jeudi 29 décembre 2016

29 décembre 2016 : une époque formidable !


Gardet disait : « L’homme n’est pas fait pour penser aux choses sérieuses. Quand ils étaient croyants, ils pensaient des conneries, maintenant ils en pensent d’autres. Mettez-vous bien dans votre petite tête qu’à part les intellectuels, qui sont fous, les gens ne pensent qu'à ce qu’ils vont faire ! »
(André Malraux, Non : fragments d’un roman sur la Résistance, Gallimard, 2013)

Cette fois le bilan moral de ce que j’ai vu et entendu sur la marche du monde en 2016.
Argent : toutes les banques proposent d’investir dans l’immobilier. d’où la hausse effrénée des loyers, puisqu’un investissement exige un retour, et un retour rapide et fructueux. Me promenant dans Toulouse, j’ai été effrayé de voir les loyers proposés, approchant ou dépassant 2000 €. Sachant que le salaire moyen tourne autour de ce nombre, que plus de la moitié de la population gagne nettement moins (souvent moins de 1000 €), que le chômage a explosé, et qu’en fait il y a de plus en plus de pauvres, et que de toute façon, il ne suffit pas de se loger, il faut aussi manger, s’habiller, etc, cherchons l’erreur !
Économie : notre économie de pays "riches" (paraît-il) repose sur la délocalisation de la fabrication d’objets manufacturés dans des pays à salaires très bas (quasiment des "esclaves"), sur l’exploitation à notre profit des richesses de leurs sous-sols et de leurs matières premières, sur le commerce des armes et la provocation ou l’entretien des guerres nécessaires à ce commerce, sur le blocus économique imposé à ceux qui ne veulent pas de notre système, sur les dictatures que nous entretenons complaisamment tant qu’elles ne touchent pas à "nos" intérêts (en fait, ce sont les intérêts de l’oligarchie financière qui mène la danse), tout le monde est satisfait. Sauf quand les armes nous retombent dessus (là, il s’agit de terrorisme, mais nos bombardements à nous n’en sont pas, bien entendu, ce sont de très honnêtes frappes chirurgicales), sauf quand les peuples suffoqués par la misère, les guerres et les dictatures que nous soutenons frappent à nos portes (là, ils exagèrent, puisque tout ce que nous faisons, c’est pour leur bien). Cherchons l’erreur !

La beauté des pierres nous console de la laideur des hommes : Paris
 
Élections : aux USA, pour avoir une chance d’être élu, il faut être milliardaire (Trump ou Clinton, même combat) ; en France, il faut être seulement millionnaire. Sachant que les pauvres votent régulièrement pour les plus riches, cherchons l’erreur !
Informatique : paraît qu’il va falloir faire notre déclaration de revenus (comme de plus en plus de choses) par voie électronique : j’ai émis, en portant ma déclaration papier en mai 2016, une protestation explicite et justifiée par écrit, car enfin, nul n’est obligé d’avoir un ordinateur, et donc le service des impôts devrait en mettre à la disposition des usagers (il est vrai que ces derniers sont devenus des clients). À ce jour, je n’ai pas de réponse. Paraît que bientôt, on sera aussi obligés d’en passer par là pour presque tout : plus de guichets aux banques, à la poste, à la sécu, à Pôle emploi, dans les gares, etc, mais des automates partout. A-t-on pensé à tous ceux qui ne sont pas familiarisés avec cette technologie dictatoriale ? Un ami nonagénaire, qui n’a pas d’ordinateur et de toute façon, n’y voit presque plus, a chargé son banquier de faire cette fameuse déclaration : estimons-la, en comptant très large, à une heure de travail, ça lui est facturé 600 €. Cherchons l’erreur !
Justice : Une ancienne ministre, devenue directrice du FMI, reconnue coupable d’une "négligence" (attribuer 403 millions d’euros d’argent public à un homme d’affaire douteux, ce n’est sans doute d’ailleurs pas une négligence, mais plus probablement une bagatelle pour ces gens habitués à jongler avec les milliards) est dispensée de peine. Un ministre du budget, champion de l’évasion fiscale (mais lui aussi ne jongle-t-il pas avec les milliards, ce qui le rend inconscient), est certes condamné (encore a-t-il fallu presque quatre ans d’attente pour le procès), mais purgera-t-il sa peine ? D’ailleurs, son unique crime, c’est de s’être laissé prendre. Par contre, un jeune de 23 ans qui vole un fromage, parce qu’il est resté trois jours sans manger, a commis un crime impardonnable : punition immédiate de trois mois de prison ferme, sans doute pour que le malheureux ne reste plus trois mois sans manger. Cherchons l’erreur !

Idem pour la beauté des plantes
Solitude / vieillesse : j’ai été frappé, en sortant de Louise en hiver, et en discutant avec deux spectatrices, du fait que l’une reprochait au film de mettre en valeur la solitude (« qui est terrible », me dit-elle), l’autre de choisir une héroïne "vieille" (« la vieillesse, c’est terrible », elle a dit). Elles ont usé du même adjectif, n’ont vu dans le film qu’un aspect, et finalement, n’en ont pas profité pleinement. Oui, la solitude et le vieillissement peuvent devenir "terribles", mais à nous de faire qu’ils ne le soient pas, sortons, causons, ouvrons-nous aux autres, aidons les plus âgés, les plus démunis ou les plus jeunes et cherchons l’erreur !
Violence : entendu à la radio la semaine dernière un historien "expert" (comme tous ceux qui pérorent à la radio, où on ne convoque que des experts et des spécialistes autoproclamés) nous expliquer que nous vivions une époque formidable, nettement moins violente que ne l’étaient la Préhistoire, l’Antiquité, le Moyen âge, les Temps modernes, et même notre XXe siècle, qui semble en effet avoir battu des records, avec ses deux guerres mondiales, sa bombe atomique, ses camps de la mort, l’usage scientifique de la torture, la guerre chimique au défoliant au Vietnam, etc. Après son discours, aux infos, on ne parlait que d’attentats, de bombardements, de terrorisme, de drones pratiquant des assassinats ciblés, de viols et autres joyeusetés dénuées, comme chacun sait, de toute violence. Cherchons l’erreur !

Idem pour la beauté des animaux
 
Oui, nous vivons une époque formidable, comme disait l’autre...
Et l’année à venir va être encore plus formidable !!!

vendredi 23 décembre 2016

23 décembre 2016 : bilan de l'année : lectures et spectacles


Et qu’opposer sinon nos songes
Au pas triomphant du mensonge
(Louis Aragon, Le roman inachevé, Gallimard, 1956)

Voici donc mon petit bilan spirituel de cette année : lectures, films, théâtre, etc... Inutile de dire que je suis très content de pouvoir encore lire, voir des films, du théâtre, et de ne point m'en lasser.

Lectures les plus marquantes, parmi les quelques 200 livres lus cette année, mais pas forcément, loin de là, sortis cette année (à peine 10% de mes lectures sont des nouveautés) :
livres pour la jeunesse : Victoria rêve, de Timothée de Fombelle ; Le royaume de Kensuké, de Michael Morpurgo (GB)
littérature française : Le grand marin, de Catherine Poulain, Mémoire de fille, d’Annie Ernaux, La femme au colt 45, de Marie Redonnet ; Non : fragments d’un roman sur la Résistance, d’André Malraux ; Les faux-monnayeurs, d’André Gide

mon livre de l'année
 
littérature francophone : Ces enfants de ma vie, de Gabrielle Roy (Canada) ; Meursault : contre-enquête, de Kamel Daoud (Algérie) ; Les soleils des indépendances, d’Ahmadou Kourouma (Côte d’Ivoire)
littérature étrangère : Tuer un enfant, de Stig Dagerman (Suède) ; L’opticien de Lampedusa, d’Emma-Jane Kirby (GB) ; Vendange, de Miguel Torga (Portugal) ; Quatuor, d’Anna Enquist (Pays-Bas)
nouvelles : Comme un Polonais, de Claude Andrzejewski ; Les plaisirs et les jours, de Marcel Proust
poésie : Juste avant la nuit, de Georges Bonnet ; Clous, d’Agota Kristof (Hongrie) ; L’Antigone manquée, de Catherine Baptiste ; Foutaisez-vous, de Jean-Marc Proust ; Le condamné à mort et autres poèmes, de Jean Genet ; La Divine comédie, de Dante (Italie)
théâtre : Britannicus, de Racine ; Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce ; Largo desolato, de Vaclav Havel (Rép. Tchèque), Baabou roi, de Wole Soyinka (Nigéria)
polar : Laguna nostra, de Dominique Muller ; Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers, de Björn Larsson (Suède) ; L’affaire des coupeurs de tête, de Moussa Konaté (Mali)
essai littéraire : Une limonade pour Kafka, de Xavier Person ; Le tour de la prison, de Marguerite Yourcenar, L’écriture à l’écoute, d’Henry Bauchau (Belgique)
témoignage : L’usine nuit et jour, de Patrick Thubaudeaux ; Bienvenue à Calais, de Marie-Françoise Colombani ; Un pavé dans l’édifice, de Sandra Aimard
essai politique : L'arme à l'œil : Violences d'état et militarisation de la police de Pierre Douillard-Lefevre ; Les goulags de la démocratie, d’Angela Davis (USA) ; Murmures à la jeunesse, de Christiane Taubira
pamphlet : Le hareng de Bismarck, de Jean-Luc Mélenchon ; La fête des ânes, de René Rougerie
histoire : La Saint-Barthélémy, les mystères d’un crime d’état, d’Arlette Jouanna
BD : L’Arabe du futur, de Ryad Sattouf

Cinéma, parmi les quelques 200 films vus cette année (certains, marqués d'une *, vus dans des festivals, ne sont pas encore sortis) :
Arménie : Bravo virtuose*, de Levon Minanian
Brésil : Aquarius, de Kleber Mendonça Filho
Canada : La passion d’Augustine, de Lea Pool
Colombie : L’étreinte du serpent, de Ciro Guerra
Corée : The net*, de Kim Ki Duk
Cuba : Chala, une enfance cubaine, d’Ernesto Dazanas
Espagne : Julieta, de Pedro Almodovar ; L’olivier de Iciar Bollain ; El viaje de Carol*, d’Imanol Uribe
France : Ma loute, de Bruno Dumont ; La belle équipe, de Julien Duvivier ; L’effet aquatique, de Solveigh Anspach ; Frantz, de François Ozon ; Louise en hiver, de Jean-François Laguionie ; La jeune fille sans mains, de Sylvain Laudenbach ; Le voyage au Groenland, de Sébastien Betbeder ; La sociale, de Gilles Perret

mon film de l'année

Grande-Bretagne : Moi, Daniel Blake, de Ken Loach
Grèce : Des spectres hantent l’Europe*, de Maria Kourkouta et Niki Giannari
Islande : Sparrows, de Ranar Runarsson
Italie : L’estate addosso*, de Gabriele Muccino ; Fuocoammare, de Gianfranco Rosi, Le temps perdu, de Vittorio De Seta
Japon : Les délices de Tokyo, de Naomi Kawase ; La condition de l’homme, de Masaki Kobayashi
Pays-Bas : La tortue rouge, de Michael Dudok De Witt
Philippines : Ma’ Rosa, de Brillante Mendoza
Roumanie : Baccalauréat, de Cristian Mungiu
Russie : L’idiot, de Youri Bykov ; Le disciple, de Kirill Serebrennikov

Théâtre, pièces vues et appréciées :
Louis-Ferdinand Céline : Mort à crédit (lecture théâtralisée)
Pierre Corneille : Le Cid
Molière : Les femmes savantes
Jean Racine : Britannicus
Olivier Sauton : Fabrice Luchini et moi

ma pièce de l'année
Ceux qui suivent mon blog ont dû ici et là en avoir déjà quelque écho, mais je n’ai pas forcément écrit sur tout ce que j’ai lu ou vu !