jeudi 21 septembre 2017

21 septembre 2017 : solitudes contemporaines (deux romans récents)


C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour ;
C'est là qu'est le rocher du désert de la vie
[...]
(Alfred de Musset, À mon ami Édouard B., Premières poésies, Gallimard, 1996)


Il n’est guère dans mes habitudes de lire des romans tout à fait contemporains, j’aime laisser le temps décanter et me donner l’envie, d’autant plus que je sais qu’il y a plein de livres anciens et modernes que je ne connais toujours que par ouï-dire et qui me paraissent plus importants que pas mal de balivernes de nos contemporain/es.

Séduit par une critique dithyrambique (on devrait toujours se méfier des critiques), j’ai acheté le roman de Céline Zufferey, Sauver les meubles. Premier roman. L’auteur, qui semble d’origine suisse, nous conte les aventures d’un photographe dont les ambitions artistiques ont été déçues, qui a besoin d’argent pour faire soigner son père en fin de vie, et qui se résout à accepter un poste de photographe pour la réalisation d’un catalogue pour une entreprise de meubles. Inutile de dire qu’il tombe de haut : il n’a aucune liberté de choix dans les angles de prises de vue ni dans la mise en place des décors ou des personnages à photographier. Il fait la connaissance des "mannequins" qui posent pour figurer dans les scènes de vie de famille complètement aseptisée que propose le catalogue : il s’entiche de Nathalie, une jeune femme et de Miss KitKat, une fillette asiatique de dix ans adoptée que sa "mère" transforme en poupée. Bref, rien d’artistique dans tout ça. Aussi, quand Christophe, le collègue chargé de tester au sous-sol la résistance des meubles, lui propose de photographier de façon esthétique des scènes de pornographie obscène pour un nouveau site, il pense trouver une rédemption artistique, après s’être dévoyé dans la photo commerciale destinée au consommateur. Mais là aussi, il va déchanter rapidement.
Le narrateur de Sauver les meubles est un pur produit de la solitude induite par le monde contemporain. Il chatte volontiers sur des sites de rencontres qui se révèlent d’un vide abyssal et sinistre, tant les gens qui s’y présentent véhiculent un ramassis de clichés grotesques sur les fantasmes sexuels. Par ailleurs, l'art ne paie pas. Mais la capacité d’aimer réellement, autrement que par le virtuel, ne fonctionne pas non plus. La pauvre Nathalie en fera les frais. Roman sur l’ennui, sur la misère morale et spirituelle de notre temps (on pense parfois à Houellebecq), le livre nous laisse un goût amer. Le monde ne s’est pas amélioré depuis Les choses de Pérec, qui pointait déjà du doigt les débuts du consumérisme matériel effréné qui s’emparait de la société. Comme Pérec, Zufferey nous propose un miroir ahurissant de notre actuelle société du spectacle. J’ai quand même aimé la puissance de la dénonciation, d’autant plus qu’elle se fait dans une lucide limpidité, dans le « voilà, c’est comme ça, on en est arrivé là ! », et sans pathos, comme un simple constat. Avis aux amateurs : si vous avez du mouron, ce livre n’est pas pour vous. Vous serez bons pour le suicide !


Il n’est pas non plus dans mes habitudes de lire du Nothomb, mais mon frère m’ayant dit que le dernier est son meilleur, j’ai voulu en avoir le cœur net. Et j’avoue avoir été bluffé par Frappe-toi le coeur. Je l’ai lu d’une traite, ce qui n’est pas difficile, vu la minceur des romans de cet auteur. 
Petit résumé : Marie se fait engrosser à dix-neuf ans et donne naissance à une fille. Elle se désintéresse absolument du bébé, Diane, qui promet d’être fort belle. La petite fille comprend très vite qu’elle n’est pas aimée par sa mère, d’autant plus que la naissance d’un petit frère révèle l’intérêt bienveillant de la mère pour le petit Nicolas. La naissance ensuite d’une petite fille, Celia, va achever Diane, qui constate l’investissement excessif et étouffant de Marie pour son dernier enfant. Diane va trouver du réconfort chez ses grands-parents maternels, puis, après le décès de ceux-ci, chez les parents de sa seule amie d'adolescence, Élisabeth, chez qui elle se fait adopter. Je n’en raconte pas plus. 
Le personnage de Diane est saisissant, laissant le lecteur ébahi devant tant de perspicacité dans l’analyse qu’elle fait de son combat pour survivre dans un monde qui ne semble pas vouloir d’elle. Roman de la solitude contemporaine, de la solitude des mères qui sont dans le déni d’amour maternel ou dans l’incapacité à avoir un comportement normal, de la solitude des enfants obligés à se forger une résilience pour ne pas sombrer, de la solitude des parents quasi autistes qui ne supportent pas que leur enfant soit aussi brillant qu’eux, qui le méprisent et qui font tout pour l’enfoncer (j’ai moi-même connu un prof de fac, dont un des enfants était le "vilain petit canard" qu’il se plaisait à casser, chaque fois qu’il parlait de lui) mais aussi roman de la réussite sociale et des changements nocifs qu’elle induit, Frappe-toi le coeur m’a époustouflé. Lointainement inspiré du mythe de Blanche-Neige, le roman fait état aussi de la jalousie de la mère détrônée par sa fille, elle seule (et pas sa mère) se rendant compte que son comportement est inspiré par la jalousie. Contrairement à Sauver les meubles (et à son nihilisme dévastateur), c’est un roman auquel on peut adhérer par imprégnation et identification au personnage principal, peut-être un peu trop parfait.
 

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