mardi 9 février 2016

9 février 2016 : Chocolat !


On continue aujourd'hui à se scandaliser des totalitarismes effroyables d'un passé encore bien récent. Comment ne pas partager l'horreur de leur mémoire et l'envie de les bannir à jamais ? Mais aussi, comment ne pas voir dans cette horreur entretenue un alibi de l'acceptation domestique d'un "paisible" totalitarisme planétaire dont la morgue est plus discrète, mais plus insidieuse encore, et dont les dégâts risquent d'être objectivement de plus en plus tragiques ?
(Sergio Ghirardi, Nous n'avons pas peur des ruines : les situationnistes et notre temps, L'insomniaque, 2004)


Aujourd'hui que quelques "nègres" (n'étant en aucune manière raciste, je me permets d'utiliser ce mot, devenu très incorrect, mais qui correspond ici à l'époque du personnage) arrivent (difficilement) à percer, on a de la peine à imaginer ce qu'était leur vie à la fin du XIXème siècle, à peine sortis de l'esclavage.
Et encore, Chocolat (Omar Sy), le héros du film, n'en était pas vraiment sorti, puisqu'il fut vendu par un planteur cubain (où l'esclavage ne fut aboli qu'en 1886) à un fermier espagnol. Maltraité, il s'enfuit et aboutit en France. Il finit par échouer dans un cirque, pour y faire le cannibale. Sa rencontre avec le clown Footit (James Thierrée) qui a l'idée du duo Footit et Chocolat, va le propulser sur le devant de la scène et l'amener à la célébrité. Pourtant, il n'est que le faire-valoir de Footit, son souffre-douleur sur la piste, celui qui reçoit les coups de pied au cul (il paraît que l’expression “je suis chocolat” vient de là) ; jusqu’au jour où, trahi par ses anciens patrons et emprisonné, il rencontre derrière les barreaux un intellectuel haïtien qui lui fait prendre conscience de sa situation subalterne. Chocolat, alors, va tenter de voler de ses propres ailes pour incarner un rôle sérieux : Othello de Shakespeare au théâtre.

J'avoue que pour son quatrième film comme réalisateur, Roschdy Zem (après Mauvaise foi, Omar m’a tuer et Bodybuilder) montre une sacrée ambition : cette fois, il évoque un destin hors norme (historique et oublié) avec une vigueur certaine, en évitant les écueils du moralisme. Il nous montre un Chocolat victime de ses défauts (notamment de son goût pour les jeux d'argent) autant que de la société – extrêmement raciste, au fond le duo clown blanc-clown noir est le microcosme des représentations raciales de l'époque et reproduit les stéréotypes raciaux – dans laquelle il vit. Ainsi Chocolat réhabilite un parcours fascinant que Roschdy Zem reconstitue avec sérieux, notamment l’univers du cirque de l'époque (petits cirques provinciaux, le cirque en dur de Paris). Les deux comédiens sont formidables : James Thierrée, enfant de la balle (petit-fils de Charlie Chaplin, contorsionniste et acrobate accompli) a réglé les numéros de cirque et amené Omar Sy à se surpasser dans le rôle de la victime. Chocolat finit par ne plus supporter l'humiliation des son rôle et souhaite être un artiste complet. Ce qui aboutit à l’échec, car les barrières raciales de l'époque ne pouvaient pas, même à Paris, accepter qu'un Othello fût joué par un acteur réellement noir !
Ce qui entraîne une certaine tonalité triste (j'ai entendu des réactions en ce sens à la sortie) et va certainement joué en la défaveur du film, les gens s'attendant avec Omar Sy à rire aux éclats. Donc, Les Tuche 2, qui sort au même moment, va lui faire de l'ombre. Pourtant la thématique en est proche : comment vivre une vie complètement différente quand on passe de la misère à la richesse (Les Tuche) ou à la célébrité (Chocolat). Ce dernier mérite pourtant un large succès public, en nous proposant un héros noir assez surprenant. Le film est très soigné, bien maîtrisé, et atteint, par son humanisme, une profondeur à laquelle ne peut prétendre Les Tuche, qui ne démérite pas, mais reste en deçà de ce que ça pourrait être... 
 
Rappelons que Chocolat a réellement existé (biographie par Gérard Noiriel, Bayard, 2012) et qu'il est mort dans la misère à Bordeaux. Et qu'un tel film doit nous encourager dans la voie de l'antiracisme, seule voie humaniste dans notre monde actuel.


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