dimanche 3 avril 2016

3 avril 2016 : Marguerite Duras, encore et toujours



La littérature, tout lui appartient. Elle prend et refait. Ou bien elle refait le monde ou bien elle n'existe pas. Si elle ne refait pas le monde, qu'elle aille se rhabiller.

(Marguerite Duras, Hôpital silence, 1985, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993)





Début du mois Marguerite Duras au Théâtre Marguerite Duras de Bordeaux. Le 1er avril, la comédienne (d'une beauté éclatante) Maud Andrieux nous a fait une lecture légèrement théâtralisée de L'été 80.
 "Au début de l'été, Serge July m'a demandé si j'envisageais dans les choses possibles d'écrire pour Libération une chronique régulière. J'ai hésité, la perspective d'une chronique régulière m'effrayait un peu et puis je me suis dit que je pouvais toujours essayer. Nous nous sommes rencontrés. Il m'a dit que ce qu'il souhaitait, c'était une chronique qui ne traiterait pas de l'actualité politique ou autre, mais d'une sorte d'actualité parallèle à celle-ci, d'événements qui m'auraient intéressée et qui n'auraient pas forcément été retenus par l'information d'usage. Ce qu'il voulait, c'était : pendant un an chaque jour, peu importait la longueur, mais chaque jour. J'ai dit : un an c'est impossible, mais trois mois, oui. Il m'a dit : pourquoi trois mois ? J'ai dit : trois mois, la durée de l'été. Il m'a dit : d'accord, trois mois, mais alors tous les jours. Je n'avais rien à faire cet été-ci et j'ai failli flancher, et puis non, j'ai eu peur, toujours cette même panique de ne pas disposer de mes journées tout entières ouvertes sur rien. J'ai dit : non, une fois par semaine, et l'actualité que je voulais. Il a été d'accord. Les trois mois ont été couverts à part les deux semaines de fin juin et début juillet."
 
Comme toujours chez Duras, on est en pleine littérature, au sens noble du terme. La réalité qu'elle observe – elle est à Trouville – donc la plage, la mer et les vagues, le ciel, les nuages, le vent, les cerfs-volants, les vacanciers ("ils sont tous riches parce que tous doués de l'intelligence actuellement en cours, la seule qui nourrisse son sujet, celle de la bêtise positive, fiable, non dotée de pensée mais d'irrépressible logique et qui exclut de son trajet de plus en plus rétréci tout ce qui ne concerne pas sa propre causalité..."), elle la tranmue en des mots d'une beauté sans pareille et ne peut s'empêcher d'y insérer une fiction. Au tout début, il pleut, il pleut pendant des jours et des jours. La plage est déserte, sauf les groupes d'enfants de colonies de vacances qui en prennent possession, courent dans tous les sens, creusent le sable mouillé, tentent d'échapper à leurs moniteurs. Elle remarque (ou elle imagine) un enfant isolé, qui semble ne pas parler, qui se met à l'écart des autres. Puis une monitrice qui raconte une longue histoire (David et le requin Ratekétoboum) à son groupe, parmi lequel se trouve l'enfant solitaire, à qui elle s'attache. Une étrange histoire d'amour se noue entre ces deux-là. Histoire que les esprits tordus qualifieraient sans doute de pédophile aujourd'hui.
la belle lectrice, Maud Andrieux

Au milieu de quelques considérations que lui inspire tout de même l'actualité (l'Afghanistan, l'Iran en pleine révolution : "Le parti le plus fort se reconnaît à sa potentialité de mort, sa faculté plus ou moins grande de l'administrer", la Pologne et Gdansk, la persécution des homosexuels dans plusieurs pays), elle se livre donc à ce qu'elle appelle un "égarement dans le réel". C'est magnifique, surtout pour moi qui me suis immergé naguère dans le continent Duras pendant quelques mois et qui me suis retrouvé plongé en arrière, dans ces semaines de lecture roborative et d'écriture joyeuse, aussi bien que dans l'été 80, avec en filigrane le superbe leitmotiv de l'enfant et de la jeune fille. "L’Eté 80 est devenu maintenant le seul journal de ma vie. Celui de ma perdition près de la mer dans le mauvais été de 1980", rappela-t-elle quelques années plus tard.
 

Je retournerai assister à d'autres séances, mon maître André Loncin, qui m'initia à l'art de la lecture à haute voix au CLIO (Conservatoire contemporain de littérature orale de Vendôme) en 2006 avant ma cyclo-lecture, viendra lire Moderato cantabile les 13 et 14 avril. Il se trouve que c'est aussi le premier livre que j'ai lu de la grande Marguerite dans les années 60...

Aucun commentaire: