samedi 26 novembre 2016

26 novembre 2016 : "La condition de l'homme", de Kobayashi


On n’envoie plus, comme au temps de Jean Valjean, les voleurs de pain aux galères. Mais au pays des 360 fromages, on ne badine pas avec les voleurs de chèvre. Pour une petite bûche, un jeune homme de 22 ans, qui n’avait pas mangé depuis trois jours, a été envoyé pour trois mois en prison.
(Cerises, 25 novembre 2016)

La condition de l’homme est sans doute le plus long des films de fiction (si l’on excepte les films à suites du type Star wars) : environ 560 minutes, soit près de 10 heures. Pour la commodité des projections en salle, le film a été divisé en trois parties : Pas de plus grand amour, Le chemin de l’éternité et La prière du soldat.

 
Le film se déroule entre 1943 et 1945 en Mandchourie annexée, colonisée et occupée par l’armée du Japon impérialiste et raconte l’odyssée de Kaki, jeune homme idéaliste. Kaji a accepté d'aller travailler dans une usine sidérurgique de Mandchourie de Manchourie, car, opposé à la guerre, ça devait lui permettre d’être exempté de service militaire et de se marier avec Michiko, qui l’a suivi. Profondément humaniste, il est non seulement farouchement opposé à la guerre, mais aussi à la condition d’esclaves des ouvriers chinois de l’usine, dont il tente d’humaniser le sort. La guerre tournant mal pour le pays, les militaires imposent d'augmenter la production de 20 %, en faisant travailler aussi les prisonniers de guerre. Les militaires mènent la vie dure à Kaji, qui finit par être jeté en prison pour s'être interposé par humanité : on le libère, mais pour l’incorporer dans l'armée. Il y est méprisé, maltraité par ses supérieurs, soumis à des brimades à cause de son humanisme. Il participe à des marches d’entraînement épuisantes, qui entraînent le suicide d’un soldat. Après le 8 mai 1945, le Japon doit de plus se battre contre les soldats russes, nettement mieux armés. La brigade de Kaji est décimée, et il se retrouve avec une poignée de rescapés à essayer de trouver un chemin vers le Sud, sans autre but qu’une fuite éperdue devant l’avance soviétique (et peut-être d’essayer de rejoindre sa femme). Le petit groupe se retrouve au milieu de quelques fuyards, des civils, hommes et femmes, qui s’agrègent à eux. Ils meurent de faim, trouvent un village où il y a encore de la nourriture. Mais ce n’est qu’un feu de paille, et Kaji et son groupe sont faits prisonniers. Dans le camp de prisonniers, Kaji va de nouveau subir des brimades, il finit par s’évader, puis n’en pouvant plus, il se couche dans la neige, le froid et le vent et ne se relève plus.
Le film est donc à la fois une dénonciation de l’impérialisme industrialo-militariste et celle d’un certain idéalisme, celui de Kaji, qui se révèle totalement utopiste dans une période où la réalité se fait aussi bien implacable qu’absurde. Que ce soit dans l’usine, dans l'armée japonaise, dans le camp de prisonniers, les essais de Kaji pour obtenir un meilleur traitement des ouvriers, des soldats et des prisonniers, sont bousculés par la hiérarchie, par la violence des hommes et des événements.
La Condition de l’Homme de Masaki Kobayashi est non seulement le film le plus long ayant connu une large exploitation commerciale, mais c’est un film extraordinaire. Mathieu l’ayant emprunté en dvd à la Bibliothèque universitaire de Talence, nous avons pu regarder cette épopée, très populaire au Japon, tirée d’un roman autobiographique de Junpei Gomikawa non traduit en français (on se demande pourquoi). Sorti en 1959, tourné dans un style très graphique qui combine un noir et blanc magnifique et l'écran large, le film se présente comme un réquisitoire contre l’impérialisme japonais (que j’avais évoqué dans ma critique de L’impérialisme, spectre du XXe siècle, chronique du 2 mars 2014), mais surtout nous interroge sur la nature de l’être humain, sur l’idéalisme et l'humanisme contrecarrés quand la société devient inhumaine (temps de guerre, de famine, d’oppression sociale, de terreur et de torture, de brimades, d’emprisonnement, d’exil et de migration, de racisme et de xénophobie, de prostitution et de viols, toutes choses qu’on voit dans le film, mais au fond la société peut-elle être humaine même en temps "normal" ?) au point que chacun, pour survivre, doit d’opprimé, devenir oppresseur, ou être les deux alternativement ou en même temps. Kaji n’y échappe pas. N’est-ce pas notre cas à tous ? Le titre original, Ningen no jôken, signifie, paraît-il : "la condition qui permet à un individu de devenir un homme digne de ce nom". Il est des situations où cette dignité recherchée n’existe peut-être pas.
Un des plus beaux films que j’ai vus : malgré sa longueur, il est passé comme une lettre à la poste. S’il ressort sur grand écran ou dans un festival de cinéma, j’irai le revoir !

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