dimanche 3 mai 2015

3 mai 2015 : cargo 2015 : 9 - escales 5, fin de parcours


Ne cherche pas à faire que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille les événements comme ils arrivent, et le cours de ta vie sera heureux.
(Epictète, Manuel)

sur une île du chenal qui mène à Savannah : une prison

Mais tout voyage a une fin, qui peut d'ailleurs dans le cas du voyage de la vie être la mort – et du reste, nous savions que si cette dernière nous surprenait inopinément, nous ne serions pas jetés à la mer comme nous le désirions, et comme ça se passait autrefois, mais placés dans la chambre froide pour être remis aux familles (éplorées ? Je ne sais pas, sans doute, mais une bonne partie ne manquerait pas de s'exclamer : « Je lui avais bien dit, qu'allait-il faire dans cette galère, à son âge, loin de tout médecin et hôpital ? ») pour des funérailles en terre ferme.
Après Panama, il y eut trois escales avant Dunkerque : Savannah, de nouveau, Philadelphie et Tilbury. Nous n'avons pu descendre qu'à Philadelphie, où j'ai malencontreusement laissé à bord mon appareil de photo !



vu du hublot de notre coursive (deck E) : la côte
Extraits du Journal de bord

29 mars : Beau temps sur Savannah (pour l'instant), mais température ultra-basse : 2° sous abri. Formalités relativement longues, et ensuite attente interminable d'un taxi. À 11 h, après une heure d'attente venteuse et glaciale, nous abandonnons et remontons : c'est dimanche, ce qui explique peut-être l'absence de taxi. Et la ville est loin. Par ailleurs, on ne sait pas comment ils ont fait leur compte en amarrant le cargo, mais impossible de descendre l'échelle de coupée jusqu'au quai, elle reste bloquée à mi-hauteur par une bitte d'amarrage ! Enfin, le cargo se regarnit en victuailles de toutes sortes : légumes, fruits, viandes, poisson, boissons. Le transport jusqu'aux cambuses et chambres froides est délicat, avec l'échelle de coupée si bizarrement placée.

les centrales nucléaires se ressemblent !
1er avril : 39°16 de latitude N, 75°20 de longitude W, nous sommes dans le chenal qui mène à Philadelphie, nous passons à côté d'une centrale nucléaire. Il fait beau et très frais : 0° sous abri côté ombre sur l'aile bâbord de la passerelle, 17° seulement dans la passerelle. Ma cabine est devenue fraîche aussi.
12 h 45 : nous sommes à quai. La ville n'est pas loin, paraît-il, mais je ne l'aperçois pas. Nous avons eu une excellente soupe de crevettes et une merveilleuse salade variée, porc, riz et carottes. J'ai gardé la pomme pour plus tard.
départ de Philadelphie le lendemain matin

Après-midi : ici, pas de formalités administratives, elles ont été faites à Savannah. Vers 13 h 45, nous avons le feu vert de sortie. Nous disons au revoir à Jean-Guy, qui rentre au Québec, et prenons la navette qui nous emmène à la porte de sortie (gate) du port. Avec notre carte de membre du cargo, nous sortons. Nous faisons appeler un taxi, puis voyons sortir un paquet de plusieurs membres d'équipage (deux Européens et cinq Philippins). Le taxi n'arrivant pas, nous nous joignons à eux pour y aller à pied. Décidément, pas de chance avec les taxis, puisqu'à Savannah, nous n'avions pas pu sortir par absence de taxi (et de navette). Ici, James, un des Philippins du bord dans l'impossibilité de sortir, m'avait chargé de lui faire quelques achats en pharmacie. Bruno, lui, voulait faire débloquer son i-phone, que la malheureuse introduction d'une carte sim internationale avait bloqué.
Au bout de deux kilomètres à pied, nous déboulons dans une zone commerciale. Dans un supermarché d'appareils de télécommunications, Bruno trouve son bonheur avec un vendeur qui lui permet de se connecter sur internet et de débloquer sa machine – il n'a pas compris comment, d'ailleurs, mais il y est arrivé ! Plus loin, après être entré dans plusieurs boutiques pour demander notre chemin, nous trouvons enfin la pharmacie, plutôt une parapharmacie, où on vend des tas d'autres produits, et une vendeuse noire (avec qui on sympathise, elle est ravie de rencontrer des Français et on se prend tous trois en photo) nous trouve exactement les produits demandés par James.
sur la rivière Delaware (très large embouchure), on dépasse un pétrolier
Puis nous allons nous enfiler une bière dans une sorte de restaurant-bar. Pas facile de comprendre les Américains ! En rentrant, nous nous arrêtons près de l'United states, un paquebot des années 30 (?) qui va être démoli, faute de financement pour le restaurer. Élancé, effilé, il a une beauté que l'on ne rencontre pas dans les paquebots modernes. Nous rentrons, toujours à pied : allons-nous bien dormir cette nuit ? La Matisse est très vide, une bonne partie de l'équipage est à terre...

les trois drapeaux détaillés ci-dessous (photo prise à Philadelphie)

10 avril : Nous sommes maintenant dans l'embouchure de la Tamise, très large et dont ne voit pas les bords embrumés : balises vertes à tribord, rouges à bâbord. Vers 15 h, le navire a ralenti, le pilote est monté à bord. Nous avons hissé le drapeau blanc et rouge, signe qu'il y a le pilote à bord, le drapeau jaune, signe qu'il n'y a pas de malades infectieux et donc pas de quarantaine, et le drapeau rouge, signe qu'on transporte des produits dangereux ou toxiques (renseignements fournis par Bruno le cargo-trotter). J'ai pu faire un tour du pont, aperçu dans la brume un champ d'éoliennes, des cabanes de pêcheurs un peu analogues à celles qui sont dans l'estuaire de la Gironde, des cargos qu'on croise. Il fait assez doux, ce qui laisse préfigurer de bonnes températures en France.
éoliennes : l'avenir ?
11 avril : Nous sommes repassé, à l'entrée de l'embouchure de la Tamise, à proximité d'un énorme champ d'éoliennes, probablement plus d'une centaine.

Le rêve est fini, mais comme nous dit l'écrivain québécois Jacques Poulin dans Les yeux bleus de Mistassini (Actes sud, 2011) : "Le rêve est très utile, c'est même la seule façon d'apprivoiser la réalité".


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