Ne
cherche pas à faire que les événements arrivent comme tu veux,
mais veuille les événements comme ils arrivent, et le cours de ta
vie sera heureux.
(Epictète,
Manuel)
sur une île du chenal qui mène à Savannah : une prison
Mais
tout voyage a une fin, qui peut d'ailleurs dans le cas du voyage de
la vie être la mort – et du reste, nous savions que si cette
dernière nous surprenait inopinément, nous ne serions pas jetés à
la mer comme nous le désirions, et comme ça se passait autrefois,
mais placés dans la chambre froide pour être remis aux familles
(éplorées ? Je ne sais pas, sans doute, mais une bonne partie
ne manquerait pas de s'exclamer : « Je lui avais bien dit,
qu'allait-il faire dans cette galère, à son âge, loin de tout
médecin et hôpital ? ») pour des funérailles en terre
ferme.
Après
Panama, il y eut trois escales avant Dunkerque : Savannah, de
nouveau, Philadelphie et Tilbury. Nous n'avons pu descendre qu'à Philadelphie, où j'ai malencontreusement laissé à bord mon appareil de photo !
vu du hublot de notre coursive (deck E) : la côte
Extraits du Journal de bord
29
mars : Beau temps sur
Savannah (pour l'instant), mais température ultra-basse : 2°
sous abri. Formalités relativement longues, et ensuite attente
interminable d'un taxi. À 11 h, après une heure d'attente venteuse
et glaciale, nous abandonnons et remontons : c'est dimanche, ce
qui explique peut-être l'absence de taxi. Et la ville est loin. Par
ailleurs, on ne sait pas comment ils ont fait leur compte en amarrant
le cargo, mais impossible de descendre l'échelle de coupée jusqu'au
quai, elle reste bloquée à mi-hauteur par une bitte d'amarrage !
Enfin, le cargo se regarnit en victuailles de toutes sortes : légumes,
fruits, viandes, poisson, boissons. Le transport jusqu'aux cambuses
et chambres froides est délicat, avec l'échelle de coupée si
bizarrement placée.
les centrales nucléaires se ressemblent !
1er
avril : 39°16 de latitude N, 75°20 de longitude W, nous sommes
dans le chenal qui mène à Philadelphie, nous passons à côté
d'une centrale nucléaire. Il fait beau et très frais : 0°
sous abri côté ombre sur l'aile bâbord de la passerelle, 17°
seulement dans la passerelle. Ma cabine est devenue fraîche aussi.
12
h 45 : nous sommes à quai. La ville n'est pas loin, paraît-il,
mais je ne l'aperçois pas. Nous avons eu une excellente soupe de
crevettes et une merveilleuse salade variée, porc, riz et carottes.
J'ai gardé la pomme pour plus tard.
départ de Philadelphie le lendemain matin
Après-midi :
ici, pas de formalités administratives, elles ont été faites à
Savannah. Vers 13 h 45, nous avons le feu vert de sortie. Nous disons au revoir
à Jean-Guy, qui rentre au Québec, et prenons la navette qui nous emmène à la porte de
sortie (gate) du port. Avec notre carte de membre du cargo, nous
sortons. Nous faisons appeler un taxi, puis voyons sortir un paquet
de plusieurs membres d'équipage (deux Européens et cinq
Philippins). Le taxi n'arrivant pas, nous nous joignons à eux pour y
aller à pied. Décidément, pas de chance avec les taxis, puisqu'à
Savannah, nous n'avions pas pu sortir par absence de taxi (et de
navette). Ici, James, un des Philippins du bord dans
l'impossibilité de sortir, m'avait chargé de lui faire quelques achats en
pharmacie. Bruno, lui, voulait faire débloquer son i-phone, que la
malheureuse introduction d'une carte sim internationale avait bloqué.
Au
bout de deux kilomètres à pied, nous déboulons dans une zone
commerciale. Dans un supermarché d'appareils de télécommunications,
Bruno trouve son bonheur avec un vendeur qui lui permet de se
connecter sur internet et de débloquer sa machine – il n'a pas
compris comment, d'ailleurs, mais il y est arrivé ! Plus loin, après être entré dans
plusieurs boutiques pour demander notre chemin, nous trouvons enfin
la pharmacie, plutôt une parapharmacie, où on vend des tas d'autres
produits, et une vendeuse noire (avec qui on sympathise, elle est ravie de rencontrer des Français et on se
prend tous trois en photo) nous trouve exactement les produits demandés par
James.
sur la rivière Delaware (très large embouchure), on dépasse un pétrolier
Puis
nous allons nous enfiler une bière dans une sorte de restaurant-bar.
Pas facile de comprendre les Américains ! En rentrant, nous
nous arrêtons près de l'United states,
un paquebot des années 30 (?) qui va être démoli, faute de financement pour le
restaurer. Élancé, effilé, il a une beauté que l'on ne rencontre
pas dans les paquebots modernes. Nous rentrons, toujours à pied :
allons-nous bien dormir cette nuit ? La Matisse
est très vide, une bonne partie de l'équipage est à terre...
les trois drapeaux détaillés ci-dessous (photo prise à Philadelphie)
10
avril : Nous sommes
maintenant dans l'embouchure de la Tamise, très large et dont ne
voit pas les bords embrumés : balises vertes à tribord, rouges
à bâbord. Vers 15 h, le navire a ralenti, le pilote est monté à
bord. Nous avons hissé le drapeau blanc et rouge, signe qu'il y a le
pilote à bord, le drapeau jaune, signe qu'il n'y a pas de malades
infectieux
et donc pas de quarantaine, et le drapeau rouge, signe qu'on transporte
des produits dangereux ou toxiques (renseignements fournis par Bruno
le cargo-trotter). J'ai pu faire un tour du pont,
aperçu dans la brume un champ d'éoliennes, des cabanes de pêcheurs
un peu analogues à celles qui sont dans l'estuaire de la Gironde,
des cargos qu'on croise. Il fait assez doux, ce qui laisse préfigurer
de bonnes températures en France.
éoliennes : l'avenir ?
11
avril : Nous sommes repassé, à l'entrée de l'embouchure de la
Tamise, à proximité d'un énorme champ d'éoliennes, probablement plus d'une
centaine.
Le
rêve est fini, mais comme nous dit l'écrivain québécois Jacques
Poulin dans Les yeux bleus de
Mistassini
(Actes sud, 2011) : "Le
rêve est très utile, c'est même la seule façon d'apprivoiser la
réalité".
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