dimanche 12 mars 2017

12 mars 2017 : documentaires 3 : un essai de Simone Weil


Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.
(Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques, Allia, 2017)


Quand j’ai vu ce titre en librairie, improbable aujourd’hui (écrit en 1940), j’ai sauté dessus à pieds joints. Simone Weil y montrait toute son indépendance d’esprit, sa liberté totale de pensée. Il lui faut à peine une quarantaine de pages pour démontrer le système pernicieux des partis politiques pour la démocratie (il est vrai que Hitler, Mussolini et Staline, etc., étaient alors au pouvoir). Et pourtant, en dépit de son âge, ce petit texte montre son actualité, notamment dans les débats de notre temps électoral.


L’auteur part de la volonté générale, idée due à Rousseau, dont procèdent les idéaux de 1789. Mais elle note qu’il "est tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès qu'il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu'aucune passion individuelle". Elle en déduit qu’avec la constitution des partis, "nous n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie". Car le peuple n’a jamais eu "à exprimer son vouloir à l'égard des problèmes de la vie publique", mais à faire "seulement un choix de personnes". On ne saurait mieux dire !
Or, un "parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres". Plus de liberté de penser, "tout parti est totalitaire en germe et en aspiration" et, à partir du moment où "la croissance du parti constitue un critère du bien, il s'ensuit inévitablement une pression collective du parti sur les pensées des hommes". Simone Weil assure qu’en "entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice". D’ailleurs, des pénalités sont imposées à ceux qui font montre d’indépendance vis-à-vis des idées du parti, pénalités "qui atteignent presque tout — la carrière, les sentiments, l'amitié, la réputation, la partie extérieure de l'honneur, parfois même la vie de famille". Or, dès qu’il y a des partis, il est "impossible d'intervenir efficacement dans les affaires publiques sans entrer dans un parti et jouer le jeu". Et donc abdiquer le goût et la recherche de la vérité.
"Si un homme disait, en demandant sa carte de membre : Je suis d'accord avec le parti sur tel, tel, tel point ; je n'ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n'en aurai pas fait l'étude, on le prierait sans doute de repasser plus tard. Mais en fait, sauf exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte docilement l'attitude d'esprit qu'il exprimera plus tard par les mots : Comme monarchiste, comme socialiste, je pense que... C'est tellement confortable ! Car c'est ne pas penser. Il n'y a rien de plus confortable que de ne pas penser".
Elle finit par conclure qu'il n'y a "pas grande différence entre l'attachement à un parti et l'attachement à une Église ou bien à l'attitude antireligieuse. On était pour ou contre la croyance en Dieu, pour ou contre le christianisme, et ainsi de suite". Car l'opération de "prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'obligation de la pensée. C'est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée. Il est douteux qu'on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques".
Je ne sais pas si tout cela vous allèche. Moi, j’ai trouvé toutes ces phrases extrêmement stimulantes. Elles m’ont même fait comprendre pourquoi je n’ai jamais pu adhérer à un parti politique, car on y perd sa liberté de penser. Et pourquoi vers 1994, j’avais fini par démissionner de l’association de parents d’élèves du collège qui m’avait élu. Il n’y avait pas moyen d’user librement de son droit de vote. Il fallait suivre la ligne de la direction nationale, même si on n’était pas d’accord ! Ce que je n'ai pas fait, et qui m'a valu d'être éjecté de candidature l'année suivante.

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