mardi 23 août 2016

23 août 2016 : femmes en colère


Cela ne sert à rien d'avoir des illusions pour découvrir un jour que, quoiqu'il s'imagine, l'homme est seul dans la vie.
(Georges Simenon, Crime impuni, Presses de la cité, 1954)

Le cinéma indien est d'une grande richesse. On connaît Bollywood et ses films à grand spectacle, nourris de chansons et de danse. Mais il y a aussi tout un cinéma plus réaliste, qui s'efforce de décrire ou d'analyser les conditions de vie dans ce pays, en passe de devenir le plus peuplé du monde, et encore largement tributaire de son passé historique et colonial. La vie des femmes y est en particulier peu enviable en général : infanticides nombreux d'enfants de sexe féminin, problème de la dot et des mariages arrangés, supériorité affichée de l'homme et absence d'égalité, conflit permanent entre tradition et modernité.

 
Pan Nalin nous propose avec Déesses indiennes en colère un film choral dans lequel les femmes ont le rôle principal et tentent de proclamer le droit à la dignité. Sept amies, qui se sont connues à l'université, sont réunies à Goa, en bord la mer, invitées pour le mariage de l’une d’elles. Toutes cultivées et de famille aisée (elles parlent anglais entre elles), certaines travaillent : il y a une chanteuse qui n'arrive pas à percer, une Anglo-Indienne qui tente de percer à Bollywood, une directrice d'usine débordée (qui a emmené sa petite fille, qui servira de révélateur), une photographe-artiste, une militante pour les droits des travailleurs, mais toutes doivent se battre durement dans un monde dominé par les hommes et qui accorde parcimonieusement liberté et indépendance. Réunies entre femmes, loin du regard masculin et du patriarcat habituel, elles peuvent enfin parler librement, y compris de sexe, d'homosexualité, de divorce, mais aussi bien redeviennent momentanément des adolescentes parlant de choses superficielles, voire se disputant pour des riens comme dans la vie. On se rend compte rapidement qu'elles ne peuvent vraiment exister qu'en tant que filles (le mariage de l'héroïne ne lui convenant pas, son père n'y assistera pas), mères ou épouses, ou alors domestiques. Il faudra un événement tragique, qui mettra en pleine lumière le poids épouvantable des mâles (violeurs aussi bien que policiers enquêtant sur le viol), pour qu'elles se révèlent à elles-mêmes et se transforment en déesses en colère, à l'instar de Kali, la déesse de la vengeance.
Belles images, toujours en mouvement (ce qui m'a agacé au début, moi qui aime les plans longs et fixes), dialogues qui semblent improvisés et nous font passer de la confession à la déconnade, musique agréable comme dans tout film indien. La dernière scène, que je ne raconterai pas, est magnifique. Et je suis sorti enthousiasmé de voir enfin que la solidarité de combat peut faire avancer les choses, pour s'opposer au sexisme et à la misogynie ordinaires. Ce film est une belle surprise pour ceux et celles (j'ai remarqué qu'il y avait peu d'hommes dans la salle) qui veulent sortir du cinéma routinier, souvent insipide, et regarder la réalité en face : oui, il y a beaucoup à faire pour faire évoluer notre monde. Et je ne suis pas sûr que nous, Européens, avec notre machisme dévastateur, ayons des leçons à donner aux Indiens !
Après le rural La saison des femmes, que j'avais vu en avril dernier (cf ma chronique du 28 avril, femmes, femmes, femmes...), et dans un style tout différent, le cinéma indien nous offre un nouveau joyau féministe ! Un pavé dans la mare macho !

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