samedi 11 mars 2017

11 mars 2017 : la poésie du burlesque


Je suis habité, avant toute chose, par la poésie : une anarchie céleste m’empêche de traîner qui que ce soit devant un tribunal. Je ne pourrais me résoudre à faire condamner quelqu’un.
(Luigi Bartolini, Les voleurs de bicyclette, trad. Olivier Favier, Arléa, 2008)

Je parlais l’autre jour de Simon Quéheillard, et du burlesque dans l’art.
Dieu merci, le burlesque habite encore le cinéma ordinaire. Je n’en veux pour preuve que les films de Dominique Abel et Fiona Gordon. Aux antipodes du cinéma comique français commercial, incroyablement bavard et si peu visuel, ils arrivent à concocter des histoires extraordinairement visuelles, d’un légèreté qui nous allège du monde environnant.

Ainsi, Paris pieds nus. Fiona (Fiona Gordon), Canadienne anglophone, reçoit un message de sa tante Martha, qui a émigré à Paris longtemps auparavant pour y vivre sa vie de danseuse : c’est un appel au secours, car Martha craint qu’on la mette d’office en maison de retraite. Fiona se précipite et débarque à Paris, elle parle mal français, tombe dans la Seine et perd dans la rivière son sac à dos avec son argent, son téléphone portable et son passeport. Et la fameuse Martha ne répond pas au téléphone ! Où traîne-t-elle donc ? Fiona va se trouver prise dans des situations inextricables, entre un enterrement drôlatique au Père Lachaise (on croit un instant qu'il s'agit de celui de Martha), la rencontre avec un SDF (Dominique Abel) qui vit sous une tente dans l’île aux Cygnes, une autre avec un policier canadien de la Police montée en stage à Paris, et la recherche improbable de Martha. Martha, c’est la formidable Emmanuelle Riva qui, pour son dernier film, nous fait prendre conscience du temps qui passe. 

 
Le film est, en même temps qu’un hommage singulier à la ville de Paris que je n'ai jamais vue aussi formidablement aperçue, un hommage aux maîtres du cinéma muet : Chaplin, que plusieurs scènes évoquent (déjà le personnage de Dom le clodo), notamment la danse dans le bateau de Fiona et Abel (on pense irrésistiblement à Charlot serveur de restaurant dans Les Temps modernes), Harold Lloyd (dont la séquence au sommet de la Tour Eiffel ranime notre souvenir de Monte là-dessus, aussi bien que celui de la séquence du patin à roulettes dans Les temps modernes de Chaplin). Dominique Abel fait penser à Laurel, tout autant que Fiona Gordon, avec son air gauche. Bref, que du bonheur. Français, encore un effort ! Voilà le cinéma comique français superbe, héritier de Jacques Tati et de Pierre Étaix, aussi bien que du burlesque américain ou de Pierre Richard qui joue dans le film un vieillard irrésistible (sa danse des pieds avec Martha fait penser à la danse des petits pains de Charlot dans La ruée vers l’or). Un film magnifique, que dis-je magique, une sorte d'anarchie céleste...
Et tant pis pour ceux qui n'iront pas le voir !

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