dimanche 28 mai 2017

28 mai 2017 : toujours du cinéma


COUDRIER : J’ai l’air gai parce que je suis heureux...
LA JEUNE FEMME : Vous êtes heureux ?
COUDRIER : Oui...
LA JEUNE FEMME : Comment faites-vous ?
COUDRIER : C’est une question d’habitude...
(Jacques Prévert, Cinéma, scénarios inédits : Le Grand Matinal, Gallimard, 2017)

Au moment où s’achève le Festival de Cannes, avec de beaux films primés, je fait un dernier état des films vus récemment, encore un tour du monde d’ailleurs :


Italie : Il posto (L’emploi, Ermanno Olmi, 1961). Décidément, j’aurais vu plein de films italiens des années 50 et 60 cette année, que j’avais ratés à l’époque. Le film d’Olmi est une comédie sociale sur une famille pauvre, dont le fils aîné, Domenico, a la possibilité de se faire embaucher pour un emploi de bureau dans une grande entreprise de Milan. Domenico est d’abord employé comme coursier avant de progresser dans la hiérarchie bureaucratique : le film est une satire des employés de bureau (à comparer avec Les employés de Balzac, ou Messieurs les ronds-de-cuir de Courteline), et le héros est une sorte de Buster Keaton perdu dans les arcanes de ce bureau ouvert, où chacun surveille les autres ! Au fond, c'est aussi tragique, bien que j'aie beaucoup ri !

 
Birmanie : Adieu Mandalay (Midi Z) raconte les pérégrinations de deux migrants birmans en Thaïlande. Comme quoi les migrations ne sont pas propres à l’Europe. La Thaïlande est un eldorado pour les Birmans. Tandis que le jeune homme ne cherche qu’à la protéger pour essayer par l’épouser, elle ne cherche qu’à obtenir des papiers. Car les clandestins ont du mal à trouver du travail. Pour les femmes, reste la possibilité de la prostitution ! Le film dénonce la corruption de l’administration, le concussion des flics et des douaniers, le patronat qui profite de la situation. C’est un film très dur, sans concession, qui se termine en tragédie. Superbe, très cru ! Avec nos milliers de morts en Méditerranée, on peut faire des parallèles intéressants. Un film d'urgence !


Chli : Plus jamais seul (Alex Andwanter) : le héros est un adolescent, Pablo, qui cherche à gagner un concours de chant, pour lequel il se maquille et se travestit en femme. Il a à peine dix-huit ans, a un amant, Félix, mais il est victime de la vindicte des garants de la virilité (des jeunes gens, étudiants comme lui, qui ont peur de l’homosexualité) qui finissent par l’agresser (y compris Félix, qui accepte mal sa propre sexualité) de façon très violente le jour où il va au concours, le laissant pour mort. Son père, Juan, pète un plomb, en voyant que ses agresseurs ne seront absolument pas inquiétés, parce qu’il n’y avait pas de témoins. Il va chercher à venger son fils, dont il comprend enfin la profonde solitude. Un film noir, très noir, qui laisse peu d’espoir. En ces temps d'homophobie ordinaire (Voir en France l'affaire Hanouna, en Tchétchénie, la martyre des homos), un film à voir.


France : L’amant double (François Ozon). L'Association des amis de l'Utopia 33 avait choisi ce film pour organiser une ciné-discussion après le film. Mais tout le monde ou presque s’est débiné. Raison à mon avis : c’est un film sur lequel y a pas grand-chose à dire. Non pas qu’il soit mauvais, on ne s'ennuie pas, mais le scénario est tarabiscoté, Ozon lorgne du côté d’Hitchcock, avec le thème du double et de la névrose. Mais franchement, on s’intéresse peu aux états d’âme de la névrosée (excellente Marina Vacth) qui hésite entre son psy, Paul ou le jumeau de ce dernier, Louis (tous deux joués par le formidable Jérémie Rénier). Mais ce dernier existe-t-il ? N’est-il pas qu’un fantasme de Chloé ? Ça m’a paru très en deçà de ses derniers films, et surtout de Frantz. Ça se laisse voir, mais après les trois films précédents, ça sonne creux !

vendredi 26 mai 2017

26 mai 2017 : "la vie est misérablement courte"



DOMIN : Que pensez-vous ? Quel est le meilleur ouvrier possible ?
HÉLÈNE : Le meilleur ? Probablement celui qui... qui... est honnête... et dévoué.
DOMIN : Non. Celui qui coûte le moins cher. Celui qui exige le moins.
(Karel Čapek, R.U.R. Rossum’s Universal Robots, trad. Jan Rubel, La Différence, 2011)

Voilà, je suis rentré de Paris, j’ai réussi à me dépatouiller avec internet pour faire ma déclaration de revenus, et grâce à mes dons nombreux en 2016, je ne devrais presque pas payer d’impôt sur le revenu... Par contre, il faudra que j’économise pour l’année suivante, où ça va barder pour mon matricule (ce sera multiplié par 10 au moins, peut-être par 15)...

j'ai eu une pensée émue vers mes amis antillais en passant sur ce quai, près des Tuileries

Outre la Palestine, dont je vous causais hier, mais qui, comme la Grèce (pour des raisons finalement pas si différentes : les deux peuples sont opprimés), me tient beaucoup à cœur, j’ai profité de mon passage de quelques jours pour me balader à pied ou à vélo (parfois en métro aussi), découvrir quelques coins curieux (il suffit d’ouvrir les yeux), voir quelques amies, faire une exposition, et même acheter des bouquins ou aller au cinéma.

une étrange devanture, rue du Jardinet
 
Je suis donc allé au Musée d’Orsay, en compagnie de C., ma condisciple de l’École nationale supérieure des bibliothèques, qui est très férue de musées et d’expositions. Elle m’avait donné Rendez-vous gare Saint-Lazare, devant la sculpture des horloges entassées. Nous sommes allés manger dans un des derniers (dixit le Guide du Routard) restaurants "routiers" parisiens, très chargé en semaine, mais presque vide le samedi. C’était fort bon. 

devant la gare, la fameuse sculpture d'horloges (artiste : Aman)

Puis direction Orsay par bus. l’exposition s’intitule : Au-delà des étoiles, le paysage mystique, de Monet à Kandinsky, qui par le partenariat avec le Musée de Toronto, nous fait découvrir quelques toiles de l’École canadienne des années 20. Il faut avouer que l’ensemble fait un peu disparate, mais a trouvé pas mal d’échos en moi, surtout avec le thème de la nuit. Quelques tableaux connus, beaucoup de découvertes, ça sert aussi à ça, les expositions. En sortant, on a admiré quelques Courbet et quelques sculptures. Un bel après-midi bien frais, alors qu’il faisait chaud dehors...

dans les jardins du Palais Royal, les corbeaux affectionnent les cuisses de cet éphèbe

J’ai retrouvé l’amie S., une pasteure anglicane aujourd’hui retraitée, mais qui officie encore une fois par mois à Calais et, le reste du temps, aide sa fille et son gendre en gardant leurs enfants. Nous avons déjeuné ensemble lundi au Pain quotidien, un restaurant végétarien qui m’a beaucoup plu, situé juste à côté des jardins du Palais Royal, rue des Petits-Champs. S. a ainsi découvert les galeries et la jardin en question, qu’elle n’avait encore jamais vus. Il est vrai qu’elle n’habite à Paris (Bagnolet) que depuis sa mise à la retraite il y a trois ou quatre ans. Elle avait officié principalement en Italie et en Suisse pour les communautés anglaises, encore pratiquantes (plus que les françaises ?).


Côté cinéma, j’ai complété ma filmographie de Fellini avec Et vogue le navire (1983 : nous étions alors en Guadeloupe, où bien sûr, le film ne fut pas projeté ; il y aurait un livre à écrire sur la distribution des films - et des livres ? Et se demander pourquoi on fait si peu de propositions et pourquoi on préfère passer des tas de bêtises propres à vous dégoûter définitivement du cinéma et à faire croire au public qu'il est forcément idiot). Bref, comme tous les Fellini des années 60 et 70, c’est un film qui subjugue par son côté visuel et grotesque. Ah, ne pas compter sur lui pour se limiter à un plat réalisme. Sa mer en plastique est une merveille qui ouvre l’imagination, son paquebot de studio est un navire plus vrai que les réels, les acteurs (peu connus) sont au top, et en plus c'est un film d’actualité, car le navire est amené à secourir des naufragés serbes en perdition sur la mer, qui tentent de fuir la guerre autrichienne (on est en 1914). C’est magnifique, nous eûmes du mal à sortir de notre fauteuil, tant nous étions dans le film...


Et puis, puisqu’il y avait Cannes, pourquoi ne pas aller voir un des films projetés là-bas ? Ce fut Les fantômes d’Ismaël, le nouveau film de Desplechin, avec un Mathieu Amalrik en très grande forme, entouré d’une pléiade d’acteurs où se distinguaient particulièrement Louis Garrel, Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard, un peu moins gourde que d’habitude (j’avoue mon aversion pour cette actrice, je n’y peux rien !), mais cantonnée dans un rôle désagréable qui lui allait comme un gant. Ça raconte les affres d’un fabricant de films, dont la femme a mystérieusement disparu depuis plus de vingt ans (elle s'appelle Carlotta, allusion à l’héroïne du Vertigo d’Hitchcock ?). Il a refait sa vie récemment avec une femme non moins mystérieuse, Sylvia. Mais il doute, et le retour impossible de sa première femme va le mettre en plein désarroi, au point qu’il décide d’arrêter le tournage de son nouveau film et de se retrancher dans la maison familiale de Roubaix, d’où il va falloir l’extraire. Le scénario pêche un peu par sa complexité (peut-être aussi parce qu’il y a eu vingt-cinq minutes de coupures), on s’y perd un peu, mais ça m’a bien plu. 

Le semeur, de Van Gogh, qui sert de phare pour l'exposition sur le paysage mystique
 
À propos de cinéma, je me suis rendu compte que le nombre de vrais cinémas (ceux dits indépendants ou d’art et d’essai) s’amenuise comme une peau de chagrin, même à Paris. Les grands groupes sont en train de les bouffer complètement. Je suis quand même content, j’aurais connu la merveilleuse époque de la grande diversité des salles obscures. Quand il n’y aura plus que les grands complexes, les spectateurs comme moi pourront dire adieu à leur 7ème art, qui ne sera plus que du divertissement (entertainment ou machine à décerveler, n’est-ce pas, Alfred Jarry ?), parfois de qualité, mais le plus souvent médiocre et sans intérêt autre que de nous faire perdre notre temps, alors que la vie est si "misérablement courte", comme disait un certain Blaise Pascal ! Il est vrai que la planète entière est en train de se transformer en parc d'attractions (pour les riches) et en mouroir (pour les pauvres).

sous les verrières de l'ancienne gare d'Orsay, les faunes dansent


jeudi 25 mai 2017

25 mai 2017 : solidarité active avec les Palestiniens !!!



Tu n’as pas de chez-toi jusqu’à ce que tu t’en ailles, et une fois que tu es parti tu ne peux jamais revenir.
(James Baldwin, La chambre de Giovanni, trad. Élisabeth Guinsbourg, Rivages, 1997)


J’ai jeûné aujourd’hui. 
En solidarité avec les grévistes palestiniens de la faim, retenus depuis de nombreuses années dans les geôles israéliennes (l'un d'eux depuis 35 ans !), parfois sans inculpation ni le moindre jugement, pour des durées illimitées, sans accès à leur dossier (ce que l’occupant appelle la détention "administrative") et qui demandent les droits les plus élémentaires : fin de la détention "administrative", du confinement et des tortures, visites familiales deux fois par mois, un téléphone public en prison, un accès à des soins et des médecins indépendants et même la possibilité d’étudier en prison... Ce qui existe dans toutes les prisons des pays un tant soit peu démocratiques. Mais Israël, qui réserve sur son territoire des droits à certains et les dénient à d’autres (cartes d’identité différentes par exemple), créant de fait de la ségrégation, voire de l’apartheid, est-il une démocratie ? Il ne suffit pas d’organiser des élections pour se prétendre "démocratie" : on ne le voit que trop dans le monde, et même à nos portes...
Les prisonniers en question, en grève de la faim depuis le 17 avril, sont tous des opposants à l’occupation israélienne, mais ils sont privés du statut de prisonnier politique (ce qui permet à l’occupant de les incarcérer en toute illégalité hors de leur territoire, la Palestine), ils sont constamment harcelés, brutalisés, quand ce n’est pas torturés, y compris les enfants de 13-14 ans qui jettent des pierres sur les tanks de l’armée occupante, sur leurs bulldozers qui démolissent les maisons des soi-disant "terroristes" (jetant des familles entières à la rue et dans la misère), ou sur les tractopelles qui arrachent leurs oliviers. Car, bien sûr, quand on est puissance occupante, on peut tout faire : faire de Gaza un immense camp de concentration à ciel ouvert de près de 2 millions d'habitants, et de la Cisjordanie occupée un laboratoire des méthodes d’occupation coercitives qui serviront vraisemblablement de modèle à d’autres états se disant eux aussi démocratiques.

l'affiche de la conférence 
(avec le rappel de Mandela en figure de proue de la résistance)
 
Bref, j’en ai appris de belles pendant mon séjour parisien. Bien sûr, j’en savais déjà beaucoup, on peut s’informer, quand on veut, et ne pas subir le poids des grands médias cachottiers de tout ce qui les dérange (plus exactement de ce qui dérange leurs propriétaires). 
Le 19 mai, j’ai assisté à l’Ile Saint-Denis (en présence du maire de la commune, eh oui, tous les élus ne sont pas corrompus !) à une Conférence-débat sur la Palestine, la situation des prisonniers palestiniens et le droit international. Étaient présents : le jeune Palestinien Alaa Shadi (qui étudie en France, et dont le père est en prison depuis vingt ans), l’opposant israélien Ronnie Barkan, et surtout la jeune refuznik (on appelle ainsi ceux qui refusent le service militaire obligatoire en Israël, de trois ans pour les garçons, de deux ans pour les filles, service militaire qui consiste en un bourrage de crâne intensif culminant dans les territoires "occupés" où on les oblige à humilier en permanence ces "sous-hommes" que sont les Palestiniens) Tamar Alon : cette jeune fille de dix-huit ans à peine, qui a préféré faire de la prison au déshonneur de servir une armée d’occupation qui humilie quotidiennement les Palestiniens, m’a impressionné par son calme, son beau sourire et la clarté de son discours en anglais suffisamment laborieux pour que je le comprenne. Tous trois ont souligné l’importance du soutien international, ainsi que celle du boycott (BDS Boycott Désinvestissement Sanction), sans trop se faire d’illusions cependant. 

les trois invités : au centre, la jeune refuznik
 
Car, à l’égal de sa maîtresse en realpolitik, l'infâme et machiavélique Margaret Thatcher qui, lors de l’incarcération et de la grève de la faim des activistes irlandais (dont Bobby Sands, pourtant élu député, qui en mourra) disait : « Qu’ils crèvent ! », Netanyahou ne dit pas autre chose, mais comme il pense à l’opinion publique mondiale, il est prêt à nourrir de force les malheureux, qui bien entendu, ne le veulent pas. Il paraît (d’après Ronnie Barkan) que les médecins israéliens sont opposés à l’alimentation forcée, et qu’on va devoir faire appel à des médecins étrangers, moins soucieux de morale politique (et sans doute grassement payés pour ce faire). On en est là au bout de quarante jours. 

 
Que peut-on faire ? Demander à nos dirigeants de faire respecter par leur allié israélien les conventions de Genève qu’il a signées ? Faut pas trop y compter, car à part De Gaulle ("ce peuple sûr de lui et dominateur", disait-il en 1967, décidément, il était visionnaire !), tous nos dirigeants ont rampé devant l’état israélien. Informer en place publique par des tracts, car il ne faut pas trop compter sur les "merdias" (comme disent mes amis de tous bords) radio, télé ou magazines, pour l’être. Boycotter certaines entreprises mondialisées, comme HP (oui, Hewlett Packard) qui fournit à Israël les moyens d’opprimer encore davantage les Palestiniens, notamment aux check-points complètement illégaux, puisqu’en territoire palestinien (mais qui pourrissent la vie des habitants, autant que celle des soldats affectés à ces postes), tout en aidant activement les colonies israéliennes illégales de Cisjordanie.


Parallèlement, avec mes cousins, je suis allé voir Le chanteur de Gaza, un biographie filmée de Mohammed Assaf qui a pu s’enfuir, avec de faux papiers, de Gaza vers l’Egypte en 2012 pour participer à l’émission de télé Arab Idol, où il triompha. Depuis, il a un passeport diplomatique qui lui permet de voyager partout dans le monde, sauf qu’il ne peut pas revenir chez lui, car Gaza est une immense prison dont on ne peut ni entrer ni sortir. Le film nous le montre dans cet enfermement, se promenant le long de la mer, mais impossible de s’échapper par là, le long des km de clôtures barbelées et électrifiées qui vont vers Israël. C’est impressionnant, on voit enfin Gaza outragé, brisé, martyrisé, en attendant d'être libre un jour (il paraît que le réalisateur a eu droit à deux jours pour filmer des scènes à Gaza, il a dû compléter par des prises de vue en Égypte ou au Liban). J’aurais vu pas mal de biopics (comme on dit, un peu marre de tous ces anglicismes) musicaux cette année (Dalida, Django, celle-ci), mais celle-ci est encore plus pertinente que Django, en termes politiques.

Ne vous inquiétez pas trop, j’ai assez l’habitude de sauter un repas de temps en temps, là, j’en aurai sauté deux... Qu’est-ce par rapport à tous ces gens qui jeûnent depuis près de quarante jours ? Et qui risquent leur vie : elle vaut bien la nôtre, non ?

mercredi 17 mai 2017

17 mai 2017 : la fraternité, toujours !


Il faut que l’accueil soit inconditionnel, non pour satisfaire une quelconque radicalité morale ou philosophique, mais comme mouvement d’ouverture et d’effacement de soi face à la venue de l’étranger, qui ne soumet pas celle-ci à la condition d’une demande et de l’examen préalable de sa légitimité.
(Yves Cusset, Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile, F. Bourin, 2016)

Enfin un livre qui nous dit autre chose que la malheureuse phrase de Michel Rocard en 1990 : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde ». Phrase que personnellement je n’ai jamais pu accepter, surtout venant d’un responsable politique se disant de gauche et de formation protestante, qui ajoutait aussitôt après, aggravant son cas : « Il faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières 66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux frontières ! À quoi s’ajoutent une dizaine de milliers d’expulsions du territoire national. Et je m’attends à ce que pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts.» J’ai compris à ce moment-là qu’on ne pourrait jamais faire confiance à nos dirigeants, quand ils parlent comme le FN !

Thomas Paine, un héros, qui considéra, à juste titre, Bonaparte comme un charlatan !

Heureusement, il y a des gens qui pensent la fraternité, l’accueil, le droit d’asile (de ce point de vue, on a reculé depuis le Moyen âge, et depuis notre grande Révolution, où un Thomas Paine pouvait être déclaré citoyen français, et être élu à la Convention en 1792). Imagine-t-on cela aujourd’hui ? Donner la citoyenneté à un étranger et l’élire à une assemblée nationale ? Eh bien oui, tout cela reste possible, nous dit Yves Cusset dans son livre magnifique Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile qui, j’espère (mais j’en doute, car les lecteurs sont, hélas, plus attirés par les Musso et autres Lévy, et les bibliothécaires modernes vont plus au devant des désirs du public que des propositions à lui faire : bienheureuse bibliothèque de quartier où j’ai trouvé ce livre !), se trouve dans toutes les bibliothèques publiques et universitaires 

 
C’est un livre épatant, comme disait Jean Dutourd (un réac notoire pourtant, mais l’adjectif convient tellement bien au livre fini) qui essaie de définir ce que pourrait être la fraternité, au-delà de nos peurs, certes légitimes. C’est en tout cas un livre démocratique (à mettre juste à côté du beau livre de Jean-Luc Mélenchon De la vertu: oui, la démocratie, ce n’est seulement élire tous les cinq ans un pantin à l’Élysée et d'autres au Palais-Bourbon, mais c’est d’abord comprendre quels sont les liens qui nous unissent et de se battre contre les liens qui nous séparent. C’est quand même bien pour ça qu’on a voté contre Le Pen, bordel ! Ici, Yves Cusset nous propose des mots pour comprendre le monde, qui sont les migrants, et comment on peut et surtout on doit les aider, et comment le politique devrait s’y mettre aussi, sans laisser tout le soin aux bénévoles ! Qui en plus, sont poursuivis pour délit de solidarité !!! Alors qu'ils ne font que leur devoir d'êtres humains.
D’abord, rappelle Yves Cusset, la première chose, fondement de l’inclusion (j’aime ce mot, alors qu’intégration, qu’Yves Cusset critique fortement, a une connotation négative) dans notre société, c’est la capacité à parler, et donc à apprendre notre langue pour pouvoir se comprendre. Pourquoi les migrants de Calais veulent aller en Angleterre ? Parce qu’ils parlent ou baragouinent l’anglais, et pas le français ! Le fondement à l’inclusion dans notre communauté de citoyens, c’est le partage de la langue. Je suis frappé dans mon quartier de voir que des migrants, présents ici depuis trente ou quarante ans, ne parlent toujours pas français, surtout les femmes ! Si donc l’on veut s’unir, et ça me semble indispensable, l’accueil passe par la langue, tout autant que par le logement et le travail. « Ils vont prendre nos emplois ! », antienne bien connue des militants du F Haine. C’est vrai, ma femme de ménage est d’origine tunisienne, celle de mes cousins de Paris portugaise, etc. Ce n’est pas de notre faute si les Français rechignent à ces emplois clairement sous-payés.
Quelques extraits de ce livre, vrai fondement de la fraternité :

"Quand on sait simplement que là où il y a le plus de mixité sociale, de diversité culturelle et surtout de possibilités d’échange et de décloisonnement des appartenances (et pas simplement moins de chômage, comme voudraient le laisser penser certains politologues), il y a aussi le moins de votes pour l’extrême droite, on voit déjà dans quel sens peut se dessiner l’horizon d’une société inclusive".
"L’intégration exige qu’on quitte une certaine place, l’inclusion, elle, fait de la place. Inclure est le geste de sollicitude par lequel on crée pour celui qui arrive la place qui lui manque. Geste qui n’est pas séparable du mouvement originaire d’accueil par lequel on refuse de considérer l’étranger comme un intrus ou un envahisseur".
"Car la civilité, en supposant qu’on puisse se rapporter à l’autre sans le réduire à son identité, implique aussi de penser l’espace de la vie commune comme un espace inclusif. Une politique de l’accueil se situe sous le régime de l’inclusion, au lieu d’imposer la norme de l’intégration".
"Un monde où l’on est poli avec certains pour être d’autant plus insultant, grossier ou violent avec d’autres est bien entendu un monde où la politesse n’est plus qu’un mot vide et où la civilisation régresse : là où la police n’est polie qu’avec les puissants, les puissants qu’avec leurs pairs, les adultes qu’avec les adultes, les citoyens qu’avec leurs compatriotes"...
"La crise des migrants est l’illustration flagrante de cet échec de l’Europe à instituer de nouvelles formes, démocratiques, post-nationales et post-étatiques, de vie commune".
[L’Europe] "aurait pu être le lieu d’un désapprentissage de la nation, comme du lien de la citoyenneté avec la naissance ou la filiation, un laboratoire d’expérimentation du droit d’asile, plus encore du droit de l’autre homme, capable de faire du réfugié une norme inédite du citoyen, en accordant la citoyenneté à tous ceux qui sont privés du sol d’une nation, et pour le seul motif de cette privation même".
"Car tous les exils ne se valent pas : ceux qui veulent trouver quelque part où aller ne sont pas ceux qui veulent pouvoir aller n’importe où".
"La fraternité n’est pas de l’ordre de la compassion, mais elle procède plutôt du choc (appelons-le indignation, si l’on veut) qu’il y a à voir le droit dont on jouit refusé à l’autre". [C’est l’argument que je proposais aux opposants au mariage pour tous]
"accueillir, c’est dispenser l’appartenance, c’est d’emblée permettre à quelqu’un de prendre pleinement part à la communauté, c’est rendre commun, là où l’admission maintient de l’intérieur une frontière entre autochtones et résidents étrangers".
"il faudra qu’on puisse aussi penser des droits qui ne sont pas clos sur eux-mêmes, des droits qu’on ne saurait posséder comme titulaires de plein droit, que l’humanité de l’autre homme puisse primer sur mon droit subjectif et se dissocier de l’égoïsme juridique qui fonde le libéralisme. Droits, non pas de l’individu, ou même de l’homme, mais droits de l’autre".
"Les autres hommes ont un visage, mais autrui est visage, et la relation à autrui s’ouvre en faisant accueil au visage".
"Aujourd’hui la question de l’effectivité des droits de l’homme n’est plus séparable d’une lutte politique pour le droit de cité de tous ceux que l’émigration, l’exil, l’apatridie, peuvent priver soudainement de la jouissance de tout droit, ou tout le moins de droits égaux à ceux dont jouissent ceux qui ont le privilège d’être déjà là".


Je vous le dis, un livre formidable !

mardi 16 mai 2017

16 mai 2017 : des livres disparaissent !


L’amitié n’est pas quelque chose qui naît d’un lien prédéterminant les modalités du rapport entre deux ou plusieurs êtres, ni d’un amour pour un tiers objet qui relierait par avance ces êtres (famille, nation, patrie, ethnie, etc) mais elle n’a que deux critères : l’ouverture à la singularité d’autrui et la mutualité. Et l’espace public démocratique est idéalement le lieu d’une amitié entre inconnus.
(Yves Cusset, Réflexion sur l’accueil et le droit d’asile, F. Bourin, 2016)


Ça faisait un moment que j’avais envie de partager mes lectures avec d’autres : or, quoi de mieux que les boîtes à lire, ces petites bibliothèques écologiques que la ville de Bordeaux (et certainement d’autres villes) mettent à la disposition des citoyens : on peut y déposer des livres, en emprunter, dans la plus grande discrétion, puisque sans la surveillance de quiconque...

Une des boîtes à lire de Bordeaux (cop. http://www.bordeaux.fr)

J’ai débuté la semaine dernière et ai déposé déjà plusieurs sacs de livres dans différentes boîtes à lire, où je me rends à vélo, avec mon sac dans le panier à l’arrière. Bien sûr, je n’y laisse que des livres que j’ai dûment lus, aimés, et qui me semblent relever un peu le niveau des livres déposés par les autres (c’est mon côté Macron !).
J’ai eu la surprise, en revenant quelques jours après, de voir que presque tous mes livres avaient disparu de ces boîtes. « Tant mieux », me suis-je dit. J’ai même pu discuter deux ou trois fois lors de mes distributions avec des personnes venant chercher leur provende : essentiellement des femmes. L’une d’entre elles a immédiatement pris l’un de mes livres déposés : Éloge de la vieillesse, de Hermann Hesse. J’ai discuté avec elle. La vieille dame était-elle attirée par le titre ? Je lui ai dit : « Attention, ce n’est pas un roman ! Ce sont des petites réflexions entrecoupées de poèmes, par quelqu’un qui a eu le prix Nobel de littérature ! » Elle l’a glissé dans son sac. J’étais content.
Je ne suis pas pour que les livres stagnent sur des rayonnages, sans que personne ne s’aperçoive de leur existence. qu’ils tournent, grands Dieux ! Ils sont faits pour ça, pour circuler... Personnellement, je sais que, pourtant grand lecteur, je n’ai lu une deuxième fois ou plus qu’une infime partie des livres que j'ai aimés. À peine près de 2 pour mille livres lus. Il est très rare qu’on relise des livres, en dehors de quelques grands classiques (Molière, Racine, Shakespeare, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Jules Verne, André Gide, André Malraux, dans mon cas)... Donc inutile d’encombrer nos rayonnages ! Place aux nouveautés ou aux livres plus anciens non encore lus ! Et que d’autres s’en saisissent à leur tour !
Vive la littérature et son partage !

dimanche 14 mai 2017

14 mai 2017 : une sorte de fraternité


Pour vivre avec la perte, on prend souvent la fuite, vers rien, n’importe quoi. Il arrive aussi qu’on parte à la recherche de ce qu’on a perdu. Vain désir de combler le manque.
(Lyonel Trouillot, La belle amour humaine, Actes sud, 2011)

Ah! le vélo ! Il faisait un temps splendide aujourd’hui. Mon frère étant hospitalisé de nouveau, après avoir fait les repérages hier en voiture (la sienne, il m’avait demandé de lui apporter plein de choses à l’hôpital), je suis allé ce jour le voir à vélo : 15 km aller, autant retour, c’est que Bordeaux est une conurbation immense, et que les hôpitaux ont été placés en périphérie, au-delà de la rocade. Excellent entraînement pour le futur tour du lac de Genève, et le plaisir, puisqu'il fait beau et chaud, de pédaler les bras nus et de sentir le friselis du déplacement d'air et du vent dans les poils du bras. Bien sûr, je préférerais qu’il soit chez lui, en bon état, qu’on puisse faire nos parties de scrabble, ensemble, puis avec les autres résidents. Mais sa santé décline à grande vitesse, bien qu’il soit résistant et puisse rebondir, peut-être.
Michel, mon frère aîné, mais aussi mon presque jumeau, 364 jours d'écart (de 5 à 17 ans, j’ai fait toute ma scolarité dans la même classe que lui), mon acolyte, mon alter ego... À la maison, nous partagions le même lit (il n’y avait pas de chambre individuelle pour les pauvres de cette époque), au lycée et à l’internat, il m’a si bien protégé (sans d'ailleurs s'en rendre compte, en tout cas, ça ne semble pas l'avoir frappé, mais moi je le sais !) que je n’ai jamais subi les bizutages et autres brimades perfides qui atteignaient les malingres de mon genre, et auxquelles nous assistions, impuissants. Même étudiants, nous nous nous sommes retrouvés une année pour partager la même chambre d’étudiants du foyer protestant de Bordeaux, rue Voltaire. Nous allions ensemble travailler aux Halles (les Capucins) la nuit pour arrondir notre maigre bourse, lui chez un marchand de poisson (et la chambre empestait quand il rentrait), moi chez chez un grossiste en fruits et légumes, de 2 à 7 h du matin tous les vendredis soirs, nous levant à 1 h du matin et allant manger ensemble uns soupe à l’oignon dans un troquet des Capucins pour nous préparer à l’épreuve nocturne. 

Grain de poussière, le roman autobiographique qui raconte son premier amour et l'échec de ce mariage
 
Bien sûr, la vie nous a séparés. Pendant presque une quarantaine d’années, nous ne nous vîmes plus qu’épisodiquement. D’abord, il s’est marié, très jeune. J’ai bien connu sa première femme, qu’il fréquentait pendant notre année commune d’études supérieures, et qui me plaisait beaucoup aussi. Je suis allé les voir à Angoulême, où ils vécurent après leur mariage. Puis ce fut le service militaire et le mariage qui partit à vau-l’eau. J’ai moins connu sa deuxième femme, même si nous nous arrêtâmes souvent chez eux, à Bègles, quand nous descendions dans le Sud-Ouest. Ils eurent deux enfants, les élevèrent, puis un jour, Michel quitta le domicile conjugal en abandonnant tout (j'ai pensé à lui en voyant récemment le film géorgien Une famille heureuse, où c'est la femme qui s'en va). Il était proche de la retraite, son état de santé déclinait déjà, il partit s’installer en Dordogne, où nous allâmes fréquemment le voir, Claire déjà malade et moi, déjà retraité.
Puis il est revenu, un peu contraint et forcé, s’installer à Talence, dans une RPA. Je me dis parfois que j’ai bien fait de revenir à Bordeaux pour renouer des liens avec celui qui m’a protégé dans mon enfance et mon adolescence, pour retrouver aussi notre enfance et notre adolescence communes, dont curieusement, nous n’avons pas du tout les mêmes souvenirs. Maintenant, c’est à mon tour de l’aider, je vais le voir aussi souvent que possible, je passe des journées avec lui, nous ravivons notre entente d’antan... Nous n’avons pas changé. Toujours aussi férocement de gauche (il a voté Poutou, moi Mélenchon), toujours aussi antiracistes (ce qui remonte à notre enfance, je le raconterai un jour), toujours prêts à secourir la veuve et l’orphelin !... Un côté boy-scout un peu dérisoire, mais dans ce monde devenu si cruel pour les opprimés de toutes sortes, se savoir deux, c’est important.
Au début du texte, j’étais parti sur le vélo, j’oubliais de dire que je suis passé chez lui en Dordogne, à vélo, à plusieurs reprises, notamment lors de ma première cyclo-lecture (2007), puis lors de ma randonnée de 2014 par les canaux latéral à la Garonne et du Midi, et retour par le sud du Massif central, l’Aveyron et le Lot. Mais une autre fois encore, je suis allé lui rendre visite à vélo, je ne sais plus quand, en 2010 ou 11 peut-être. Bien sûr, ici, à Talence, je suis souvent allé le voir à vélo (distance de chez moi : 9 km). Depuis janvier cependant, il m’a confié sa voiture, qu’il ne peut plus conduire, je fais ses courses, et j’utilise aussi l’auto pour lui rendre visite, surtout le mercredi qui est le jour des courses.
Ah ! Michel, nos jeunes sœurs ne te connaissent pas, car tu as quitté la maison trop tôt, et tu n’y es presque jamais revenu. Mais je ne sais pas ce que je serai devenu sans toi. J’ai tellement vu des camarades de lycée brimés, et même brisés, que je me dis parfois que j’aurais pu être parmi eux ! Mais tu étais là, et j’étais intouchable ! Je te souhaite de sortir de ce nouveau mauvais pas.