« Comment
tu nous trouves ? » demande-t-elle. […]
« Ben,
on n’a pas l’air tout à fait normaux, » réponds-je.
« Je
déteste tout ce qui est normal », dit-elle.
(Harald
Rosenlaw Eeg, Grand
frère,
trad. Céline Romand-Monnier, Panama, 2006)
Le
jeune
Dag, 16 ans, ballotté
de famille d’accueil en famille d’accueil,
est placé dans une nouvelle
famille,
où
il est cette fois extraordinairement bien accepté par des gens ouverts, et par leur
jeune garçon,
Gustav, 10
ans, qui le
veut pour "grand
frère".
Mais
Dag,
avec
son douloureux passé (il a causé un incendie dans sa précédente
famille d’accueil)
est
reclus dans un refus buté.
La "mère"
d’accueil
lui a offert une caméra vidéo ; le
professeur de
norvégien du
collège lui propose de réaliser un reportage. Alors Dag filme tout,
et
en particulier une autre
écorchée vive, Gloria. Peu
à peu, Dag, bien
que spécial, va dissiper le
passé qui
le hante, s’attacher à Gustav et à Gloria, et envisager de
pouvoir construire sa vie.
Ce
roman norvégien pour ados narre les affres et les difficultés que
doivent
affronter
les enfants
au
lourd passé et qui, plus que tous les autres, ont besoin d’amour.
Surtout
à la période de l’adolescence, où la fragilité
psychique peut être grande et pousser à se replier sur soi.
Dag
ainsi parle très peu, il utilise la caméra avec abondance, mais
c’est aussi une barrière qu’il interpose entre lui et
les autres. Il
filme sans cesse, même quand il est sur le vélo. Dag
se raconte,
c’est lui le narrateur, on ne voit les autres qu’à travers son
prisme, et le lecteur a un travail de compréhension à assumer.
Présent
et
retours en arrière se
mêlent
dans
une
écriture qu’on
peut qualifier de
cinématographique.
Pourquoi
je parle de ce beau livre ? C’est que j’en ai marre de voir
les gros titres de la presse s’en prendre sans arrêt aux prétendus
"assistés"
qui peuvent être tous ceux qui touchent des prestations sociales ou
qui sont placés, comme Dag, dans des situations difficiles et qui ne
bénéficient pas toujours, comme lui, de la compréhension d’un
entourage intelligent qui les aide à se reconstruire. Que tous ceux
qui traquent l’assistanat aillent vivre avec 4 à 600 euros par
mois, et
toutes les dépenses contraintes qui en bouffent la presque
totalité : logement, chauffage, éclairage, téléphone, etc !
Ils feraient mieux de s’attaquer aux vrais assistés : ceux qui
fraudent
l’État
en
ne versant pas les
cotisations sociales patronales (ça
coûterait à la collectivité quelques
20 à
25 milliards d’euros),
qui pratiquent avec allégresse notre beau sport national (et
international), l’évasion fiscale, encore quelques 60 à 80
milliards d’euros qui ne rentrent pas dans les caisses de l’État.
Alors que la fraude aux prestations sociales ne s’élève, d'après les rapports,
qu’à
350 millions d’euros et
qu’un grand nombre de personnes qui y ont droit ne les réclame pas
(la
moitié des personnes qui pourraient avoir recours au RSA ne le
demande pas !).
Qu’on
pointe donc du doigt
les vrais
fraudeurs :
patrons et
grandes fortunes qui font
tout leur possible pour
ne pas contribuer à l’impôt à la hauteur de leurs revenus. Et
qu’on laisse
la solidarité nationale s’organiser
mieux. Ce n’est pas toujours la faute des chômeurs s’ils ne
trouvent pas de travail : dans certains cas on les trouve trop jeunes et
sans expérience,
dans
d’autres ils sont
trop vieux, ou
pas assez diplômés, sans
compter qu’ils
vivent souvent
à l’écart des
bassins
d’emploi. Il
leur faut donc une voiture (avec tous les frais que ça suppose :
achat, entretien, assurances), on leur réclame d’avoir un
smartphone pour être joignable en permanence : facile, tout ça, quand on vit
avec les minima sociaux ! Mais où va-t-on ? Rappelons
que les
aides sociales sont des droits, pas des privilèges, comme
le signale l’Observatoire des inégalités. D’ailleurs, les
cadres et personnes bénéficiant de situations avantageuses le
savent bien et bénéficient aussi de cette solidarité nationale :
les a-t-on vus refuser les allocations familiales, par exemple ?
Leurs enfants vont à l’université, dans
les classes préparatoires et les écoles d’ingénieurs, plus
que la moyenne, me semble-t-il. Et donc, bénéficient aussi de frais d'inscription solidaires.
Cessons
de marquer au fer rouge
les
populations les
plus
affaiblies, et
assumons le besoin
de solidarité et
d’accueil, ce besoin tellement indispensable pour que la vie en
commun soit un peu plus harmonieuse. Et
que les riches payent, nom de Dieu ! J’aimerais bien, pour
ma part, payer un impôt sur le revenu à cinq ou six chiffres, ça
prouverait que mes revenus seraient diantrement élevés ! Et ça
ne me choquerait pas que les minimas sociaux sont fortement
réévalués.
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