mercredi 20 mai 2015

20 mai 2015 : le nouveau réalisme du cinéma français


l'incompréhension des gens à mon égard et les questions stupides. « Vous êtes au chômage ? Ça ne vous manque pas trop le travail ? C'est dur pour un homme de ne pas avoir à s'occuper... »
(Éric Pessan, L'effacement du monde, La Différence, 2001)


On accuse souvent le cinéma français de ne refléter que fort peu la réalité du pays, de se complaire dans de grasses comédies ou dans du nombrilisme parisianiste. Voici coup sur coup deux films présentés à Cannes et déjà sortis en salles qui ne peuvent pas être chargés de ces défauts. Deux films sérieux, intenses, qui nous touchent.
 
La tête haute conte l'histoire d'une jeune garçon, Malony, orphelin de père et dont la mère, bien qu'aimante (Sara Forestier, formidable), est trop irresponsable pour que la juge des enfants (Catherine Deneuve) le lui laisse. Dès six ans, il va en famille d'accueil. À seize ans, il est devenu ingérable : il conduit illégalement des voitures qu'il vole (sa mère dit qu'il « conduit comme un Dieu » !). La juge lui donne le choix entre une mise à l'épreuve et la prison. Est-il irrécupérable ? Il est placé dans un centre éducatif à la campagne, et suivi par un éducateur, Yann (Benoît Magimel). Il faudra encore pas mal de péripéties pour que le jeune homme retrouve un peu de confiance en lui, aidé par la rencontre d'une jeune fille et par l'affection que lui portent Yann, aussi bien en fin de compte que la juge pour enfants. La fin est très émouvante (j'ai dû sortir mon mouchoir), quoique sans doute un peu trop idyllique. Ce film dresse un beau portrait su service de protection de l'enfance, qu'il faut défendre à tout prix, car tout vaut mieux que la prison pour ces jeunes déboussolés, qui en ressortent en général pires qu'ils n'y entrent. Le jeune Rod Paradot mériterait un prix d'interprétation ! J'avais aimé modérément le précédent film d'Emmanuelle Bercot, Elle s'en va (à cause d'une scène grotesque d'amour physique) ; ici, pas de fausse note. 
Un film à la Kenneth Loach, ce qui est rare dans le cinéma français !
La Loi du Marché 
La loi du marché conte l'itinéraire chaotique de Thierry (Vincent Lindon, exceptionnel), la cinquantaine, ex-ouvrier sacrifié au bénéfice des délocalisations ou des actionnaires, et qui a du mal à se recaser, entre formations bidons proposées par Pôle Emploi et sales boulots. On suit son parcours difficile : discussions avec un conseiller de Pôle Emploi, ou avec ses ex-compagnons d'atelier qui veulent faire un procès à l'entreprise (Thierry, lui, ne veut plus en entendre parler, il veut tourner la page), entretien inhumain et scandaleux par skype avec un embaucheur potentiel, jeu de rôle sur « comment bien se vendre à un futur employeur », humiliation avec la conseillère bancaire. Il finit par dénicher un emploi de vigile dans un hypermarché : là, il va s'agir de fliquer les clients les plus pauvres, aussi bien que les caissières indélicates (car, à défaut de délocaliser, l'entreprise cherche à virer du personnel en surplus). Voilà un film qui brasse les questions de société, avec finesse, intelligence et qui pointe du doigt « l'horreur économique » que stigmatisait il y a déjà bientôt vingt ans la grande Viviane Forrester dans un livre admirable. Parallèlement, le film montre, au travers du héros, la dignité des humbles, contraints de conserver leur bon sens, leur humanité pour ne pas péter un câble. Le film est construit en longues séquences qui donnent une durée singulière et affinent, parfois jusqu'au malaise, les nuances que Stéphane Brizé a voulu apporter. Après Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps, voici de nouveau un très bon film de ce réalisateur. Je crains pourtant que le thème refroidisse les gens d'aller le voir : difficile de lutter contre les mad maxeries et autres avengeries débilitantes !
Ici aussi, on n'est pas loin de Kenneth Loach.

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