avait entassé, des choses. Et qu'il est lourdement chargé, ne serait-ce que par son cor, instrument énorme et encombrant qui occupe un sac à dos spécial. Il aura une valise à roulette, un autre sac à dos et, à la main, deux sacs en plastique dans lesquels il va transporter ses quatre poissons rouges. Il est allé tout spécialement à l'animalerie les faire insérer dans ces sacs remplis d'oxygène et dans lesquels ils sont censés survivre vingt-quatre heures. 



 on devine les poissons, deux dans chaque sac !

Il ne peut pas tout prendre et va encore laisser ici des bagages dans ma cave. Soit je ferai un saut à Strasbourg pour les lui porter (j'ai plein de points acquis avec ma carte SNCF senior et pourrai faire l'aller-retour quasi gratuitement), soit je trouverai un transporteur, soit il reviendra à Noël ou à Pâques (il laisse par exemple ses vêtements d'été dont l'usage dans la froidure hivernale alsacienne semble inutile).
Aucun doute : ça va me faire drôle pendant quelque temps. Même si j'irai souvent voir ma sœur rentrée chez elle, continuerai à me déplacer à Poitiers (car Georges et Odile ne rajeunissent pas), et ne négligerai aucune occasion de sortie. Je me suis inscrit à un atelier d'écriture, à un voyage d'une semaine à Marrakech en décembre avec un groupe bordelais pour un autre Festival de cinéma. Bref, je vais encore faire des rencontres. Et pourtant, la solitude, c'est assez mon truc. Mais je me rends compte qu'au fil des années je suis devenu également très sociable. Et lire ou regarder des films est aussi une forme de sociabilité : je les aime, mes auteurs et mes cinéastes, même si je ne connais que leurs mots sur du papier ou leurs images sur un écran, ils me portent, ils m'élèvent, ils me nourrissent, ils me rappellent mes chers disparus et me permettent de communiquer avec eux à l'occasion : « Tiens, ce roman aurait plu à ma grand-mère, ce poème aurait fasciné Claire, cet autre me fait penser à Monique et à Sylvie, deux amies bibliothécaires tragiquement disparues, ce film aurait transporté Igor, etc. »
Juan aura été une lumière dans l'hiver de ma vie. Déjà je songe à aller me balader par là-bas – je connais déjà Carthagène par mon voyage en cargo, et j'y repasserai à nouveau fin janvier – voir sa famille, je sais que j'y serai extraordinairement bien accueilli. Peut-être même vais-je me mettre à l'espagnol, c'est dire, moi qui ai toujours été minable en langue étrangère.

 Juan devant le lavabo qui contient les sacs à poissons

Bon vent, Juan ! Deviens un bon musicien et n'oublie pas tes jours bordelais...

mardi 4 novembre 2014

4 novembre 2014 : Cinéméd 2014 Montpellier


je n'ai pas encore bien compris si c'est nous qui traversons le temps ou si c'est le temps qui nous traverse. C'est-à-dire : si c'est nous qui passons tandis que le temps demeure immobile, ou bien si c'est le temps qui passe tandis que nous sommes immobiles.

(Antonio Tabucchi, Autobiographies d'autrui, trad. Lise Chapuis, Bernard Comment, Seuil, 2002)




Je reviens de Montpellier, où j'ai participé à un Festival Cinéméd exceptionnel. Pratiquement, tous les les films vus étaient de bonne facture, quelques-uns excellents, trois au moins des chefs-d’œuvre, mot que je ne galvaude pas en principe.




En premier lieu, deux « classiques » du cinéma, que je n'avais jamais vus : La cité des femmes de Fellini, comédie féministe déjantée (et macho aussi) qui reste largement d'actualité, et Le bourreau de Berlanga, comédie noire sur la peine de mort et qui en démontre l'inanité par l'absurde : la force du film est telle que Berlanga fut interdit de cinéma pendant dix ans par le régime franquiste !

Ensuite, la perle du Festival, qui a raflé tous les prix, celui du jury, celui de la critique et celui du public (ce genre d'unanimité me paraît souvent suspect, mais là, je m'incline), et qui sortira en salle le 24 décembre, comme un merveilleux cadeau de Noël : La terre éphémère, du Géorgien George Ovashvili. Ça se passe sur le fleuve Inguri, qui forme la frontière entre la Géorgie et l'Abkhazie. Au printemps, les alluvions se condensent pour former des îles éphémères qui durent tout l'été et sont ensuite emportées par les pluies d'automne. Mais les paysans tentent de s'y implanter momentanément pour y cultiver du maïs. On suit donc un vieux paysan qui vient repérer les lieux, puis apporter ses outils et de quoi construire une cabane (voilà qui plairait à mon ami berger de l'Ardèche), avant de planter du maïs, avec l'aide de sa petite fille, une adolescente de quatorze ans qu'il élève. Sur le fleuve, passent de temps en temps en temps des gardes-frontières géorgiens ou des soldats russes, ou un fugitif blessé, car le conflit avec l'Abkhazie est toujours là. On suit donc les deux personnages principaux dans ces jours et ces semaines rythmés par les travaux des champs, la consolidation de l'île, les rares conversations (car ce sont des taiseux). Les paysages sont magnifiques, il n'y a pas une image de trop, les gestes, les visages, la nature, tout est admirablement observé. On est époustouflé devant la beauté, comme toujours. Espérons que ce sera un succès, et on peut y emmener les enfants, à partir de dix ans, car eux aussi (eux surtout) ont besoin de cette beauté pour se former esthétiquement. J'irai le revoir à sa sortie, il entre déjà dans mon panthéon personnel !

Mais j'ai découvert aussi le cinéaste italien Antonio Pietrangeli, dont on passait une rétrospective, avec notamment un superbe Cocu magnifique, avec Ugo Tognazzi. Et puis, il y avait, comme toujours, des films de tout le pourtour méditerranéen : un beau documentaire français sur la Bosnie (Karmen – Les pierres, de Florence Lazar), une flopée de films grecs dont je reparlerai quand ils sortiront (mais parmi lesquels l'inénarrable parodie de science-fiction L'Attaque de la moussaka géante, on était mort de rire), deux très bons films marocains (Adios Carmen et Le veau d'or), une ribambelle de films venant d'Espagne, d'Algérie, de Tunisie, de Turquie, d'Israël et de Palestine, de Syrie, du Portugal, etc.

Outre ma famille, cousins, sœur, beau-frère et nièce, j'ai fait aussi de très belles rencontres, dont Robin des rues (voir sur le site http://www.hautcourant.com/Le-Robin-des-Rues,1697), avec qui j'ai longuement discuté, et un handicapé sur fauteuil roulant électrique à qui j'ai apporté mon secours pour qu'il puisse sortir de l'argent d'un distributeur, sur sa demande, car m'a-t-il expliqué, « je peux insérer la carte, mais je ne peux pas appuyer sur les touches trop hautes de RETRAIT ni du montant, je peux seulement taper mon code, et je ne peux pas retirer ma carte, c'est trop dur ». Il a donc inséré sa carte, j'ai appuyé sur RETRAIT, il a tapé son code, j'ai appuyé sur la touche 20 €, puis j'ai retiré la carte. Pareillement, on a longuement conversé ensuite... Il partait à Sète en train pour participer à des compétitions handi-sport. Il m'a confié la galère que c'était avec le nombre de lieux publics inaccessibles aux fauteuils roulants sans aide extérieure... Pourtant la loi prévoyait que tous devaient l'être en 2015. Selon lui, la date va être repoussée aux calendes grecques. 
Le temps serait-il immobile ?


samedi 1 novembre 2014

1er novembre 2014 : textes du mois, pas de moi


Ils croyaient peut-être, comme bien des gens, que ce qu'ils voyaient à la télé était plus important que les choses de la vraie vie.
(Jacques Poulin, Les yeux bleus de Mistassini, Actes sud, 2011)


Le temps que l'on met à se déplacer d'un point à un autre est souvent un temps un peu ingrat, que l'on souhaiterait raccourcir au bénéfice d'autres activités. D'où l'appétence pour des moyens de transport de plus en plus rapides. Mais au fur et à mesure que les moyens de transport rapides se développent, le monde se reconfigure en fonction d'eux. Les lieux d'habitation, de travail, de loisir, où l'on peut faire ses courses, s'éloignent les uns des autres, dans des proportions telles qu'au bout du compte, nous passons plus de temps à nous déplacer d'un lieu à un autre que nos ancêtres qui allaient à pied ou en carriole. L'automobile, en se perfectionnant et en se généralisant, ne fait pas qu'augmenter notre pouvoir d'action, elle le diminue aussi, en ruinant la possibilité de vivre en ne se confiant qu'à ses jambes. De plus, pour un grand nombre de personnes, une bonne partie du temps de travail sert à gagner l'argent qui permet d'acquérir et d'entretenir le véhicule nécessaire pour aller travailler.
[...]
Il y a un paradoxe qui donne à penser : depuis deux siècles, un activisme inouï a été déployé pour transformer le monde et le rendre plus conforme aux attentes de l'être humain. Et aujourd'hui, c'est l'être humain qui est sans cesse sommé de s'adapter au monde tel qu'il va.
Olivier Rey : La perte de la mesure (in La décroissance, n° 114, novembre 2014, p. 3-4), extraits.